Télétravail international : quels enjeux fiscaux pour les employeurs français ?
La pandémie de Covid-19 a bouleversé le monde du travail en favorisant l'émergence du travail à distance. Un changement de paradigme qui doit inciter les employeurs français à adopter les bons réflexes, pour se prémunir face aux risques en présence.
Il ne devait pas perdurer, et pourtant, le télétravail rencontre un franc succès, notamment dans le secteur de la tech. Toutefois, quand l'activité se déploie à l'échelle internationale, de nombreuses problématiques, notamment fiscales, se posent pour l'employeur.
La présence à l'étranger peut entrainer la caractérisation d'un établissement stable dont la définition dépend des règles de l'État d'exercice du télétravail et des dispositions de la convention fiscale conclue avec la France. Des principes généraux ont malgré tout été dégagés par l'OCDE(1) .
Télétravail et établissement stable
Pour schématiser, l'établissement stable est caractérisé par le biais soit d'une installation fixe d'affaires, soit d'un agent dépendant.
Sa caractérisation génère, pour l'employeur, un risque de double imposition fiscale : dans l'État de son siège et dans celui de l'activité du salarié, sans compter l'application de pénalités fiscales voire pénales. Un risque qui peut conduire l'entreprise à devoir répartir ses bénéfices entre les deux États concernés(2) .
Installation fixe d'affaires
L'installation fixe d'affaires se définit comme le local mis à disposition de la société employeur, présentant un certain degré de permanence et servant à l'exercice de l'activité. On exclut ici les activités auxiliaires ou préparatoires telles que la collecte d'informations ou les activités qui ne touchent pas au coeur de métier.
L'OCDE a alerté sur la poursuite du télétravail après la pandémie, précisant qu'elle pourrait traduire un certain degré de permanence, surtout si l'utilisation du domicile du salarié résulte d'une demande de l'employeur et dépasse 6 mois(3) . Un examen factuel doit donc être mené pour déterminer si le bureau au domicile du salarié est à la disposition de l'entreprise ou non.
Agent dépendant
L'établissement stable peut aussi être caractérisé lorsque l'entreprise est représentée dans un autre pays par un agent dépendant qui conclut habituellement des contrats pour son compte. Cette notion doit s'entendre de façon assez large : si l'agent joue le rôle principal menant à la conclusion de contrats systématiquement ratifiés par le siège sans modification significative(4) , l'État d'exercice du télétravail pourra caractériser un établissement stable. Dès lors que les salariés en télétravail à l'étranger sont investis dans la négociation des contrats, l'employeur doit faire preuve de vigilance.
Plusieurs éléments sont à anticiper pour appréhender au mieux ces risques.
Comment cartographier le risque ?
Pour se prémunir, l'employeur doit se poser quelques questions essentielles, parmi lesquelles :
- Combien de salariés et quels pays sont concernés par le télétravail ?
- Ces pays sont-ils liés à la France par une convention fiscale ?
- Quel est le profil des salariés et quels sont leurs pouvoirs ?
- Quelles sont les modalités d'exercice du télétravail (récurrence, durée, etc.) ?
- Quelle est la nature réelle de l'activité exercée à l'étranger (pour les développeurs informatiques, une attention particulière devra être portée à la propriété intellectuelle) ?
- Quels moyens sont mis à disposition (location d'un bureau, locaux d'une filiale, domicile du salarié à la demande de l'employeur, etc.) ?
Les réponses à ces questions permettront à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour limiter le risque ou décider, au contraire, de s'implanter durablement dans le pays concerné, via une succursale ou une filiale et déterminer l'allocation des profits entre les différentes juridictions.
Quelles actions mettre en place ?
Plusieurs actions peuvent être mises en oeuvre par l'employeur :
- la création d'un protocole officiel « télétravail » précisant les fonctions réalisables à distance, leurs modalités d'exercice, leur cadre géographique et d'un processus officiel de demande par le salarié ;
- l'adaptation des contrats de travail ;
- pour les salariés dirigeants, la création de schémas décisionnels limitant la prise de décision et la négociation des contrats depuis l'état de séjour temporaire ;
- la mise en place de suivis réguliers des salariés concernés (e.g., récupération de tous éléments matériels comme suivi d'agenda, justificatifs de voyages, etc.).
Enfin, bien que non directement liés à la fiscalité de l'employeur, d'autres éléments pratiques doivent être anticipés comme :
- l'immatriculation auprès des administrations fiscales locales (en France, les employeurs étrangers doivent s'enregistrer via PASRAU auprès de l'administration française pour opérer le prélèvement à la source) ;
- la détermination du statut social adéquat en fonction des conventions fiscales et des accords de sécurité sociale ;
- la nécessité ou non d'un permis de travail.
En conclusion, la fiscalité du télétravail international reste complexe et nécessite une analyse au cas par cas. Face à la pérennisation de ce nouveau mode de travail, il serait souhaitable, comme évoqué récemment par le Comité économique et social européen, qu'un cadre européen, voire international, lui soit donné, pour assurer une meilleure sécurité juridique aux employeurs.
Pour en savoir plus
Christel Alberti est associée du cabinet Viguié Schmidt & Associés. Elle intervient en droit fiscal (opérations de fusion/acquisition, mobilité internationale, LBO, management package, restructurations de groupes et conseil fiscal aux dirigeants). Ses principaux domaines d'intervention incluent également l'assistance des entreprises dans leurs contrôles et contentieux fiscaux.
Maxence Dubois est collaborateur au sein du cabinet Viguié Schmidt & Associés et intervient en droit fiscal sur les aspects fiscaux des opérations de fusion/acquisition. Il assiste les sociétés françaises et étrangères sur les aspects fiscaux français et internationaux de leurs réorganisations internes.
[1] Cf. art. 5 du Modèle OCDE, tel que modifié par la Convention multilatérale adoptée par la France le 7 juin 2017 et entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Cette nouvelle définition s'applique sous réserve de réciprocité et en fonction des délais de ratification propres aux pays conventionnés avec la France
[2] Ce qui n'est pas sans poser des difficultés. En outre, l'élimination de la double imposition peut n'être qu'imparfaite si les délais de prescription fiscale ne sont pas alignés dans les juridictions concernées
[3] Cf. § 18 et 19 des commentaires sur l'article 5 du Modèle OCDE et mise à jour des orientations sur les conventions fiscales et impact de la pandémie de COVID-19 (version du 21 janvier 2021) et conventions fiscales et impact de la crise de la COVID-19 : analyse du secrétariat de l'OCDE (version du 3 avril 2020)
[4] Conseil d'Etat, plén. 11/12/2020, n°420174, Conversant International Ltd ; RJF 2/21 n° 196
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