LA GED S'ETEND A TOUS LES SERVICES DE L'ENTREPRISE
Considérée comme une discipline «obscure» durant de nombreuses années, la gestion électronique de documents (GED) a progressivement gagné ses lettres de noblesses, au point de devenir incontournable depuis deux ans. La GED, ou ECM (Electronic Content Management), se caractérise par l'utilisation de moyens informatisés pour le traitement de documents électroniques (textes, tableurs, e-mails, formulaires web, images, vidéos, fichiers audio, etc.). Longtemps, elle s'est cantonnée à la numérisation et à l'automatisation de la saisie comptable des factures (lecture automatique des documents, ou LEA). Progressivement, la numérisation/ automatisation s'est propagée à toutes les étapes de contrôle et de validation de la facture, de la réception jusqu'au bon à payer. Aujourd'hui, elle concerne l'ensemble du processus, de l'engagement de l'achat jusqu'au paiement, ou «Purchase to pay» (P2P). « En intégrant les documents venant de l'extérieur (emails, pièces jointes, formulaires web, etc.), et ceux issus du système d'information (feuilles de paie, commandes client, fax, etc.), la GED permet de retrouver des informations, qu'elles soient de source interne ou externe », explique Franck Decker, gérant de ProGEDoc, éditeur et conseil en GED. Il s'agit donc d'une dématérialisation intégrant à la fois les flux fournisseurs (pour la grande majorité des cas de projets GED) et, dans une moindre mesure, les flux clients. En synthétisant de ces data, l'objectif de la GED est de parvenir à constituer un référentiel de l'ensemble des documents de l'entreprise, qu'ils soient structurés ou non, pour gérer leur cycle de vie, de leur création à leur éventuelle destruction.
CHARLES DU BOULLAY, DIRECTEUR GENERAL D'ARKHINEO
« La GED évite des manipulations manuelles longues et fastidieuses. »
JEROME MENDIELA, RESPONSABLE BUSINESS DEVELOPPEMENT CHEZ NUMEN
« La GED permet de capturer un flux d'informations à l'instant T, de l'organiser pour le partager et/ou l'enrichir. »
JOCELYN BOURIANT, RESPONSABLE DU SYSTEME D'INFORMATION D'INDDIGO
« Veillez à impliquer les utilisateurs référents dans le projet de GED. »
A SAVOIR
Le marché de la GED d'hier à aujourd'hui
Il faut remonter à 1985 pour commencer à entendre parler de cette discipline avec l'apparition des premiers supports non réinscriptibles (les supports Worm, disques optiques numériques) qui ont contribué à la dématérialisation. « De 1 985 à 1 990, tous les brevets rattachés à ces outils étant français, les éditeurs nationaux ont dominé le marché, souligne Jean-Louis Pineau, consultant et associé senior chez Axéodoc, société spécialisée dans le conseil en gestion documentaire. Progressivement, les Américains se sont positionnés sur ce marché et sont devenus les acteurs incontournables de la discipline.» Selon la dernière étude sur ce secteur, publiée en 2009 par le cabinet SerdaLAB, le marché français de la GED et de la gestion de contenu s'est élevé à 1,1 milliard d'euros en 2008, en progression de 8 % par rapport à 2007. Le marché de l'archivage électronique pesait, quant à lui, environ 320 millions d'euros et bénéficiait d'une croissance de l'ordre de 3,8 % par rapport à 2008. Sur le plan mondial, selon des études Knowings et Gartner, le marché de la GED représentait, en 2010, plus de 4 milliards de dollars.
POURQUOI METTRE EN PLACE UNE GED
De nombreuses raisons justifient le déploiement d'un projet GED, notamment un déménagement. «Emménager dans de nouveaux locaux est souvent l'occasion d'optimiser l'exploitation de la surface en diminuant l'espace occupé par le support papier», observe Jean-Louis Pineau, consultant et associé senior d'Axéodoc, société de conseil spécialisée dans le conseil en gestion documentaire. Généralement, c'est la mise à jour du système d'information qui incite les organisations à franchir le pas. Une évolution qui se traduit par la dématérialisation des factures fournisseurs, évitant ainsi une saisie manuelle dans le système comptable. Les outils sont en effet capables d'extraire les informations et de les transmettre au service comptabilité.
Un projet GED peut être motivé par la volonté de partager plus efficacement et plus rapidement les données entre les collaborateurs. Il permet aussi d'obtenir un classement «plus propre» de l'information, en évitant notamment les doublons.
La GED se justifie également lorsque des documents sont amenés à être très régulièrement consultés et modifiés. Comme le souligne Jérôme Mendiela, responsable business développement chez Numen, spécialiste de l'externalisation de services et notamment de la dématérialisation, «une entreprise a tout intérêt à passer à la GED lorsque ses salariés doivent consulter simultanément de nombreux documents, a fortiori si ce cas de figure se renouvelle souvent». Bien sûr, la GED sera d'autant plus avantageuse que les équipes sont éloignées géographiquement. «Elle permet de capturer un flux d'informations à l'instant T et de l'organiser pour le partager et/ ou l'enrichir», précise Jérôme Mendiela. Cette faculté d'enrichir des documents par consultations successives doit se faire par l'intégration d'un circuit de validation (workflow).
