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Quotidien de Daf - Xavier Cruchet, Daf d'Ingredia

Publié par Florian Langlois le | Mis à jour le

Dans ce nouvel épisode de "Quotidien de Daf", la rédaction vous propose une entrevue avec Xavier Cruchet, Daf d'Ingredia, qui revient sur l'ensemble de sa carrière, lui qui a également passé plus d'une dizaine d'années chez Bridgestone. Il détaille aussi les projets qu'il a préféré mener et nous parle de ses envies d'entreprendre.

Pouvez-vous nous présenter Ingredia ?

Ingredia, c'est une coopérative laitière, la Prospérité fermière, qui se trouve dans le nord de la France. Nous travaillons avec 750 exploitants et récoltons 400 millions de litres de lait. Nous employons 450 personnes pour un chiffre d'affaires d'environ 430 millions d'euros 2022. Nous avons une filiale aux États-Unis, une filiale en Asie, une filiale au Canada. Donc une belle ETI des régions Nord de France.

Pour revenir à votre début de votre carrière, qu'est-ce qui vous a conduit à la finance d'entreprise ?

J'avais l'espoir de devenir expert comptable, comme mon oncle. J'ai commencé en cabinet pendant 3 ans en alternance. J'avais l'ambition de reprendre son cabinet un jour, chose que je n'ai pas fait parce que j'ai rencontré l'amour.

Quelle expérience vous a la plus marquée dans votre carrière ?

Mon passage chez Bridgestone. C'est un groupe international. Nous sommes gérés par des Japonais, qui ont une culture différente. Il faut aussi jouer avec l'Europe. C'est pas toujours évident de s'adapter à la culture japonaise, tout en prenant en compte les cultures européennes, parfois locales, qu'elles soient française, belges ou hollandaises. C'est l'expérience que j'ai eue chez Bridgestone.

Pour vous, qu'est-ce qu'un DAF aujourd'hui ? Quel est son rôle ?

On est vraiment près du DG. On est peut-être le seul à lui parler à l'oreille et lui donner des conseils, lui dire de faire attention à certains points. Il est important d'être près d'eux. Ils sont très seuls et ont beaucoup de décisions à prendre. On doit être un contre-pouvoir, avoir le pouvoir de dire oui et le pouvoir de dire non. Pas toujours non, parce que ça serait trop mal perçu. On est là pour montrer le bon chemin. On dit que tous les chemins mènent à Rome. Mais il peut y avoir des problèmes pour y arriver, des détours. J'avais eu cette expression la dernière fois. On est un peu le GPS du chef d'entreprise. On est là pour lui d'emprunter le meilleur chemin.

Quelles sont les 3 grandes qualités d'un DAF pour vous aujourd'hui ?

La première chose, c'est l'écoute. Il faut vraiment partager avec les équipes, les écouter, voir ce qui est fait en interne et en externe. La deuxième chose, c'est d'être curieux pour continuer de progresser, aller voir ce qui se passe ailleurs, aller voir ce qui se passe en entreprise, de voir le meilleur. Et puis la troisième chose, c'est notre polyvalence. On est au coeur de tous les sujets. L'an dernier, c'était l'énergie. Je n'avais jamais acheté du gaz de ma vie, d'électricité. J'ai du m'en occuper, aller vers ce marché. Je je ne suis pas acheteur. J'ai dû m'y mettre rapidement, connaître les ficelles de ce métier et puis voir que la situation était difficile. Un vrai caméléon.

Comment est-ce que vous avez vu votre métier évoluer depuis 5, 10 ans ?

Le plus gros signe, c'est vraiment tout ce qui est vert. Durabilité, RSE, etc. Il y a 10 ans, ce n'était pas un sujet dans la direction financière. On ne m'avait jamais demandé de m'occuper de l'extra-financier. Ce qu'on nous intéressait, c'était l'EBITDA, la performance au sens pure : savoir où on faisait des économies d'argent et où on pouvait en gagner plus. Mais l'idée de retirer le bouchon d'une bouteille d'eau, ou mettre des bouteilles à disposition des salariés qui pourront la remplir à des fontaines C'est ça, je n'y avais jamais pensé.

Quelles sont les évolutions que vous voyez à venir dans les années futures ?

Il faut vraiment continuer à s'adapter au monde de demain. On est parti dans le climat. Chez nous, il sera difficile de diminuer notre consommation de CO2, parce que 85% de cette consommation provient de la vache. Nous allons donc essayer de travailler sur l'eau parce qu'on utilise beaucoup l'eau, notamment pour nettoyer nos outils. Il faut alors travailler sur la façon de récupérer l'eau qu'on a utilisé. Il y a le sujet de l'énergie, bien sûr. On a mis en place une chaudière biomasse. C'est un début mais ce n'est pas suffisant. Il faut réfléchir sans cesse. Et avant, ce genre de sujets n'était pas dans le périmètre du Daf.

Quel a été le premier chantier que vous avez mené chez Ingredia ?

