Dans les coulisses des start-up en hypercroissance
Elles font parler d'elles en dehors de l'Hexagone et sont parfois même leader mondial sur leur marché. Ces start-up françaises devenues scale-up ont toutes un point commun : elles sont en hypercroissance ou y sont passées... Plongée dans les coulisses de cette phase délicate.
Ni costume, ni cravate. Lui, c'est plutôt jean, " Stan Smith " aux pieds et surtout sweat-shirt sur lequel on peut lire "Meero", le nom de sa start-up. Thomas Rebaud, 31 ans, fait partie de cette nouvelle génération de CEO : formé dans une grande école de commerce, l'EM Lyon, entrepreneur dans l'âme, mais tout à fait décontracté, accessible, farouchement ambitieux et... plus que jamais pressé.
En 2016, il a co-lancé sa plateforme web internationale d'intermédiation entre photographes indépendants et clients B to B (immobilier, voyage, hôtellerie, restauration), souhaitant commander des images standardisées pour leurs kits de communication, sites web, médias sociaux, etc. L'idée de Meero est loin d'être la plus disruptive de l'histoire de la " start-up nation ". Mais qu'importe, la croissance, ou plutôt devrait-on dire " l'hypercroissance " est au rendez-vous. En témoignent ses données économiques. En à peine trois ans d'existence, Meero c'est déjà 600 collaborateurs, 58 000 photographes inscrits sur sa plateforme et surtout, une levée de fonds record en juin dernier de... 203,7 millions d'euros.
Dans l'histoire des start-up tricolores, c'est du jamais vu après si peu d'années d'existence. Meero est donc entrée dans le club très select des "licornes" bleu blanc rouge (des start-up non cotées en bourse, mais valorisées à au moins 1 milliard de dollars) aux côtés des célèbres BlaBlaCar, Doctolib ou l'hébergeur OVH pour ne citer qu'elles. " À la fin de l'année, nous serons 1200 collaborateurs. L'ambition est claire : nous voulons être les leaders sur notre segment. Je ne veux pas attendre vingt ans pour faire ce qui est réalisable en cinq ! C'est ma philosophie ", lance Thomas Rebaud, dont la diction est aussi rapide que son rythme de travail.
Autopsie de l'hypercroissance
" L'hypercroissance " n'a pas de définition économique gravée dans le marbre. La plupart des experts l'apparente à une jeune entreprise dont le chiffre d'affaires augmente très fortement en peu de temps. 40% ou plus d'augmentation en trois ans est souvent l'un des indicateurs retenus pour dire qu'une société est en " hypercroissance ".
La plupart du temps, ce grand bond économique coïncide avec une levée de fonds conséquente et est initié par les fondateurs d'une entreprise, désireux de la voir prendre une autre dimension économique et/ou, parfois répondre à une augmentation rapide et significative de sa base client. La scale-up française BlaBlaCar, co-fondée par Frédéric Mazzella, Nicolas Brusson et Francis Nappez, incarne bien ces deux caractéristiques. En 2006, lors de sa création, le covoiturage est au début de son ascension en France. À mesure que les années avancent, le phénomène s'amplifie très fortement suivant le rythme d'un changement de mentalités des Français, qu'ils soient conducteurs ou pas.
BlaBlaCar, devenu leader de son secteur en France, puis en Europe et aujourd'hui dans le monde, a d'une part répondu à une demande croissante de ses clients et, d'autre part, réussi son pari d'être numéro 1 sur son business. 1,25 million d'euros en 2010, 7,5 millions d'euros en 2012, 100 millions d'euros en 2014, 200 millions d'euros en 2015 : les levées de fonds successives de la scale-up se sont enchaînées, enclenchant plusieurs séquences d'hypercroissance. Mais attention, le fondateur du leader mondial du covoiturage, Frédéric Mazzella, prévient : " Ça, c'est notre histoire. Ce que j'observe aujourd'hui est que les levées de capitaux d'hypercroissance se font beaucoup dans les start-up ayant un modèle basé sur le digital. Sur ce secteur, la concurrence est rude et se trouve bien souvent à un clic. Ces start-up ont besoin de prendre très vite des parts de marché sous peine d'être distancées. Une entreprise qui vend des objets physiques par exemple ne connaîtra pas forcément une hypercroissance. Elle aura pourtant une croissance et pourra devenir rentable comme les autres. Attention à ne pas faire un dogme d'un phénomène venu des États-Unis. Il a ses vertus, mais possède aussi ses inconvénients. "
Témoignage
" Nos relais de croissance n'ont jamais vu le jour "
Damien Morin, ex-CEO de Save et fondateur de Mobile Club
"Dans la course à l'hypercroissance, on parle plus souvent des succès que des échecs. Pourtant, ils sont eux aussi riches d'enseignement et surtout, loin d'être irréversibles. C'est ce qu'a vécu Damien Morin, 28 ans et ex-CEO de Save.
