Fraude fiscale : les entreprises sont dans le viseur
La loi du 6 décembre 2013 renforce la lutte contre la fraude fiscale, avec un volet particulier pour les entreprises. Il crée un parquet financier compétent au niveau national pour résoudre les délits complexes.
La fraude fiscale représente en France 60 à 80 milliards d'euros, la fraude sociale, 20 milliards, et les fraudes à la TVA environ 32 milliards d'euros, selon le dernier rapport du syndicat Solidaires-Finances publiques. Un manque à gagner beaucoup trop important pour le gouvernement, qui a décidé de faire de la délinquance financière son nouveau cheval de bataille. Pour traquer ces malversations, le gouvernement a voté le 6 décembre 2013 la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, qui comporte tout un volet pour les entreprises.
Cette loi apporte trois nouveautés majeures. Elle crée un parquet financier compétent au niveau national pour résoudre les délits complexes. Elle améliore par ailleurs les dispositions en matière de lutte contre la fraude fiscale en renforçant les pouvoirs de l'administration fiscale et en aggravant les peines.
La création d'un Procureur financier
La première mesure de cette loi est la création d'un Procureur financier, une entité autonome à l'image du parquet anti-corruption espagnol. Ses compétences ? Poursuivre les atteintes à la probité et les délits de fraude fiscale présentant une grande complexité. Ce procureur aura des compétences exclusives en matière de délits boursiers, et des compétences partagées avec les tribunaux de grande instance (TGI) concernant les délits de corruption d'agents publics étrangers, les atteintes à la probité, l'escroquerie à la TVA, les délits de fraudes fiscales complexes et commises en bande organisée, ou encore le blanchiment de l'ensemble de ces infractions.
La loi instaure par ailleurs dans le code du travail un statut protecteur pour le lanceur d'alerte qui ne pourra être sanctionné, licencié ou faire l'objet de mesures discriminatoires pour avoir relaté ou témoigné de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. "Il appartient à l'employeur de prouver que la décision de mutation d'un salarié est justifiée par des éléments objectifs étrangers au témoignage du lanceur d'alerte, et qu'elle est sans lien avec des dénonciations faites sur un blog ou des réseaux sociaux", commente Kami Haeri, ancien membre du Conseil de l'Ordre et avocat associé au sein du cabinet August & Debouzy.
De nouvelles mesures d'enquête
L'administration fiscale bénéficie par ailleurs d'un renforcement des pouvoirs d'enquête. Elle a ainsi la possibilité de réaliser des enregistrements, de mettre en place des dispositifs de surveillance, d'intercepter des correspondances, de saisir des données informatiques, de sonoriser des véhicules ou des domiciles.
Jusque-là autorisées pour la criminalité organisée et la corruption, ces mesures sont donc étendues aux atteintes à la probité (corruption, trafic d'influence et prise illégale d'intérêts), aux délits de fraude fiscale commis en bande organisée, aux délits douaniers et aux abus de biens sociaux. "La loi dote également l'administration fiscale de pouvoirs d'infiltration. Elle a désormais la possibilité d'infiltrer un policier dans une entreprise, souligne Valérie Munoz-Penz, avocat senior au sein du cabinet August & Debouzy. Les possibilités de réaliser des perquisitions de nuits et de réaliser des gardes à vue pendant 96 heures ont toutefois été retoquées par le Conseil Constitutionnel".
Pour faciliter la remontée d'informations à l'administration fiscale, la loi introduit la levée du secret professionnel des agents des impôts, de l'Autorité de contrôle prudentiel et de l'Autorité des marchés financiers. Objectif ? Transmettre aux services fiscaux toute information laissant présumer une fraude. Lors d'un contrôle fiscal (inopiné ou non), les comptabilités informatisés seront automatiquement copiées et placées sous scellés afin d'éviter la modification ou la destruction des fichiers entre la visite fiscale et l'examen.
La loi introduit par ailleurs le renversement de la charge de la preuve en matière de blanchiment. L'objectif visé est de simplifier le travail des autorités de poursuite. Il appartient désormais à la personne poursuivie de blanchiment d'établir son innocence et non plus au ministère public de démontrer sa culpabilité. "Nous risquons d'aboutir à des situations extrêmes. Le danger est que soit systématiquement soupçonnée ou pointée du doigt une entreprise qui s'implante demain à l'étranger", confie Philippe Lorentz, avocat associé au sein du cabinet August & Debouzy.
Un arsenal répressif renforcé
La loi prévoit par ailleurs un volet d'aggravation des sanctions. Le contribuable poursuivi pour fraude fiscale (lorsque les faits sont réalisés au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes à l'étranger) est passible d'une amende de 500 000 euros et d'un emprisonnement de cinq ans, contre 375 000 euros et cinq ans d'emprisonnement avant.
Le trafic d'influence d'agent public national, la corruption du personnel judiciaire, d'un agent public étranger ou d'un personnel de juridiction étrangère ainsi que le détournement de fonds publics sont passibles d'une amende de 1 à 2 millions d'euros, contre 150 000 euros auparavant.
Les faits commis en bande organisé, le recours à des comptes bancaires ou des comptes souscrits auprès d'organismes à l'étranger, l'interposition de personnes physiques ou morales établies à l'étranger, l'utilisation d'une fausse identité ou de faux documents, le recours à une domiciliation fiscale fictive à l'étranger, ou encore le recours à des actes fictifs ou à l'interposition d'une entité fictives sont passibles d'une amende pouvant grimper jusqu'à 2 millions d'euros et une peine d'emprisonnement de sept ans, contre 500 000 euros d'amende et cinq ans de prison précédemment.
Il est par ailleurs important de souligner qu'une peine de confiscation générale du patrimoine a été créée pour les personnes morales (et non plus seulement pour les personnes physiques) condamnées pour blanchiment.
En plus de ces sanctions, des peines complémentaires particulièrement dévastatrices peuvent être prononcées par le Tribunal. Un dirigeant inculpé d'atteintes à la probité (corruption, trafic d'influence, prise illégale d'intérêts), de fraude fiscale ou d'abus de biens sociaux encourt l'interdiction de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler une entreprise.
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