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La mutation (ou presque) des professionnels du chiffre, conseils d'entreprises

Les professionnels du chiffre sont doublement confrontés à la remise en question de leur modèle : à travers les contraintes que subissent leurs clients chahutés par les crises à répétition et dans la pratique même de leur métier, chahuté par des risques de banalisation et des défis de modernisation.

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La mutation (ou presque) des professionnels du chiffre, conseils d'entreprises


"Oser, agir, conquérir. " C'est par ce triptyque scandé tout au long du 69e congrès de l'Ordre des experts-comptables, qui s'est tenu à Lyon du 8 au 10 octobre derniers, que la profession comptable a voulu marquer son inscription dans la mutation de son environnement et les défis auxquels sont confrontés ses clients. Dans un contexte économique qui bouleverse les entreprises, " ce congrès sera celui de la métamorphose d'une ­profession qui sait prendre ses responsabilités ", a déclaré Joseph Zorgniotti, président du Conseil ­supérieur de l'Ordre.

Cette volonté de changement, le secteur l'affiche d'abord pour défendre ses platebandes grignotées de toutes parts par l'ouverture à la concurrence, l'essor des nouvelles technologies et la modification des besoins de ses clients. " Il faut arrêter de proposer ce que l'on sait faire pour aller vers ce que les entreprises demandent ", exhortait un des participants au congrès. De cette adaptation dépend la rentabilité d'une profession déjà confrontée à l'érosion de ses marges. "La croissance du chiffre d'affaires en valeur progressera ainsi de seulement 2,4 % par an en moyenne d'ici à 2018", prédit une étude récente du cabinet Precepta. " D'abord, les attaques sur certaines missions (et donc sur le volume d'activité) se multiplient, comme l'allégement des obligations ­comptables des petites entreprises. Ensuite, les pressions déflationnistes s'intensifient sur les missions traditionnelles dans un contexte où les clients sont de plus en plus regardants sur les honoraires ", analysent les auteurs de l'étude.

À l'heure où les professions réglementées sont pointées du doigt par le fameux rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) qui veut s'attaquer aux situations de rentes, l'expertise comptable a beau ne pas faire partie du premier lot des métiers visés, la menace n'est pas bien loin. Déjà, la barrière à l'entrée pour l'exercice de la profession est sérieusement ébranlée par les règles de libre établissement au sein de l'Union européenne qui permettent à un expert-comptable polonais d'avoir pignon sur rue en France, sachant que l'Hexagone est un des rares pays à exiger une formation longue pour détenir le statut d'expert-comptable et/ou de commissaire aux comptes.


1) La pression de la libéralisation

Plus récemment, et depuis l'ordonnance du 30 avril 2014, n'importe quelle personne, physique comme morale, domiciliée en France comme à l'étranger, y compris en dehors de l'Union, exerçant la profession d'expert-comptable ou non, peut contrôler le capital des cabinets hexagonaux. Une étape cruciale dans la libéralisation de la profession d'expert-comptable qui ouvre grande la porte aux capitalistes de tous poils (et pourquoi pas des fonds de private equity ?), y compris quand ils sont implantés en dehors de l'Union européenne. " Avec la libéralisation croissante de leur secteur, les cabinets d'expertise comptable traditionnels devront sortir de leur confort routinier pour clarifier leur positionnement et construire une véritable stratégie d'offre adaptée aux clients qu'ils ciblent ", analyse Stéphane Raynaud, directeur de la publication La Profession comptable, qui rejoint ainsi les préconisations de Precepta : " Les cabinets en place vont devoir élargir le champ de leurs missions en vendant des services à plus forte valeur ajoutée. Cela suppose entre autres de segmenter son offre par métier en spécialisant les équipes. Ils vont aussi devoir conquérir de nouveaux clients en mettant en place une véritable stratégie marketing cross canal. "


À retenir

Signe de cette mutation, le 26 novembre dernier, l'Ordre des experts-comptables de Paris-Île de France annonçait la création d'une cellule dédiée à l'accompagnement des cadres financiers souhaitant devenir experts-comptables inscrits au tableau de l'Ordre.

Objectif : voir la profession s'enrichir de nouveaux profils à forte valeur ajoutée afin de tendre vers le full service aux clients. Lire notre article sur cette cellule


2) Une course à la taille critique

Or, la diversité des prestations d'un cabinet augmente avec sa taille. Les grands cabinets et les grands réseaux sont résolument pluridisciplinaires. Ainsi, les Big bénéficient de nets avantages comparatifs qui les placent hors de portée de leurs plus petits concurrents. D'abord, un niveau de recrutement globalement supérieur à la moyenne, qui attire les jeunes diplômés des meilleures grandes écoles, pour qui ils représentent une sorte de troisième cycle professionnalisant. PwC dispense en France, par exemple, 200 000 heures de formation par an à ses collaborateurs, soit 7 % de sa masse salariale (quand l'obligation légale en la matière est à 1,6 %). Ensuite, une force de frappe et une profondeur internationale qui leur permettent de gérer la certification de comptes établis sur plusieurs territoires, et d'assurer ainsi un accompagnement homogène à leurs clients ETI et grands comptes multisites.

