Nouvelle grille de lecture de la fiscalité des « management packages »
Le 13 juillet 2021, le Conseil d'Etat a bouleversé sa doctrine du traitement fiscal des gains issus de « management packages », en affirmant qu'ils sont imposables en salaires dès lors qu'ils trouvent essentiellement leur source dans l'exercice des fonctions de dirigeant ou salarié.
La qualification fiscale des gains issus de la cession d'instruments détenus par les dirigeants ou salariés, appelés « management packages », a été à l'origine de nombreuses décisions jurisprudentielles depuis 2014 sur la base desquelles une pratique s'est établie consistant notamment à considérer qu'il était essentiel, pour préserver l'imposition des gains en plus-values, que ces instruments aient été acquis pour leur valeur réelle et que le manager réalise un investissement significatif soumis à un risque de perte.
Au fil des années la standardisation des bonnes pratiques et les échanges nourris avec l'administration fiscale ont laissé penser aux acteurs de ces management packages que le risque de requalification des gains de dirigeants en salaires était modéré si les recommandations étaient suivies à la lettre.
Par trois décisions d'une exceptionnelle solennité, le Conseil d'Etat a souhaité clarifier sa doctrine en jugeant que les gains tirés d'instruments souscrits ou reçus hors du cadre de mécanismes légaux d'intéressement doivent être imposés dans la catégorie des traitements et salaires dès lors qu'ils trouvent essentiellement leur source dans l'exercice, par l'intéressé, de ses fonctions de dirigeant ou salarié.
Bien que ces décisions concernent au premier chef des instruments optionnels de management packages mis en place dans le cadre d'opérations de LBOrelativement anciennes (BSA, contrats de souscription d'options), leur portée va bien au-delà et concerne l'ensemble des gains réalisés par des dirigeants ou salariés sur des instruments émis par leur groupe.
Vers plus de requalifications de gains en salaires ?
Le Conseil d'Etat s'est affranchi des bonnes pratiques mises en place au fil du temps, pour identifier trois gains distincts susceptibles d'être imposés dans la catégorie des traitements et salaires.
Le gain d'acquisition initial
Le Conseil d'Etat isole un premier gain consistant en la différence entre la valeur réelle de l'instrument reçu et le prix effectivement payé. Ce gain d'acquisition est considéré comme imposable en salaires l'année de la réception de l'instrument s'il existe un lien entre cet avantage et les fonctions de dirigeant ou salarié du bénéficiaire.
Cette analyse à contre-pied de positions historiquement tenues par l'administration induit certes un éventuel impôt dû sans que le bénéficiaire ne dispose de liquidités, mais permet surtout de confirmer que l'avantage imposable ne pollue pas l'éventuelle plus-value réalisée sur l'instrument sous-payé. En outre, la prescription devrait être fréquemment acquise sur ce gain réalisé souvent plusieurs années avant le débouclage des management packages.
Le gain d'exercice des bons
Pour les instruments optionnels (BSA, contrats de souscription d'options) le Conseil d'Etat juge que le gain de levée d'option (différence entre la valeur réelle de ces actions à la date de la levée et le prix d'exercice) est imposable en salaires l'année de la levée ou de l'exercice de l'option, lorsqu'il trouve essentiellement sa source dans l'exercice de fonctions de dirigeant ou salarié par l'intéressé.
Le gain de cession proprement dit
Le Conseil d'Etat rappelle la règle selon laquelle le gain de cession (différence entre le prix d'acquisition des actions et leur prix de cession) est en principe imposable en tant que plus-value de cession de valeurs mobilières.
Toutefois, il ajoute que ce gain peut constituer « exceptionnellement » un salaire lorsqu'il est acquis à raison des fonctions de salariés ou de dirigeant. Ainsi, peu importe que le titre n'ait pas été acquis à un prix préférentiel ou que le manager soit à risque de perdre de l'argent sur cet investissement.
Une refonte inévitable de la pratique des management packages ?
Pour la requalification de ces trois types de gains, l'attention est clairement portée sur les liens entre les fonctions exercées et la possibilité de bénéficier de l'avantage. Ce lien est analysé par les juges au travers d'un faisceau d'indices illustré par les faits des trois décisions.
En édictant cette nouvelle grille de lecture, le Conseil d'Etat a – volontairement – accru la crainte de requalification de gains réalisés par des managers en traitements et salaires. En effet, si la requalification du gain de cession est qualifiée d'« exceptionnelle », au regard des trois décisions rendues il semble clair que les mécanismes de partage de valeur entre les actionnaires et l'équipe de direction sont les premiers visés.
Pour sécuriser le traitement fiscal des management packages, les acteurs du secteur vont donc être confrontés à un choix :
- Supprimer l'essentiel des liens contractuels entre les instruments transférés aux managers et l'exercice de leurs fonctions (clauses dites de « leavers », d'incessibilité, de non-concurrence, indexations sur les performances, etc...) : cette approche sera souvent inapplicable ou n'offrira qu'une sécurité partielle aux dirigeants concernés, le caractère vertueux des management packages qui nécessite un alignement des intérêts des dirigeants et actionnaires étant souvent intrinsèquement lié à la présence de ces garde-fous ;
- S'insérer dans le cadre d'un mécanisme légal d'intéressement (actions gratuites, BSPCE...), le régime fiscal de ces instruments intégrant déjà la nature « salariale » d'une partie des gains réalisés : malheureusement les conditions d'émission de ces instruments empêchent encore leur généralisation et ne les rendent pas adaptés à toutes les sociétés.
En tout état de cause, il est désormais nécessaire de passer en revue l'ensemble des instruments d'intéressement détenus par les dirigeants et salariés, afin d'identifier les ajustements éventuellement nécessaires compte tenu de ce nouvel environnement fiscal.
Les incertitudes induites par ce nouveau contexte fiscal seront difficilement tenables sur le long terme : une intervention législative semble désormais inévitable. Mais dans quel timing et pour quel résultat ?
Pour en savoir plus
Frédéric Bosc – avocat associé en droit fiscal, cabinet Moncey Avocats
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