Loi Omnibus, CSRD : et maintenant, que doivent faire les directions financières ?
Une nouvelle donne réglementaire est en cours de transformer le reporting extra-financier des entreprises. Les dernières annonces de la loi omnibus, entre report et suppression, impactent directement les Daf, selon la taille de l'entreprise. Où en est-on ? Que doivent faire les Daf ? Décryptage avec Jacques-Antoine Schaefer, directeur financier expert en RSE et CSRD, membre du bureau du groupe RSE à la DFCG.

La loi Omnibus, actuellement en discussion au niveau européen, bouleverse les calendriers de mise en conformité à la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Tandis que certains seuils sont revus, la stratégie de reporting extra-financier des entreprises doit être redéfinie. Pour les directeurs administratifs et financiers, la question n'est pas tant de savoir « si » il faut continuer à avancer mais comment. « Bien que les entreprises de 500 à 1 000 salariés aient vu leur obligation de reporting repoussée à 2028, certaines restent en théorie concernées par la DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière) soit les entreprises non cotées, non SAS, entre 500 et 1000 personnes, avec CA ou bilan > 100M€ », nous explique Jacques-Antoine Schaefer, directeur financier expert en RSE et CSRD, membre du bureau du groupe RSE à la DFCG.
Des obligations selon les tailles d'entreprise
Les entreprises de plus de 1 000 salariés (et dépassant 50 M€ de CA ou 25 M€ de bilan) restent concernées par la CSRD selon le calendrier initial. Elles doivent publier un rapport de durabilité dès 2025 conformément aux normes ESRS de 2024.
Les entreprises entre 500 et 1 000 salariés (vague 2), initialement concernées en 2026, voient leur obligation repoussée à 2028, si la loi omnibus était votée. Toutefois, elles demeurent soumises à la DPEF française pour 2025. Pour rappel, les grandes entreprises non cotées devaient se conformer aux obligations dès janvier 2026 (également en vague 2) si elles remplissent au moins deux des trois critères suivants : un effectif supérieur à 250 salariés, un bilan excédant 25 millions d'euros ou un chiffre d'affaires dépassant 50 millions d'euros.
Pour les PME cotées (vague 3), en pratique l'omnibus prévoit également un report de deux ans. « Dans le contexte d'incertitude actuel, les entreprises se demandent si elles doivent poursuivre leurs efforts sur la RSE en 2025 », analyse Jacques-Antoine Shaefer. En effet, les PME cotées ne sont pas soumises à la DPEF avant l'entrée en vigueur de la CSRD pour leur catégorie. Leur première obligation de reporting extra-financier naît avec la CSRD (ESRS LSME), à compter de 2027 (sur l'exercice 2026), avec possibilité de report à 2028.
Les entreprises de moins de 500 salariés quant à elles sortent du champ obligatoire. « Toutefois, les entreprises non soumises à la CSRD pourront publier un reporting de façon volontaire sur la base de normes ESRS simplifiées, inspirées des actuelles normes VSME », précise l'expert.
Vague 1 : des entreprises dans le flou
Les grandes entreprises cotées (>500 salariés) sont déjà tenues de publier un rapport de durabilité sur l'exercice 2024 conforme CSRD. « Mais des incertitudes demeurent : les normes simplifiées promises par la loi omnibus mettront des mois à être définies, discutées et transposées. Les entreprises de la vague 1 devront donc probablement continuer à publier selon les normes actuelles, jugées trop complexes », indique-t-il.
Vague 2 et 3 : deux ans pour se préparer
Pour les entreprises de 250 à 1 000 salariés, le report à 2028 constitue une vraie opportunité. Deux attitudes sont possibles selon l'expert. Une « suspension des efforts » et un retour « au business as usual », soit un recentrage « sur la rentabilité à court terme ».
Autre possibilité une optimisation stratégique. « Profiter de ce répit pour approfondir l'analyse de double matérialité, structurer la démarche ESG en se concentrant sur l'essentiel, dialoguer avec les parties prenantes, et aligner les Kpi ESG avec la stratégie de l'entreprise », conseille Jacques-Antoine Schaefer.
La double matérialité : un levier stratégique
L'analyse de double matérialité permet aux entreprises d'identifier leurs impacts environnementaux et sociaux, mais aussi les risques financiers que ces enjeux peuvent générer. Pour Jacques-Antoine Schaefer « C'est un outil stratégique puissant. Il permet de comprendre où sont les vrais risques financiers, les vrais impacts, les opportunités business, d'orienter les investissements, de renforcer la résilience du modèle d'affaires. » Les normes VSME (volontaires pour les petites entreprises) ne prévoient pas cette double matérialité. « Or, c'est justement cet outil qui permet une véritable appropriation des enjeux ESG. Espérons que les ESRS simplifiées réintroduiront cette analyse de double matérialité ».
Quels enjeux pour les Daf ?
Les directeurs financiers, même sans obligation légale immédiate et en attendant de savoir concrètement ce que Bruxelles décidera, peuvent déjà anticiper les demandes des clients grands comptes ou des investisseurs en structurant un reporting ESG léger, mais crédible, basé sur des indicateurs pertinents. Ce qui peut leur permettre de renforcer la compétitivité de leur entreprise, en s'alignant avec les attentes croissantes du marché (commandes publiques, financement bancaire, etc.).
Si la simplification est saluée, Jacques-Antoine Schaefer alerte sur le risque de perte de dynamique. « Un report de deux ans, c'est aussi un risque de casser le momentum. Mieux vaut conserver une dynamique continue et utiliser ce délai pour ancrer durablement les pratiques ESG dans la stratégie », souligne-t-il.
Le Daf a donc un rôle clé à jouer. Loin d'être un simple exécutant, il est au coeur des choix d'investissement, de la stratégie et de la maîtrise des risques. La CSRD et la loi omnibus doivent être vues non comme une contrainte, mais comme une opportunité de renforcer la crédibilité, la performance durable et la transparence de l'entreprise. « Il y a un alignement parfait entre les missions historiques du Daf et les enjeux ESG. La transformation est en marche. A chacun de s'en emparer », conclut-il.
Stop the clock : accélération du report de la CSRD
Depuis, certains députés européens ont voulu accélérer les choses en mettant en oeuvre une mesure d'urgence intitulée « Stop the Clock » contenue dans la loi omnibus, visant à geler ou reporter certaines échéances de mise en oeuvre de la CSRD, le temps de finaliser les simplifications. Un vote au Parlement européen est donc prévu le 1er avril. Date à laquelle nous saurons (enfin) si le report de la CSRD deviendra effectif pour les entreprises de la vague 2 et 3, et la sortie du périmètre pour les PME non cotées. Une respiration pour elles... mais pas un abandon des enjeux ESG, faut-il espérer. Tout l'enjeu sera de savoir si la RSE que nous connaissions avant ces débats ne pourrait pas se transfomer en une « RSE volontaire » et salutaire pour une grand majorité d'entreprises qui pourraient sortir du champ obligataire ?
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