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Facturation électronique : un possible report inquiète de nouveau

La commission spéciale de l'Assemblée nationale a voté le 24 mars dernier un amendement qui ouvrirait la porte à un nouveau report du calendrier d'un an de l'obligation de facturation électronique pour les entreprises. Décryptage d'une annonce qui doit encore poursuivre son parcours législatif, notamment à travers l'examen en séance publique prévu le 8 avril.

Publié par Christina DIEGO le - mis à jour à
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Facturation électronique : un possible report inquiète de nouveau

La réforme de la facturation électronique entre entreprises assujetties à la TVA n'en finit pas de faire parler d'elle. En catimini, un peu après 21h, le 24 mars 2025, la commission spéciale de l'Assemblée nationale, chargée d'examiner le projet de loi de simplification de la vie économique (SVE) a adopté un amendement visant à décaler d'un an l'entrée en vigueur obligatoire de la facturation électronique.

Un report d'un an pour toutes les entreprises

Le texte, porté par le député Christophe Naegelen (groupe Liot), rapporteur du projet de loi, prévoit de repousser l'obligation pour les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire au 1er septembre 2027 (au lieu de septembre 2026), avec une possibilité de report maximum au 1er décembre 2027 par décret.
Quant aux PME et micro-entreprises ne faisant pas partie d'un assujetti unique au sens de l'article 256 C du Code général des impôts, l'échéance serait fixée au 1er septembre 2028 (au lieu de 2027), pouvant également être repoussée au 1er décembre 2028 par décret.

Le député des Vosges a défendu cet amendement (CS1268) en justifiant qu'il fallait « reporter l'obligation de facturation électronique pour les entreprises, eu égard au fait que l'Etat est revenu sur son engagement de leur offrir une plateforme gratuitement ».

Ce report s'explique donc par le non-respect, par l'État, de son engagement initial de fournir gratuitement une plateforme publique de facturation (le Portail Public de Facturation ou PPF), sur laquelle les entreprises pourraient s'appuyer pour se conformer aux nouvelles obligations. En l'absence de cette solution, les entreprises doivent aujourd'hui se tourner vers des plateformes privées, agréées par l'administration (les PDP). Un calendrier a été établi et des échéances ont d'ores et déjà été actés lors de la réunion à Bercy, le 21 mars dernier, réunissant la Communauté des relais, initiative de la DGFiP avec les différents acteurs concernés par la réforme de la facturation électronique. Mais à l'aube de ce volte-face, les acteurs et entreprises s'inquiètent à nouveau.

Un amendement « contre-productif »

Pour Thierry Hardion, vice-président de l'association SDDS (Simplification et Dématérialisation des Données Sociétés), qui regroupe 43 éditeurs de logiciels et prestataires de service spécialisés dans les domaines financiers, fiscaux, etc. rappelle que cette réforme, présentée comme une mesure de simplification, vise avant tout à fluidifier les échanges entre entreprises, « et en reportant son entrée en vigueur, on retarde d'autant les bénéfices attendus, tant pour les entreprises que pour les finances publiques ». Car au-delà des gains de productivité, cette réforme permettrait également une meilleure collecte de la TVA, dont le versement à l'État serait plus rapide. « Retarder sa mise en oeuvre revient donc à différer des rentrées fiscales importantes, que l'État devra compenser par ailleurs » s'étonne-t-il.

L'association de professionnels conteste ce report et souhaite alerter les politiques sur l'effet totalement contre-productif de cet amendement. « Un report pourrait entraîner un effet de relâchement généralisé : chacun suspendrait ses efforts dans l'attente d'une décision définitive, ce qui aurait des effets délétères. Cela reviendrait à fragiliser tous les acteurs qui se sont déjà mobilisés pour anticiper la réforme », indique-t-il. Ce report, s'il se confirme, risquerait donc de compromettre le retour sur investissement, du moins à court terme. « Il en va également de la stabilité de certains acteurs clés de l'écosystème : les plateformes de dématérialisation, qui ont dû se faire immatriculer, ont construit leur modèle économique sur des volumes attendus à court terme. Si ces volumes ne se concrétisent pas dans les délais initialement prévus, leur viabilité pourrait être sérieusement mise en cause », alerte Thierry Hardion.

Plus largement, ce qui semble le plus préoccupant, « c'est que cette décision, portée par une commission dédiée à la simplification, ne simplifie en réalité rien. Elle reporte simplement les échéances, sans répondre aux enjeux structurels ni clarifier les objectifs de la réforme. Ce changement de calendrier crée de l'incertitude, sans offrir de véritable solution aux acteurs concernés », analyse-t-il.

Un report en suspens ?

Ce nouveau décalage, s'il était confirmé lors de l'examen du texte en séance publique à partir du 8 avril, pourrait offrir un répit aux entreprises, et notamment aux PME, mais il ne doit pas être interprété comme un abandon de la réforme : les objectifs restent inchangés, et les directions financières doivent maintenir leur effort de préparation. « Il convient également de rappeler que l'amendement a été adopté dans des conditions particulières, avec une majorité relativement étroite, seuls quinze députés étaient présents, ce qui relativise la portée immédiate de cette décision », a tenu à rappeler Damien Charrier, président du Conseil National de l'Ordre des Experts-Comptables.

Le Conseil national de l'ordre des experts-comptables, par la voix de son président Damien Charrier, a publié un communiqué dans lequel il met en garde sur les conséquences d'un nouveau report de cette réforme pour les entreprises et l'économie française. « La facture électronique est un levier majeur pour notre compétitivité et notre résilience : fiabilisation des flux de gestion, réduction des délais de paiement, amélioration de la qualité des données, lutte contre la fraude à la TVA », souligne Damien Charrier.

Ne pas se précipiter

Pour lui, il n'y a pas lieu à ce stade de céder à la précipitation. « Si, à l'issue du processus législatif, le report est confirmé dans le cadre de la loi de simplification, il conviendra bien entendu de s'y adapter. Mais, à ce jour, aucune certitude ne permet d'en conclure ainsi. Il est donc prudent d'attendre encore une dizaine de jours avant de suspendre les préparatifs », assure-t-il. Le professionnel du chiffre nous explique l'importance de poursuivre les travaux « comme si l'échéance initiale demeurait inchangée ». Un nouveau report créerait « une désorganisation massive pour les entreprises ayant déjà engagé leur transition, désorienterait les éditeurs de logiciels et enverrait un signal de démobilisation à l'ensemble des acteurs économiques », assure-t-il.

Contrairement aux précédents reports qui étaient motivés par des imprécisions ou des difficultés d'ordre technique, « celui-ci ne repose pas sur une incapacité des acteurs à être prêts. Toutes les parties prenantes sont aujourd'hui en ordre de marche. Et je ne doute pas que les entreprises qui nous lisent se sont elles aussi largement engagées dans cette dynamique de préparation », conclut Damien Charrier.

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