Créée en 2013, cette start-up avait fait le pari de faire réparer en 20 minutes son smartphone, sa tablette, son ordinateur, via un réseau de points de vente de proximité postés dans des gares, aéroports et centres commerciaux. Le succès est fulgurant. En 2015, elle lève 15 millions d'euros et recrute massivement jusqu'à atteindre 450 salariés. C'est l'hypercroissance. Mais en 2016, malgré un chiffre d'affaires de 12 millions d'euros et une autre levée de fonds, c'est la chute libre. Save se déclare en cessation de paiements.
Damien Morin peine à s'exprimer sur cette expérience aujourd'hui. Pourtant, il y a trois ans, il la qualifie en ces termes au média spécialisé Madyness : " Nous avions un mauvais contrôle de nos achats, la finance était approximative, notre gestion de stock était brinquebalante, les vols en corners ont pris une ampleur considérable, nos points de vente en Allemagne et en Espagne ont été un échec, nos relais de croissance n'ont pas vu le jour, et j'en passe... Nous cramions trop d'argent et nous ne savions pas comment. "
En 2017, Save est finalement revendue à une start-up concurrente, Remade. C'est la fin d'une aventure entrepreneuriale pour Damien Morin. Il poursuit : " Quand j'ai monté Save, j'avais 23 ans, je manquais d'expérience, mais je ne regrette rien. Il y a eu des moments formidables et j'ai énormément appris. " Aujourd'hui, l'entrepreneur s'est embarqué dans une nouvelle aventure : Mobile Club. Créée en juin 2018, sa nouvelle start-up propose la location de smartphones d'occasion sans engagement."
Témoignage
"Embaucher des talents qui s'adapte à notre ADN"
Armand Thiberge, co-fondateur et co-CEO de Sendinblue
Co-fondée en 2012 par Armand Thiberge, Sendinblue est une scale-up discrète. Pourtant son succès a de quoi inspirer nombre de start-uppers français. Membre de l'indice Next40, 20 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018, 50 000 clients à travers le monde, 250 employés : cette société, qui se donne la mission de "démocratiser le marketing digital" pour les start-up et les PME (ses principales clientes), connaît une ascension continue depuis six ans. " Autant vous dire que l'hypercroissance, nous connaissons !"
Avec 250 employés répartis en trois bureaux à Paris, Seattle et Noida (Inde), Sendinblue a été confronté au défi de recruter en masse. Armand Thiberge précise: " C'est le premier challenge de l'hypercroissance pour moi. Dans un temps record, il faut embaucher les meilleurs talents. C'est une tâche difficile qui occasionne parfois des ratés. Ensuite, ces nouvelles personnes, il faut les former et les intégrer à l'esprit, l'ADN de son entreprise. Dans notre cas, il y a en plus l'aspect multiculturel, c'est un paramètre à ne pas négliger. "
Quid de la partie process ? Pour cet ancien de l'École Polytechnique, cette partie-là est nécessaire, mais n'est pas la plus difficile. " C'est de la cuisine interne, confesse-t-il. Le plus essentiel est cet enjeu humain. L'équipe, c'est le plus important. En tant que co-CEO, je m'efforce toujours de cultiver une proximité avec mes collaborateurs. Très vite, on peut se retrouver à survoler. Cet écueil peut mettre une boîte en péril. Il ne faut pas perdre son âme en grandissant. "
SENDINBLUE
Solution logiciel en SaaS de marketing relationnel
Paris (13e)
Armand Thiberge, co-fondateur et co-CEO, 37 ans et Mickaël Arias, co-CEO
SAS > Création en 2012 > 250 employés
CA 2018 20 M€
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