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Eclairage pratique sur le financement alternatif des sociétés cotées

Les sociétés cotées ont-elles intérêt à recourir à l'equity line ou dettes convertibles alors même que l'AMF alerte sur les risques liés à ce type de financement alternatif ?

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Eclairage pratique sur le financement alternatif des sociétés cotées
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Le financement alternatif des sociétés cotées à travers l'exercice de " dettes convertibles " - communément appelé " equity line " - existe sur Euronext Paris depuis une vingtaine d'années sous différents acronymes (PACEO, OCEANE, OCABSA, BSA, etc.) et connaît un essor grandissant.

Dans ce contexte, l'Autorité des Marchés Financiers (" AMF ") a publié en juillet 2020 un document afin d'alerter sur " les risques associés au financement par OCABSA et autres formes d'equity lines particulières "(1), c'est-à-dire les lignes de financement en fonds propres des sociétés cotées remboursées in fine par l'émission de nouvelles actions. Plus récemment, le Tribunal de commerce de Paris a eu à se prononcer sur l'exécution d'un contrat de financement de ce type(2).

Le recours aux lignes de financement en fonds propres par les sociétés cotées est souvent appréhendé par les actionnaires avec beaucoup de réserves voire une certaine défiance et ce, malgré les nombreux avantages que peut offrir ce financement. Il convient donc de revenir, point par point, sur l'analyse de l'AMF pour comprendre au mieux le fonctionnement de ce type de financement.

Un financement attractif

A titre liminaire, l'AMF reconnaît l'attrait de ces financements permettant de lever des fonds de manière " rapide " et " flexible (tirage par tranche, à la discrétion de la société) "(3).

D'une part, ce financement est relativement facile à mettre en place dans la mesure où " le plus souvent, ce financement se fait sans qu'un prospectus soit mis à disposition du public et en utilisant une délégation de compétence déjà consentie par l'assemblée générale aux organes de direction "(4). Néanmoins, l'émetteur demeure tenu d'informer le marché par voie de communiqué de la conclusion du contrat de financement, de ses principales caractéristiques(5) et des objectifs poursuivis. D'autre part, le tirage de la ligne de financement est à la main de l'émetteur. Il est d'ailleurs rappelé par le Tribunal de commerce de Paris que l'émetteur a " le droit, et non l'obligation, d'appeler chacune des tranches "(6).

Enfin, ce financement constitue une source alternative de financement " dans un contexte où [les] capacités de financement [de l'émetteur] à court terme sont souvent très limitées "(7). A cet égard, l'un des principaux attraits des lignes de financement réside dans la capacité de l'émetteur à lever des fonds progressivement sans s'endetter ni grever ses actifs.

Un financement incertain dans son montant

L'AMF insiste sur le caractère non garanti du montant annoncé, rappelant à juste titre que " les montants levés sont étalés dans le temps "(8). En effet, ce financement fonctionne par tranches, tirées par l'émetteur selon ses besoins et son agenda. A cet égard, les lignes de financement n'ont pas nécessairement vocation à être tirées en tout ou partie : les contrats de financement peuvent ainsi constituer une " assurance financement " sur laquelle les émetteurs peuvent s'appuyer pour justifier de leur capacité de financement auprès des régulateurs, des partenaires commerciaux ou même des créanciers.

L'AMF ajoute que les montants dépendent de " la capacité du marché du titre à acquérir les titres souscrits par l'investisseur initial "(9). En pratique, le tirage ou le montant des tranches est souvent conditionné à un niveau de liquidité minimum : une liquidité insuffisante fragiliserait le cours en cas d'émission et de vente excessive de nouvelles actions. Il est donc dans l'intérêt de l'émetteur et de l'investisseur de réduire le montant des tranches ou de suspendre temporairement le tirage pour préserver le cours.

Enfin, notons que le recours à des lignes de financement peut être pertinent pour les émetteurs dont le cours souffre d'une liquidité insuffisante (constituant généralement un obstacle pour la montée au capital d'investisseurs institutionnels). Outre un contrat de liquidité, les émetteurs peuvent avoir recours à une ligne de financement en fonds propres : le tirage régulier de petits montants pourra participer à l'amélioration progressive et naturelle de la liquidité du cours par l'émission et la vente de nouvelles actions.

