RUPTURE CONVENTIONNELLE: GARE AUX SANCTIONS!
La rupture conventionnelle, mode de rupture du CDI issu d'un accord entre le salarié et l'employeur, est de plus en plus répandue. Plus de quatre ans après son entrée en vigueur, plusieurs décisions viennent préciser les obligations juridiques à respecter et les sanctions encourues.
Issue de la loi du 25 juin 2008 portant sur la modernisation du marché du travail, la rupture conventionnelle, qui n'a pas la nature d'une transaction, est une convention signée à l'issue d'une procédure spécifique et ne fait pas obstacle à l'engagement de contentieux. La vigilance est donc de mise... Le non-respect des dispositions protectrices prévues par le Code du travail au profit de certaines catégories de salariés est susceptible d'entraîner l'annulation de la convention qui a été conclue et, selon les premières décisions intervenues, la requalification de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences qui s'y attachent: dommages et intérêts pour licenciement sans cause, indemnité compensatrice de préavis...
Rupture conventionnelle en période de suspension du contrat de travail
Selon une circulaire de la Direction générale du travail datée du 17 mars 2009, la conclusion d'une rupture conventionnelle est possible dès lors que le salarié ne bénéficie d'aucune protection particulière (congé parental d'éducation, congé sabbatique, congé sans solde etc.). Elle est donc exclue, en présence de dispositions protectrices, pendant le congé maternité, à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle par exemple.
A ce titre, selon un jugement de mai 2010, une rupture conventionnelle ne peut être conclue avec un salarié ayant fait l'objet d'une première visite médicale constatant son inaptitude (Cons. prud'hommes, Les Sables d'Olonne, 25 mai 2010, Galbourdin c/SARL Tessier Pascal).
Rupture conventionnelle et représentants du personnel
Une rupture conventionnelle peut être conclue avec un représentant du personnel, mais elle doit être autorisée par l'Inspection du travail.
Ruptures conventionnelles conclues dans un contexte économique
Si leur conclusion est possible dès lors que la rupture du contrat ne procède pas d'un accord de GPEC (Gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences) ou d'un PSE (Plan de sauvegarde emploi), elles ne doivent pas en revanche traduire une fraude destinée à écarter les dispositions propres aux licenciements économiques.
A ce titre, la Cour de cassation a jugé que, lorsque les ruptures conventionnelles ont une cause économique et s'inscrivent dans un processus de réduction des effectifs, dont elles constituent l'une des modalités, elles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel et les obligations de l'employeur en matière de PSE (Cass. soc, 9 mars 2011, n° 10-11.581).
Bien entendu, en cas de recours massif aux ruptures conventionnelles, il existe un risque important de refus d'homologation de la part de l'Administration et un risque réel de contestation et de requalification des ruptures homologuées.
Absence de contexte conflictuel
Cette exigence est issue de l'article L. 1237-11 du Code du travail. Le libre consentement donné par chaque partie à la rupture du contrat de travail est en effet essentiel et implique que la conclusion de la convention s'inscrive en dehors de tout litige entre les parties.
Des décisions ont ainsi jugé comme non valables et ont requalifié en licenciements sans cause réelle et sérieuse des ruptures conventionnelles signées à la suite de l'engagement d'une procédure disciplinaire:
- rupture conventionnelle signée peu de temps après la notification d'un avertissement au salarié (Conseil des prud'hommes de Bobigny, 6 avril 2010, X c/SARL Duo Transaction).
- convention de rupture conventionnelle signée à la suite de la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement. En effet, des faits permettaient de constater que le consentement du salarié à la rupture de contrat de travail n'avait pas été donné librement (Cour d'appel de Riom, 18 janvier 2011, M. Cyl Sallé c/SAS EnerGreen Development).
De même, diverses ruptures conventionnelles signées à la suite d'un refus de mutation des salariés ont été requalifiées en licenciements sans cause réelle et sérieuse (Conseil des prud'hommes Bordeaux, 21 janvier 2011). Dans ces hypothèses, il paraît possible de contester que le consentement du salarié à la rupture ait été donné librement. Il importe donc de veiller à ce que la rupture conventionnelle, compte tenu du contexte dans lequel elle est conclue, ne puisse être interprétée comme l'aboutissement d'un contentieux existant entre les parties.
- La rupture conventionnelle est un procédé simple et rapide de rupture du contrat de travail. Cependant, cette démarche obéit à un cadre bien précis, et on ne peut y recourir en toutes circonstances. La vigilance s'impose donc, sous peine de lourdes sanctions.»
Par Emmanuelle Sapène et Romain Aupoix
Avocats au cabinet Péchenard & Associés, département droit social
Créé il y a plus de 50 ans par Christian Péchenard, le cabinet Péchenard & Associés s'est développé autour de quatre départements: communication, entreprise, social, famille et patrimoine. Certifié ISO 9002 et ISO 9001, il compte six associés et 16 collaborateurs.
A NOTER
Une procédure très formaliste
- La forme de la convention
A l'issue d'un ou de plusieurs entretiens, les parties signent un formulaire de demande d'homologation qui revêt un caractère obligatoire. Cette convention de rupture, y compris lorsqu'elle se résume au seul formulaire de demande d'homologation, doit être établie en autant d'exemplaires qu'il y a de parties, revêtue de la mention «lu et approuvé» ainsi que datée et signée par chaque partie.
A défaut, le libre consentement du salarié ne peut être garanti (Cour d'appel de Lyon, 23 septembre 2011, Pereira Olivera c/SAS Bâtiment et génie civil).
- Le droit de rétractation
A compter du lendemain de la signature de la convention de rupture conventionnelle, chaque partie dispose d'un délai de réflexion de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation, sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie. Sont valables l'e-mail émanant du salarié, s'il est en mesure de justifier de sa date de réception par l'employeur, et la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement dans le délai de 15 jours (Cour d'appel de Bourges, 16 septembre 2011, D. c/SAS Inter Metal et B. c/SARL Collinet Lafollas).
Ce délai de 15 jours est par ailleurs intangible. Ainsi, la convention de rupture adressée à l'Administration avant son expiration sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cour d'appel de Lyon 26 août 201 1 , Paulus c/SAS Boutival).
- L'homologation de la rupture
A l'issue du délai de rétractation, les parties peuvent adresser à la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) la demande d'homologation de la rupture conventionnelle, laquelle dispose alors d'un délai de 15 jours ouvrables pour instruire cette demande.
- Le contentieux
Un refus d'homologation, comme tout contentieux relatif à la convention et son homologation, peut être porté devant le conseil de prud'hommes. Sur ce point, il a été récemment jugé qu'en cas de contestation d'un refus d'homologation de la part de l'administration, le conseil de prud'hommes saisi a compétence pour homologuer la convention de rupture, sans qu'il soit dès lors nécessaire qu'une nouvelle demande soit formulée auprès de la Direccte (Cour d'appel de Versailles, 14 juin 2011, DDTEFP des Hauts-de-Seine c/Ridaoui).