Enfin, la GED permet de contrôler des flux grandissants de données (à la fois fournisseurs et clients), une option intéressante quand une entreprise connaît une forte croissance. Elle représente un bon moyen d'améliorer le confort de travail, «car elle évite des manipulations manuelles longues et fastidieuses», souligne Charles du Boullay, directeur général d'Arkhinéo, tiers de confiance, spécialiste en service d'archivage de données électroniques. Enfin, outre les économies sur le coût du papier, un projet GED permet à l'entreprise de faire un pas de plus dans le sens du développement durable.
L'investissement requis dépend bien évidemment de la taille et de la nature du projet, ainsi que du nombre d'utilisateurs. Quelques chiffres cependant: une PME devra en moyenne investir (en mode licence) entre 90000 et 150000 Euros pour une centaine d'utilisateurs.
Concernant les gains économiques, voici quelques chiffres à titre indicatif. Pour les factures, le traitement d'une version papier coûte, en moyenne, 15 Euros à l'entreprise. Selon différents acteurs du marché, la gestion en flux électronique permettrait une réduction de ce coût comprise entre 40 et 50 %. Des gains sensiblement équivalents sont avancés dans le cas d'un projet GED portant sur la gestion du courrier entrant. Sur le plan de la productivité, la grande partie du coût d'un archivage physique provient de la mise à jour des classeurs/ dossiers. «Le temps consacré aux manipulations de documents est d'environ une heure par jour et par collaborateur. Il est facile d'évaluer la marge de progression de ce coût de manipulation en basculant sur un projet GED», commente Jérôme Mendiela (Numen). En outre, les projets GED ont un impact important en matière de relation client... surtout s'ils sont associés à la mise en place d'un CRM. En raccourcissant le temps de traitement des dossiers clients, un meilleur traitement de leurs demandes est envisageable et fortement apprécié sur des plateaux de centres d'appels.
A NOTER
La valeur juridique des documents électroniques
Contrairement à ce qui se passe chez nos voisins belges, espagnols ou luxembourgeois, la valeur probante d'un document s'établit, dans notre droit national, à partir de la source de sa création. Autrement dit, si l'original d'un document numérisé est un document papier, c'est ce papier qui fait office de preuve dans l'hypothèse d'un éventuel litige. A contrario, si le document source est numérique et qu'une copie papier est effectuée, seul le document numérique est probant. Dans ce cas de figure, par mesure de sécurité, il convient d'être vigilant sur le processus de certification à mettre en place (logiciel, matériel...) tout en tenant compte de l'horodatage, qui consiste à associer une date au processus.
En conséquence, les entreprises doivent, en cas de projet visant à numériser l'ensemble des documents historiques papier, conserver ces originaux, seuls recevables à titre de preuve en justice.
STEPHANE GRIGNON, Daf d'Express Marée
CAS PRATIQUE
Express Marée développe la GED depuis dix ans
Société de transport spécialisée dans les produits de la mer, Express Marée est tombée dans la marmite GED en 2001, date à laquelle les photocopieurs ont été remplacés par des modèles laser Toshiba. L'entreprise en a alors profité pour s'équiper d'une solution GED estampillée Novaxel. «Nos premiers pas dans la GED se sont concrétisés par l'archivage automatique des factures générées par notre logiciel métier, qui sont ensuite reversées dans les dossiers clients», souligne Stéphane Grignon, le directeur administratif et financier.
Séduite par cette première incursion, l'entreprise a, au fil des années, renforcé son programme de GED. A commencer par la dématérialisation des factures clients (signature et certification) en 2007, en passant par la numérisation et l'archivage des bons de transport en 2008, pour finir par l'archivage automatique des factures fournisseurs (grâce aux codes-barres type «QR Code») mis en place en 2011. «Sans oublier l'ensemble des documents liés aux ressources humaines (contrats de travail, bulletins de salaires, etc.) », ajoute le Daf. Les gains sont multiples. D'une part, l'espace occupé par l'archivage physique s'est réduit. D'autre part, les managers ont insufflé une dynamique écologique à l'entreprise, avec la diminution de la consommation de papier et son recyclage. Enfin, le gain économique n'est pas négligeable puisqu'en 2005, il avait été chiffré à 60 000 Euros par an. En 2011, il est estimé à environ 100 000 Euros.