Le premier chantier a été de baisser le BFR. Nous avons un problème chez la prospérité fermière. Nous essayons de donner la meilleure rémunération aux éleveurs, le meilleur salaire aux collaborateurs et nous devons investir dans notre outil de transformation. Donc comment vous devez garder de la performance tout en allant chercher de l'argent pour investir dans les outils. C'est ça, notre problèmatique au quotidien. On doit faire une nouvelle tour de séchage, soit plus de 80 millions d'investissements. Il faut réflechir à comment faire pour la rembourser tout en donnant toujours la meilleure rémunération aux éleveurs et aux collaborateurs. On revient à une notion de cash et il est nécessaire d'aller voir plus loin.

Quel est le projet que vous avez préféré mener au cours de votre carrière ?

De toujours être près des clients. J'ai passé beaucoup de temps avec les clients dans ma carrière, toujours avec cette idée de les aider. On m'a souvent défini comme étant un couteau suisse. Chez Bridgestone, j'ai eu la chance de beaucoup travailler avec les acteurs du monde du pneumatique. Il a fallu aider les partenaires, trouver des solutions, être innovant pour se démarquer d'un gros concurrent, Michelin. J'ai beaucoup aimé travailler là-dedans.

Et quel est le prochain challenge que vous aimeriez relever ?

Je me dis toujours que j'ai une âme d'entrepreneur. Plusieurs fois dans ma carrière, j'ai eu des opportunités de reprendre des affaires. Ça ne s'est jamais fait parce que je n'ai sans doute pas eu suffisament de courage pour me lancer. Aujourd'hui, mes enfants ont fini leur cursus universitaire, je n'ai plus cette problématique financière. Peut être qu'à terme, je me laisserai séduire par cette idée. Ca peut être l'occasion d'avoir quelque chose à transmettre à mes enfants également. Parce qu'on le disait, le Daf est très proche du chef d'entreprise. Parfois, il peut prendre sa place. On voit de plus en plus de directeurs financiers qui deviennent directeurs généraux.

Quelle est la situation la plus délicate que vous ayez eu à gérer dans votre carrière ?

J'en reviens aux clients. Je travaille avec mes collaborateurs en grande confiance. L'être humain, je l'aime beaucoup dans le collaboratif et dans le partage. Une fois, mon directeur général m'a dit « la confiance n'exclut pas le contrôle ». Je me suis retrouvé à aider des clients, qui ont fini par déposer le bilan. Il faut alors expliquer que vous avez amené une perte à votre entreprise et que c'est entièrement de votre fait. J'ai failli perdre ma place à l'époque. Dans le coup, on a racheté l'entreprise. Mais c'est vrai que je suis peut être allé trop loin dans la confiance. A un moment donné, il faut être capable de dire non.

Comment est-ce que vous fonctionnez avec vos équipes au quotidien en tant que manager ?

C'est avant tout la confiance. Je suis beaucoup dans la démocratie. Je n'hésite pas à leur demander leur avis. On fait aussi des one-to-one une fois par trimestre, ce qui permet aux collaborateurs de dire ce qu'ils ont envie de dire. On en profite pour rappeller les objectif, faire le point sur ce qui va et ce qui ne va pas. On a pas à attendre l'entretien de fin d'année pour faire le point. On a un vrai échange avec les collaborateurs. Ce qui fait qu'au final, vous allez perdre un à deux collaborateurs chaque année, mais ça évitera d'en perdre cinq ou six avec la problématique de la gestion des talents. Il y en a qui voudront toujours faire autre chose ou à qui l'entreprise ne plaira plus. Mais je les perds rarement par ma faute.

On a compris ce qui vous animait dans le métier de DAF, quelle est, au contraire, la tâche ou la mission que vous n'aimez pas faire ?

Dans la direction financière, on produit des chiffres. On les adore ces chiffres, les torturer, les malaxer, les retourner, etc. Mais je n'ai jamais autant écrit. On me dit de regarder des contrats juridiques, de faire des rapports de gestion, de faire des rapports extra-financiers, de raconter des histoires. À la base, si j'ai fait des études mathématiques, et de la finance, ce n'était pas pour être littéraire. Et aujourd'hui, on me demande d'être de plus en plus littéraire. Il faut faire attention à vos paroles, d'utiliser les bons mots, d'utiliser un vocabulaire riche. Ce n'était pas la base du métier. La base, c'était 1 plus 1 qui doit faire 2. C'est une grande difficulté que j'ai un peu du mal à maîtriser.

Avec l'expérience que vous avez aujourd'hui, quel conseil donneriez-vous à l'homme que vous étiez à 15 ans ?

De s'écouter davantage. J'aurais peut-être fait une carrière moins longue chez Bridgestone. Je serais peut être parti un peu plus tôt pour aller voir, comme je viens de le faire, une belle ETI, puis repartir dans un grand groupe. C'est le partage avec les équipes, la curiosité de voir les process différents qui permet d'évoluer. Chez Bridgestone, au bout de 15 ans, je commençais à voir les mêmes choses, à répondre aux mêmes questions : comment réduire les effectifs, comment trouver de l'argent ... A la fin, on a l'impression d'entendre toujours le même message. En arrivant chez la Prospérité fermière, ça a été un nouveau message, une nouvelle entreprise locale, régionale, qui permet de se ressourcer et d'avoir une nouvelle énergie.

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