Un financement par le marché in fine

L'AMF considère que la mise en oeuvre de ces financements implique (i) " généralement des dilutions très importantes des actionnaires ", (ii) une " pression à la baisse du cours " et (iii) " un transfert de la totalité des risques du financement sur les acquéreurs du titre sur le marché "(10).

A l'instar d'une augmentation de capital " classique ", l'émission de nouvelles actions implique nécessairement une dilution des actionnaires. En revanche, dans le cadre d'une ligne de financement en fonds propres, le niveau de dilution est fonction du prix de conversion des titres en actions au jour de la conversion : plus le prix de conversion est élevé, moins il y aura d'actions émises et donc de dilution.

La dilution résultant du tirage d'une ligne de financement peut donc s'avérer moindre que dans le cadre d'une augmentation de capital " classique " : à décote équivalente, la dilution sera plus faible pour un même montant dès lors que le cours aura progressé (améliorant ainsi le prix de conversion).

Les émetteurs ont parfois beau jeu d'invoquer la " pression à la baisse " de la ligne de financement et de blâmer l'investisseur pour toute baisse du cours. En réalité, les raisons d'une baisse sont toujours multiples et le Tribunal de commerce de Paris souligne à juste titre que (i) de nombreux facteurs (comme la performance propre de la société, la défiance des actionnaires sur ses perspectives, l'absence d'activité commerciale ou encore la sensibilité du marché aux annonces) peuvent significativement influer sur le cours de l'action(11) et (ii) l'investisseur n'a " aucun intérêt économique à pousser le cours à la baisse et que son intérêt était en fait de le pousser à la hausse "(12).

Enfin, il paraît excessif de considérer que la totalité des risques du financement serait transférée sur les acquéreurs des nouvelles actions émises sur le marché. En effet, l'investisseur se trouve porteur de titres convertibles non liquides (OC, BSA) et d'actions ordinaires et par conséquent, est - à l'instar de tout actionnaire - exposé aux risques de marchés (baisse du cours, baisse de la liquidité, risque de faillite de l'émetteur, etc.). Outre les risques inhérents au marché boursier, l'investisseur supporte un risque contractuel : après avoir reçu les fonds, l'émetteur peut tenter de s'affranchir de ses obligations contractuelles en refusant notamment d'émettre de nouvelles actions(13).

Un risque d'indemnisation de l'investisseur par l'émetteur

Il est une règle à laquelle l'émetteur ne peut déroger : il ne peut émettre des titres à un prix inférieur à la valeur nominale(14). C'est la raison pour laquelle des clauses indemnitaires sont prévues au profit de l'investisseur dans l'hypothèse où le prix de conversion serait inférieur à la valeur nominale(15). L'AMF s'est interrogée sur la licéité de ces clauses(15).

Dans le cadre du litige tranché devant le tribunal de commerce de Paris, l'émetteur n'avait pas manqué de souligner les réserves de l'AMF sur la licéité de la clause, en vain. En effet, le tribunal a validé la force contractuelle des clauses indemnitaires(17) et a également refusé d'attacher à ces clauses le caractère d'une clause pénale (excluant ainsi une réduction judiciaire des indemnités)(18).

Si ces clauses indemnitaires peuvent s'avérer excessivement coûteuses pour l'émetteur(19), il est pourtant aisé de prévenir leur application. Tout d'abord, il convient de s'assurer que le cours est bien supérieur au nominal et le cas échéant, procéder à une réduction du nominal en assemblée générale (" AG ") avant la conclusion du contrat de financement. Il est également possible d'insérer des clauses contraignant l'émetteur à convoquer une AG aux fins de réduire le nominal si le cours s'approche dangereusement de la valeur nominale sous peine de suspension du droit de tirage.

" Respect des dispositions applicables aux augmentations de capital " - Enfin, l'AMF a rappelé qu'il appartient à l'émetteur de " se conformer à la procédure d'augmentation de capital spécifiquement applicable " et que " le recours aux procédures d'augmentation de capital au profit de catégories de personnes ou d'investisseurs qualifiés ne peut avoir pour objet d'éluder les dispositions applicables aux augmentations de capital à une ou plusieurs personnes nommément désignées "(20).