REPERES
Raison sociale: Express Marée
Activité: Transport de marchandises
Dirigeant: Gérard Raynaud
Forme juridique: SAS
Effectif: 420 salariés
CA 2011: 37 MEuros
NE NEGLIGEZ PAS LES PHASES DE TEST
En raison de son fort impact sur l'organisation de l'entreprise, un projet GED doit suivre quelques règles fondamentales. Il convient de s'assurer de l'implication totale des utilisateurs en les intégrant au projet, ainsi que les dirigeants, comme le suggère Jocelyn Bouriant, responsable du système d'information d'Inddigo, société de conseil et ingénierie en développement durable: «Le projet GED doit être porté par les dirigeants tout en gardant à l'esprit la nécessité d'intégrer, dans un premier temps, les utilisateurs référents, avant d'assurer régulièrement des phases de formation.» En outre, la mise en place de phases de testing/piloting ne doit pas être négligée. Jocelyn Bouriant souligne qu'il ne faut pas brûler les étapes: « Nous avons appris à nos dépens qu'une période de maquettage était indispensable à la mise en oeuvre d'un projet GED, et ce même si le travail de l'éditeur (en l'occurrence OpenText, NDLR) est en tout point professionnel. »
Deux modes de facturation et d'hébergement sont possibles: acquisition de licence ou mode locatif (via le SaaS et le cloud computing). Il est d'ailleurs intéressant de constater que la GED s'est rapidement répandue au sein des PME grâce au SaaS, un mode particulièrement bien adapté à cette catégorie d'entreprises (pas d'achat initial, la facturation se fait à l'usage).
Un projet GED réclame la mise en place d'un socle référentiel commun à toutes les sources documentaires de l'entreprise. Ceci afin de mutualiser le processus de recherche, donc d'optimiser la pertinence des résultats obtenus. Comme l'explique Olivier Petit, expert solutions chez OpenText, éditeur de solution GED, «il s'agit de centraliser tous les contenus numériques, tout en tenant compte des contraintes d'architecture propres à chaque client». Il est également important de déterminer ce qui est éligible dans le projet. Un bon projet GED sous-entend une réflexion sur la cartographie des flux et des stocks de documents à dématérialiser.
Désormais mature, la GED ne cesse d'évoluer en se renforçant par de nouvelles disciplines. La dernière en date - la gouvernance de l'information - qui n'en est qu'à ses balbutiements, a pour objectif une meilleure maîtrise de l'information au sein de l'organisation. Elle consiste à veiller à la parfaite actualité des fondamentaux de l'entreprise, via une mise à jour régulière effectuée par les managers, lesquels forment l'instance de gouvernance de l'information. Par fondamentaux de l'entreprise, il faut comprendre les « informations indispensables à l'exercice de sa profession et qu'il convient de partager et conserver», explique Jean-Pascal Perrein, président de 3Org Conseil, cabinet de conseil en gestion de l'information. « En couplant cette gouvernance de l'information avec un projet GED, les managers ont la possibilité de créer des ponts entre les différents services d'une entreprise, trop souvent perçus comme des silos hermétiques», conclut-il.
OLIVIER PETIT, EXPERT SOLUTIONS CHEZ OPENTEXT
« Il faut avant toute chose centraliser les contenus numériques en tenant compte des contraintes d'architecture propres à chaque client. »
POUR ALLER + LOIN
Le potentiel de mise en place de projets GED reste important
Selon le baromètre 2011 sur la dématérialisation, initié en 2009 par la DFCG (Association française des directeurs financiers et de contrôle de gestion), l'APDC (Association des professionnels et directeurs comptabilité et gestion), l'AFDCC (Association française des credit managers et conseils) et Itesoft (éditeur spécialisé dans la GED):
- En 2009 et 2010, les progrès à effectuer sur les processus des traitements des achats et factures portaient sur la réduction des coûts de traitement. En 2011, ils concernent la réduction des délais de traitement.
- A la question «Comment accélérer les temps de traitement?», la réponse reste la même depuis 2009 avec, en première position, la notion de rapprochement des données portant sur les commandes, factures et livraisons.
- Un tiers des entreprises déclarent vouloir mettre en place un projet de dématérialisation dans moins de 12 mois.
- Parmi les deux tiers de répondants ayant déjà mis en place une solution de dématérialisation, 55 % indiquent ne pas en avoir évalué le ROI en 2011. Un taux comparable aux éditions précédentes.
- Toujours en 2011, les deux tiers des entreprises n'ont pas mis en place de projet de dématérialisation sur des flux clients, donc sortants.
Méthodologie: 433 personnes représentant 405 sociétés ont répondu au questionnaire en 2011. 41 % de ces répondants sont issus de PME
A NOTER
Les principaux acteurs
Les grandes entreprises peuvent se tourner vers des acteurs spécialisés tels que Documentum du groupe EMC, FileNet Content Manager d'IBM, le Canadien OpenText avec ECM Suite, Adobe ou le challenger Hyland Software. Des éditeurs plus généralistes disposent d'une offre de gestion de contenu d'entreprise, comme Microsoft SharePoint et surtout Oracle avec Content Management.
Les PME pourront plus facilement s'orienter vers des éditeurs/intégrateurs spécialisés tels que Ever Team, IRIS, Digitech, Itesoft, Primobox, Cotranet, Perceptive Software, Novaxel ou proGEDoc. Pour les entreprises recherchant des éditeurs moins spécialisés, Cincom ou Digitech sont recommandés. Enfin, celles qui souhaitent opter pour l'open source se tourneront plutôt vers Nuxeo, Maarch ou Alfresco.