Management : comment s'inspirer de l'armée ?
Quelles analogies peut-on faire entre le management d'entreprise et le commandement militaire ? Réponses de Charles-Albert Ponce, ex-officier d'infanterie parachutiste, ex-directeur général STACI France et directeur associé au sein du Cabinet [Pépite.]
Quelles analogies peut-on faire entre le management d'entreprise et le commandement militaire ?
A la suite de mon parcours d'officier, les 17 années que j'ai passées à des fonctions de direction opérationnelle et direction générale dans le privé m'ont permis de constater à quel point les pratiques managériales d'inspiration militaire avaient du sens dans l'entreprise. C'est d'autant plus vrai à une époque où l'on observe un désengagement de plus en plus marqué des collaborateurs et un rapport au travail en rupture avec ce qui a animé les générations précédentes de salariés.
Pour comprendre l'enjeu de cette question, commençons par un peu de sémantique. Manager nous vient de l'anglais to manage : se débrouiller, gérer, réussir, diriger. D'origine latine « manus », cela signifie étymologiquement contrôler, avoir en main. Cela consiste à mettre en avant une méthode, un résultat pour l'atteinte duquel les hommes sont des « ressources ». Commander vient du latin commandare avec comme signification confier, recommander, donner un ordre. Cela met en avant l'initiative, l'autorité. La dimension humaine est essentielle. Nous pourrions dire que « manager » consiste à mettre en avant l'organisation des ressources alors que « commander » met en avant la volonté du chef pour mettre en mouvement. Dans les deux cas, la réussite est conditionnée par l'adhésion des individus et donc par une forme subtile d'autorité.
Les deux expressions ne sont donc pas différentes dans l'esprit (organiser et conduire les opérations) mais se complètent. En revanche, on devine que le terme « manager » est réducteur d'où l'intérêt d'y associer la notion de leadership. En pratique, le management des organisations quelques soient leurs natures et ceux des entreprises et des unités militaires en particulier partagent des mêmes enjeux fondamentaux. Il s'agit de mobiliser des énergies sur des projets ou des missions dans un contexte de répartitions et d'organisation de tâches et d'exercice de l'autorité dans le bon sens du terme. C'est à dire l'autorité qui assume les décisions, qui rassure et au service la performance individuelle et collective.
Contrairement à certains clichés persistants d'une organisation rigide voire rigoriste l'exercice du commandement/management au sein des armées a toujours mis l'accent sur la qualité des relations humaines. En effet, les cadres militaires font face à de très nombreux défis RH. Tout d'abord, il faut maintenir les soldats engagés malgré des conditions de travail exceptionnellement exigeantes et malgré des rémunérations faibles, maintenir la cohésion pour tenir lors des missions de longue durée. Les organisations militaires se doivent d'être très souples et s'ajustent en permanence aux besoins de la mission. Il faut pour cela des chefs capables de s'adapter aussi vite que le font les cadres d'entreprise. Si les décisions sont toujours portées par une autorité, au sein des états-majors comme dans les unités opérationnelles elles sont toujours l'objet d'une co-construction. La formation dans les armées est permanente que ce soit pour l'accession à de nouvelles responsabilités d'encadrement, le service de nouveau équipements techniques ou le maintien à niveau des savoir-faire.
Les analogies sont donc nombreuses : le nécessaire exercice du leadership, le besoin de penser au développement des compétences, l'indispensable respect du facteur humain, toutes les formes de relations d'autorité qu'elles soient verticales, horizontales ou matricielles, de proximité mais aussi distancielles, mais aussi la capacité à appréhender des environnements instables et incertains.
Quelles sont les bonnes pratiques en termes de management ?
Je pense que l'on peut distinguer d'une part la « posture » du manager et d'autre part les « pratiques managériales ». Concernant la posture, le manager ne doit pas oublier qu'il est un chef et qu'il a à ce titre des devoirs.
Les qualités qui renforcent l'exercice de son rôle d'encadrement sont celles qui caractérisent le leadership. Parmi celles-ci : celles qui confèrent la crédibilité à tenir le poste : l'exemplarité, la rigueur, l'engagement, la capacité (le courage) à prendre des décisions et celles qui créent l'adhésion : l'écoute, la clarté de sa communication, la confiance accordée, l'équité. Le manager doit pouvoir s'autoévaluer sur ces dimensions puis évaluer les managers de niveau inférieur. Concernant les pratiques managériales, le manager doit assumer son rôle et privilégier le « Je » au « On ». Dans les ordres que les chefs militaires donnent à leurs unités, l'intention est clairement posée après un « Je veux ... », formule incontournable des procédures de commandement. Cela pose l'autorité. Ensuite, il est important de donner du sens aux tâches et aux missions. Cela commence par s'assurer de la bonne compréhension par l'équipe de ce qui doit être fait puis rappeler régulièrement en quoi la mission donnée contribue à celle de l'échelon supérieur et au-delà, à celle de l'entreprise. C'est ce que les militaires appellent l'Etat final recherché. Il est essentiel que chaque collaborateur se sente valorisé par une hiérarchie qui reconnait l'importance de la tâche qu'il réalise. Il faut aussi ne pas craindre de déléguer. Faire confiance a priori, recadrer si nécessaire. Mais pour cela, il est indispensable de s'assurer en amont que les personnes à qui l'on délègue des missions disposent des compétences et des connaissances suffisantes pour réussir. C'est ce que l'on appelle le principe de subsidiarité qui consiste à laisser aux niveaux inférieurs à qui le manager a préalablement partagé son intention générale, une liberté d'action qui encourage l'esprit d'initiative. C'est une clé de la réactivité indispensable dans un monde économique hyper changeant et concurrentiel. En parallèle, cette liberté/autonomie d'action doit être conforté par un « droit à l'erreur ». Ce droit à l'erreur raisonnablement apprécié, libère l'esprit d'initiative.
Il est aussi important d'installer des « routines » de management. Parmi ces routines, des moments privilégiés d'échange individuel avec les membres de l'équipe, des moments plus formels mais réguliers de communication collective, la pratique régulière du feed-back,La célébration des événements marquants qui renforce la cohésion et l'adhésion au projet d'entreprise. Autres points clés, le manager doit lutter contre la rétention des savoirs et favoriser l'émergences des talents, veiller à ce que la promotion de collaborateurs à des fonctions managériales de niveau N-1 tienne compte d'une réelle aptitude à animer une équipe et ne soit pas que le seul fait d'une excellence opérationnelle.
Et qelles sont les erreurs à ne pas commettre ?
Les erreurs sont pour la plupart la conséquence d'un manque de considération pour son propre rôle et pour son équipe. Elles conduisent immanquablement à une dégradation du leadership pour ne pas dire de l'autorité. Parmi ces erreurs, on peut citer : l'arrogance avec les collaborateurs, l'obsession du détail, l'absence d'émotion ou au contraire un excès de proximité. Que ce soit dans le cadre d'une mission de manager dans le privé ou de commandement militaire, l'exercice de l'autorité doit être considéré comme un service avec les devoirs qui en découlent. Ce n'est pas qu'une simple posture hiérarchique ou encore moins le seul moyen d'accroître son salaire. Cela implique d'avoir une forme d'affection pour les personnes que l'on dirige. Le manager qui n'éprouve aucun sentiment pour les personnes qu'il dirige doit se questionner sur ses propres motivations et le sens qu'il donne à son engagement. Toutes ces bonnes pratiques de management inspirent et génère de l'impact. C'est là que l'on reconnait dans l'armée comme dans l'entreprise les vrais leaders : les managers dont on peut dire qu'ils ont des followers.
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