En pratique, les émetteurs disposent généralement de délégations votées en AG pour procéder à l'émission de titres, le cas échéant avec suppression du droit préférentiel de souscription, au profit d'investisseurs qualifiés, avec un montant nominal maximal d'actions à émettre. C'est dans le cadre de ces délégations usuelles que s'intègrent généralement les lignes de financement. En revanche, dès lors qu'il est nécessaire d'adopter en AG une résolution spécifique pour la mise en oeuvre d'une ligne de financement en fonds propres, il conviendra de désigner nommément le bénéficiaire de la résolution, c'est-à-dire l'investisseur.

A cet égard, le tribunal de commerce de Paris a précisé que l'investisseur n'a pas à disposer d'un agrément de prestataire de services d'investissement (" PSI "). En effet, l'émetteur invoquait la nullité du contrat de financement pour violation par l'investisseur de la réglementation applicable aux PSI. Le tribunal s'est notamment appuyé sur la position de l'AMF considérant que " les rédacteurs du document de l'AMF, publié le 6 décembre 2012 puis modifié le 8 janvier 2019(21) , qui connaissent parfaitement la réglementation applicable à ces montages financiers disponibles sur le marché depuis de nombreuses années, ont pris soin de qualifier " d'intermédiaires financiers " et non de " prestataires de services d'investissement " les sociétés participant audits montages avec les sociétés cherchant à financer leur développement "(22).

En conclusion, malgré ses nombreux attraits, la pertinence du recours aux lignes de financement en fonds propres reste encore à démontrer auprès de nombreux acteurs du marché boursier. En réalité, le véritable enjeu réside dans l'allocation des fonds levés dans le cadre de ce financement : un financement uniquement alloué au besoin en fonds de roulement n'apporte aucune valeur ajoutée susceptible de compenser la dilution - en revanche, si les fonds sont alloués au financement de projets de croissance (interne ou externe), le financement participera directement à la création de valeur à moyen et long terme et à l'equity story de l'émetteur.

Pour en savoir plus

Simon Le Reste, MD de Park Partners GP et Docteur en droit

Ancien avocat d'affaires, Simon Le Reste est Managing Director de Park Partners GP. Diplômé du Master Grande Ecole de l'ESCP (2007), il a étudié le droit des affaires à l'Université Panthéon-Assas, avant de passer le barreau de Paris et d'obtenir un doctorat.


Marion Chailan : élève-avocat en droit des affaires à l'Ecole de Formation des Barreaux (EFB), Marion Chailan s'est spécialisée en financement et fusions-acquisitions à l'Université Paris-Saclay.




[1] " L'AMF alerte les émetteurs et les investisseurs sur les risques associés au financement par OCABSA et autres formes d'equity lines particulières ", AMF, 20 juillet 2020.

[2] TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

[3] " Description de la modalité de financement par OCABSA ", AMF.

[4] Ibid.

[5] " notamment : le fondement juridique de l'émission ; - les modalités (un ou plusieurs tirages, à l'initiative de l'émetteur et/ou de l'intermédiaire, etc...) et la volumétrie des tirages ainsi que le pourcentage du capital susceptible d'être émis (en nombre de titres) et la dilution maximum engendrée par ces tirages sur 12 mois et sur la durée de vie du programme ; - la durée du programme ; - les raisons et le montant maximum de l'émission (en précisant que ce n'est qu'un montant potentiel et non garanti) ; - les modalités de détermination du prix d'émission ; - les incidences pour les actionnaires existants ; - les modalités d'accès à l'information concernant les tirages effectués. ", AMF, Position-recommandation - DOC-2020-06 : Guide d'élaboration des prospectus et information à fournir en cas d'offre public et d'admission de titres financiers, 17 juin 2020, modifié le 29 avril 2021, p.93.

[6] TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

[7] " Description de la modalité de financement par OCABSA ", AMF.

