Les Daf, décideurs de la finance ou Data-Master ?
L'IA, la data et l'automatisation ne sont plus des options, le Daf est face à un choix : rester dans l'ombre des chiffres ou prendre une longueur d'avance en devenant un acteur clé de la performance prédictive. Comment utiliser ces technologies pour optimiser les décisions, réduire les risques et gagner en impact stratégique ? Réponses avec Ebru Cornet-Oner CFO Microsoft France, Emmanuel Millard CFO International Alliance et du Groupe Endrix et Aymeric Montariol CFO Elengy qui ont partagé leurs retours d'expérience lors des Journées du Daf du 27 mars.

L'adoption de l'IA doit être analysée à travers le prisme de la taille et du secteur d'activité des entreprises. « En France, 80 % des entreprises sont des TPE/PME, qui n'ont pas toujours le même accès aux technologies que les grandes structures - une disparité déjà observée avec la RSE », détaille Emmanuel Millard. Pour lui, ce sont surtout les grandes entreprises qui avancent sur le sujet, « souvent portées par des éditeurs de solutions spécialisés ». Pour la profession comptable, il existerait une montée en puissance des usages, notamment depuis le Covid, qui a servi de déclencheur, précise-t-il.
Cependant, il subsiste une appréhension chez les dirigeants, en particulier dans les PME et ETI, où le Daf endosse souvent plusieurs rôles. La France dispose malgré tout d'un écosystème d'éditeurs compétents et reste bien positionnée à l'échelle internationale. « Le prochain défi consistera à expliquer concrètement la valeur ajoutée de l'IA aux entreprises, au-delà des cercles parisiens, pour garantir une adoption plus large et inclusive », souligne-t-il.
Rôle du Daf et montée en puissance de la data
« Depuis plusieurs années déjà, nous observons une hausse significative des sollicitations et des questionnements qui nous sont adressés. Chez Elengy, bien que nous soyons une entité de 450 collaborateurs, nous appartenons à ENGIE, un grand groupe coté au CAC 40, ce qui implique l'adhésion aux process du groupe et nous permet également de bénéficier de ses ressources pour déployer certaines initiatives », explique Aymeric Montariol CFO Elengy. Le Daf souligne que cette augmentation des sollicitations se manifeste notamment par une demande croissante d'analyses financières approfondies, et surtout « par une attente forte quant à notre capacité à simuler les impacts de différentes options stratégiques, dans le but d'éclairer les prises de décision ». Par ailleurs, cette exigence se traduit aussi par une intensification des requêtes auprès des équipes opérationnelles. « En effet, les chiffres financiers que nous produisons reposent sur des hypothèses métiers ; il nous est donc indispensable de disposer de données opérationnelles fiables et pertinentes, afin de garantir la cohérence et la valeur de nos analyses économiques », indique-t-il.
Service financier de Microsoft, avant-gardiste ?
Qu'en est-il du service financier de Microsoft, est-il avant-gardiste sur ces questions liées à l'IA ? « Effectivement, c'est bien ce que l'on attend aujourd'hui de la fonction financière. D'ailleurs, si l'on observe la trajectoire de transformation de Microsoft, celle-ci a débuté par une refonte des processus financiers », précise Ebru Cornet-Oner, CFO Microsoft France. La fonction finance est perçue comme un levier d'innovation, devant faire preuve d'anticipation, d'agilité et de capacité à éclairer la décision stratégique dans des délais toujours plus courts. L'enjeu est de réduire au maximum le temps qui s'écoule entre la disponibilité de la donnée et l'action qui en découle. « Plus nous optimisons nos outils, plus nous intégrons des solutions d'intelligence artificielle dans nos propres processus, plus nous créons un effet d'entraînement vertueux, incitant l'ensemble de l'organisation à adopter une posture résolument innovante », souligne-t-elle.
Transformation de la finance grâce à l'IA
En effet, le monde de la profession comptable et financière a déjà bien engagé sa transformation, tant les bouleversements y sont déjà prégnants. « Nous disposons désormais d'outils numériques d'une puissance remarquable, permettant d'exécuter à distance des tâches auparavant complexes, avec une efficacité accrue », souligne Emmanuel Milllard. Les exemples concrets abondent. « General Electric, par exemple, a développé un outil d'intelligence artificielle capable d'opérer des réconciliations comptables à grande échelle. Siemens, de son côté, déploie l'IA pour automatiser la facturation et les traitements comptables au sein de sa direction financière », détaille le CFO. Sur le plan de l'analyse de données financières, Netflix a recourt à l'IA pour exploiter les comportements d'abonnés et prédire les dynamiques d'achat, dans une logique de pilotage affiné, précise-t-il. En matière de gestion des risques financiers, « Tesla mobilise des algorithmes pour évaluer les aléas liés à la production et à la commercialisation de ses véhicules. Unilever exploite quant à lui des outils d'intelligence artificielle pour identifier les risques associés à la chaîne logistique et à la gestion des stocks ». Enfin, en matière de reporting réglementaire et de conformité, Apple intègre déjà des solutions fondées sur l'IA afin de renforcer la fiabilité et la traçabilité de ses processus internes. Ces exemples illustrent « l'ampleur des transformations en cours » et soulignent à quel point l'IA s'impose comme « un levier stratégique dans la fonction finance, bien au-delà de l'automatisation des tâches répétitives », souligne Emmanuel Millard.