Autant dire que les petits cabinets sont bien démunis face à la force de frappe des géants et sont souvent contraints de tisser des alliances et de s'affilier à des réseaux internationaux s'ils veulent cibler des ­entreprises de taille moyenne ou d'envergure internationale. Alternative aux groupes intégrés (Big Four, Grant Thornton, BDO...), les réseaux fédéralistes comme Baker Tilly, Crowe Horwath, RSM, Kreston, ou Nexia affichent une marque internationale pour les aider à remporter des appels d'offres sans que cela ait de réelles répercussions sur leur organisation. D'ailleurs, dans certains cas, l'affiliation à ces réseaux constitue un pas préliminaire vers une alliance plus aboutie entre membres disposant de briques d'offres ­complémentaires ou cherchant à accroître leur présence auprès de la même cible ou encore à étendre leur ­couverture du territoire. Comme ce fut le cas récemment du regroupement capitalistique des cabinets Dauge et Associés, Fideliance et Exenco, membres indépendants du 9e réseau mondial Crowe Horwath. Des mouvements de concentration appelés à se multiplier ces prochaines années.



3) L'audit RSE, quand le champ des missions s'élargit à l'extra-financier

Longtemps, le développement durable a relevé du domaine du service communication, département marketing, voire de la direction opérationnelle en cas de sujets critiques. Voici qu'il investit le champ de la direction financière depuis que la loi NRE a imposé la publication d'informations sur les conséquences sociales et environnementales de leur activité. En vigueur depuis 2001 pour les sociétés cotées, cette obligation élargit progressivement son périmètre de couverture aux entreprises du non-coté avec la publication du décret d'application de l'article 225 de la loi Grenelle II en avril 2012. Cette obligation de reporting extra-financier est renforcée par la récente directive européenne en date du 15 avril 2014 sur les obligations de publication, par ces entreprises, d'informations extra-financières et d'informations relatives à la diversité. Et à compter de 2016, toutes les entreprises atteignant 100 M€ de CA et 500 salariés, y compris les non cotées, seront soumises à un process de vérification. Actuellement, seules les entreprises cotées le sont.

Et qui dit obligation de publier, dit matière à auditer ! C'est là qu'intervient le CAC. Aujourd'hui, celui-ci n'émet qu'une attestation validant le fait que la démarche a été menée correctement. À compter de 2016, le CAC devra en plus s'assurer que l'information transmise par l'entreprise est sincère, pertinente et que les données ont été déterminées en fonction d'une méthodologie précise. L'idée est de conférer au reporting RSE une qualité comptable. Si les Big Four avaient déjà investi le créneau dès les années 2000, les cabinets indépendants s'y sont mis plus récemment.
Certains en ont fait l'élément essentiel de leur positionnement comme le cabinet Compta Durable, qui a développé une méthodologie "maison", baptisée la méthode CARE, pour aider ses clients à déployer une comptabilité prenant en compte le capital naturel et humain de l'entreprise. Vaste programme !

Plus classique, le cabinet parisien Dauge et associés, membre du réseau international Crowe Horwath, fait aussi partie des 10 cabinets accrédités pour certifier les rapports extra-financiers. Sa démarche s'inscrit dans l'ajout d'une brique complémentaire à son offre dédiée aux ETI et grandes entreprises familiales, qui composent déjà l'essentiel de sa clientèle.

4) Focus sur ...KPMG, le Big Four ancré dans le territoire

Comment allier le prestige de la signature internationale et la proximité du conseiller local, faire la jonction entre la standardisation anglo-saxonne et les racines culturelles franco-françaises ? Cet exercice délicat, KPMG le réussit plutôt bien grâce à son maillage serré du territoire avec ses 238 implantations et quelque 8 300 collaborateurs. Le leader de l'audit et de l'expertise-comptable français revendique un "esprit PME" qui le rapproche de ses clients entreprises familiales et de taille intermédiaire qui représentent le tiers de son portefeuille clients : " Nous bénéficions à la fois de la force de frappe du grand groupe avec un niveau élevé de standardisation dans le respect des normes, l'efficience du back-office et la qualité de la formation de nos collaborateurs mais aussi d'une grande décentralisation dans le management de nos équipes disséminées dans le territoire ", avance Jacky Lintignat, dg de KPMG.

À l'initiative depuis 2009 d'un baromètre trimestriel avec la CGPME pour sonder le moral des dirigeants de PME, KPMG a toujours été attentif à l'évolution des besoins de ce marché : " Les besoins des directions financières de PME et ETI vont aujourd'hui au-delà des prestations classiques de révision des comptes et d'élaboration des documents financiers, pointe Jacky Lintignat. Nos missions de conseil ont étoffé ces prestations, sur l'ensemble des aspects préventifs de la gestion comptable. Nous avons aussi observé l'émergence de nouvelles demandes d'externalisation qui répondent moins au besoin de se délester de tâches à faible valeur ajoutée qu'à la nécessité de faire appel à des compétences pointues. " Cette complémentarité avec les équipes des Daf de PME, KPMG l'entretient d'autant plus que le Big Four constitue lui-même un vivier de recrutement pour les directions financières de ses clients. Une proximité culturelle qui tisse des liens sur le long terme...

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