[8] " L'AMF alerte les émetteurs et les investisseurs sur les risques associés au financement par OCABSA et autres formes d'equity lines particulières ", AMF, 20 juillet 2020.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] " l'analyse du cours avant et après la période d'exécution du contrat montre que de nombreux facteurs indépendants de la volonté de [INVESTISSEUR] ont influencé significativement le cours de l'action [EMETTEUR] ; qu'ainsi, le cours est passé de près de 10 euros à environ 0,6 euros entre janvier 2016 et le début du contrat du fait de la performance propre de la société et de la défiance des actionnaires sur ses perspectives ; qu'il convient de rappeler à ce sujet que [EMETTEUR] était une entreprise de recherche et développement sans activité commerciale et nécessitant près de 12 millions d'euros de capital par an pour fonctionner ; [...] ; que l'analyse de l'évolution du cours pendant l'exécution du contrat [...] montre beaucoup de volatilité mais pas de mouvement continu évident de baisse ; que le marché était extrêmement sensible à toute annonce faite par [EMETTEUR] ", TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

[12] TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

[13] " [EMETTEUR] a manqué à son obligation essentielle de remboursement du prêt, à son obligation d'exclusivité (art ;4.1.6 du contrat), à son obligation de disposer d'un nombre suffisant d'actions à émettre au regard du nombre d'ORNANE à convertir (art.4.1.5 du contrat) et à son obligation de verser une pénalité égale à 6% du nominal des tranches non appelées (art. 3.1 alinéa 3) ", TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

[14] Article L. 225-128 du Code de commerce.

[15] Par exemple, " Un mécanisme de plafonnement, détaillé à l'alinéa 8.3, permet de limiter ce nombre d'actions à recevoir dans les cas où le cours de conversion deviendrait inférieur au nominal des actions. Dans ce cas, une indemnité en numéraire égale au nombre d'actions au-delà du plafond multiplié par le cours de clôture de l'action le jour précédant la date de conversion, peut être acceptée par [INVESTISSEUR] pour compenser ce plafonnement (ci-après désignée par " indemnité contractuelle de compensation " ", TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

[16] " Sous réserve de l'appréciation souveraine des juridictions compétentes, ces clauses paraissent présenter un risque de contentieux dans la mesure où la validité de certaines stipulations et l'émission des actions correspondantes pourrait donner lieu, selon les cas, à des contestations au regard notamment de l'interdiction de souscrire à ses propres actions (art. L. 225-206 du code commerce), de l'interdiction d'émettre des actions en dessous de leur montant nominal (art. L.225-128 du code de commerce), des règles applicables en matière de réduction de capital (art. L. 225-204 du code de commerce) et de l'interdiction de procéder à une distribution de dividendes fictifs (art. L. 232-11 et L. 232-12 du code de commerce). ", " Description de la modalité de financement par OCABSA ", AMF.

[17] TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

[18] " Attendu que l'indemnité contractuelle prévue à l'article 8.3 de l'annexe 4 du contrat n'est que la compensation pécuniaire de la possibilité de plafonnement par [EMETTEUR] du nombre d'actions à livrer pour honorer les demandes de remboursement de [INVESTISSEUR] ; que cette indemnité ne vient aucunement sanctionner une inexécution contractuelle de [EMETTEUR] et que la clause correspondante du contrat n'a donc nullement le caractère d'une clause pénale ", TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

[19] " Au titre de ces clauses, l'AMF a relevé au moins un cas dans lequel l'émetteur a été redevable de sommes très supérieures au financement reçu ", " L'AMF alerte les émetteurs et les investisseurs sur les risques associés au financement par OCABSA et autres formes d'equity lines particulières ", AMF, 20 juillet 2020.

[20] " L'AMF alerte les émetteurs et les investisseurs sur les risques associés au financement par OCABSA et autres formes d'equity lines particulières ", AMF, 20 juillet 2020 ; articles L. 225-136 et L. 225-138 du Code de commerce.

[21] AMF, Position-Recommandation - DOC-2012-18 : Information du marché lors de la mise en place et l'exécution d'un programme d'equity lines ou PACEO, 6 décembre 2012, modifié le 8 janvier 2019.

[22] TC Paris, 16 mars 2021, RG n°20220022014.

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