IA et gestion des prix
Chez Elengy, certains outils sont déjà utilisés de manière opérationnelle. « Nous disposons d'un système de gestion de la maintenance assistée par ordinateur, qui nous offre une vision prospective des interventions à réaliser sur nos actifs, lesquels sont des équipements industriels spécifiques », explique Aymeric Montariol. Ce dispositif permet d'ajuster au mieux les coûts de maintenance en fonction de l'intensité et de la nature réelle de leur utilisation. « L'objectif est clair : éviter des dépenses excessives ou injustifiées, en alignant les interventions sur le degré d'usure effectif des équipements, et non sur des cycles prédéfinis. » Par ailleurs, l'entreprise a commencé à déployer des jumeaux numériques sur certains sites industriels. Des outils qui permettent de mieux anticiper et planifier les opérations de maintenance et d'exploitation, en les rendant plus efficaces, mieux préparées et donc plus optimisées. « S'agissant des prix de l'énergie, nous n'avons pas recours à ce stade à des outils d'intelligence artificielle spécifiques. Cela dit, en intégrant les processus du groupe ENGIE, nous bénéficions de dispositifs mutualisés, notamment via les plateformes d'analyse et de simulation, qui nous permettent d'anticiper les impacts de diverses opérations, en mobilisant les outils déjà existants dans le cadre du groupe », analyse-t-il.
IA et biais : les anticiper pour les corriger ?
Les biais ne sont pas uniquement le fait des machines, les êtres humains en sont naturellement porteurs. Il est donc inévitable qu'une intelligence artificielle puisse en refléter certains. « Des mécanismes existent aujourd'hui pour corriger ces biais à la source, en intégrant dans nos modèles des dispositifs spécifiquement conçus pour les neutraliser. Ces correctifs sont désormais intégrés de manière systématique dans l'ensemble de nos algorithmes d'IA », détaille Ebru Cornet-Oner CFO Microsoft France. Chez le géant de la tech, plutôt que de considérer la machine comme un outil neutre, « nous la percevons désormais comme un copilote, un collaborateur capable de nous interroger sur nos propres raisonnements », précise-t-elle. Par exemple, pour comparer deux entreprises et évaluer laquelle surperforme, « l'IA sera en mesure de nous alerter sur les biais implicitement présents dans notre formulation initiale. En ce sens, nous formons la machine non seulement à détecter les biais, mais aussi à nous accompagner dans une démarche réflexive, en nous aidant à identifier les angles morts de notre propre raisonnement », souligne la CFO.
Quel impact de l'IA sur la data ?
Le rôle du directeur financier d'il y a 15, 20 ou 25 ans n'a plus grand-chose à voir avec celui d'aujourd'hui. Le Daf moderne est devenu « un véritable chef de projet transversal, qui doit non seulement posséder des compétences techniques solides dans de nombreux domaines, mais également faire preuve de curiosité, d'ouverture et de capacité à organiser des dispositifs complexes », rappelle Emmanuel Millard. Au fil des années, la fonction a été impactée par des transformations structurantes : la mise en oeuvre de la RGPP, qui n'a touché la finance qu'à la marge ; l'émergence de la RSE, à laquelle nous avons commencé à nous préparer dès 2014 avec la publication de la DPEF pour les grandes entreprises ; et plus récemment, l'arrivée de l'intelligence artificielle, qui bouleverse l'ensemble des processus de l'entreprise. Il est important de souligner que l'IA n'est pas née dans la fonction finance. « Le Daf doit aujourd'hui non seulement comprendre ces transformations, mais s'y engager pleinement. Il doit faire preuve de curiosité, de compétence et d'implication. Sans cela, il devient difficile de continuer à exercer cette fonction avec pertinence », souligne le CFO.
Au-delà de leur simple utilisation, c'est la manière dont ils seront utilisés qui fera la différence. « Il est essentiel que le Directeur financier développe une véritable appétence pour ces nouvelles approches. Dans le contexte actuel, le Daf doit faire preuve d'une plus grande capacité d'imagination et d'agilité intellectuelle que par le passé. Il est désormais confronté à une multiplicité d'informations, de données et d'outils technologiques, qu'il convient d'exploiter de manière efficace et stratégique », ajoute Aymeric Montariol. Cela suppose pour le directeur financier de s'éloigner d'une approche trop centrée sur les dimensions comptables ou fiscales- qui, bien qu'indispensables, ne sont plus les seuls piliers de la fonction. « Dans cette nouvelle ère, la capacité à analyser, à anticiper et à piloter dans un environnement complexe devient plus que jamais essentielle », indique Aymeric Montariol.
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