Recherche

Intérêts intragroupe : déduisez, mais justifiez

Lorsqu'une société française verse des intérêts à une société liée, elle doit faire preuve de vigilance : si le taux d'intérêt excède le plafond légal, il y a un fort risque de refus de la déduction par l'administration fiscale. De récentes jurisprudences assouplissent cette position.

Publié par le - mis à jour à
Lecture
5 min
  • Imprimer
Intérêts intragroupe : déduisez, mais justifiez

Bien qu'il soit très courant pour une société française de verser des intérêts à une société liée – par exemple, un prêt auprès de sa mère ou des paiements à une centrale de trésorerie – les contentieux avec l'administration fiscale sur la déductibilité de ces intérêts sont très nombreux. Ce n'est que récemment que la jurisprudence est venue apporter un peu de visibilité aux contribuables.

Un contexte longtemps difficile pour les contribuables

La problématique se résume comme suit : lorsqu'une société française paye des intérêts à une société liée, qu'elle soit française ou étrangère, et que le taux de ces intérêts excède celui prévu par la loi, l'article 212 du Code Général des Impôts impose à cette société française de prouver que le taux d'intérêts qu'elle paye est effectivement un taux qu'elle « aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ».

Or en pratique, deux difficultés surgissent :

  • Le plafond légal est bas car il ne tient compte ni des caractéristiques du prêt ni de la situation de l'emprunteur : il s'établit par exemple à 1,15% au 4e trimestre 2021 et n'a pas excédé 2% depuis 2016.
  • L'administration fiscale – suivie un certain temps par les juges de l'impôt – est extrêmement restrictive quant aux preuves qu'elle admet pour démontrer qu'un taux au-delà du plafond est acceptable.

En pratique donc, l'administration refusait par principe la déduction de tout intérêt payé à une société liée à un taux supérieur au plafond légal. Elle procédait donc à des redressements systématiques. Face à une jurisprudence longtemps incertaine, il était donc très difficile pour une société française de défendre les intérêts payés à des sociétés liées au-delà du taux légal.

Outre des redressements en France, ceci pouvait générer des doubles impositions à l'étranger puisque les administrations des autres pays n'étaient pas tenues par le taux légal français et pouvaient raisonnablement attendre l'application d'un taux supérieur dans la plupart des situations.

Une évolution de la jurisprudence favorable aux contribuables

Historiquement, l'administration fiscale – parfois suivie par les juges – n'admettait en pratique qu'un seul élément pour démontrer qu'un taux d'intérêt excédant le taux légal était de marché : la production par le contribuable d'une offre contemporaine ferme d'une banque. Cette situation se présentait rarement dans les faits.

Des jurisprudences récentes ont toutefois validé des approches plus réalistes. Le Conseil d'Etat a d'abord explicitement souligné que le contribuable était libre de démontrer par tout moyen que le taux pratiqué était de marché.

S'agissant des moyens de preuve admissibles, le Conseil d'Etat a par ailleurs à plusieurs reprises validé le recours à des études économiques (ou benchmarks de taux d'intérêts). Ces études, jusqu'alors rejetées par principe par l'administration, permettent au contribuable d'apporter une preuve objective et économiquement fiable du taux d'intérêt qu'il aurait pu obtenir d'un établissement de crédit indépendant. Le Conseil d'Etat a également, dans ce contexte, validé le recours à des outils de notation automatisés tels que RiskCalc afin d'aider les contribuables à justifier les taux pratiqués.

De son côté, l'administration a elle aussi amorcé un infléchissement de ses positions en publiant en janvier 2021 une série de 8 fiches pratiques(1) détaillant les modes de preuve admissibles.

L'approche à retenir pour l'avenir

Un élément constant ressort des décisions du Conseil d'Etat, confirmées par les Cour Administratives d'Appel : le contribuable dispose désormais d'une liberté accrue dans la manière dont il peut prouver que les intérêts qu'il verse à une société liée, lorsqu'ils excèdent le plafond légal, sont bien de marché. Toutefois, il doit encore réaliser un sérieux effort de justification pour apporter cette preuve. On notera à cet égard que dans les récentes affaires où les juges ont donné raison au contribuable, ce dernier avait en règle générale réalisé une démonstration très approfondie pour emporter leur conviction(2).

En synthèse donc, face à une administration fiscale qui ne peut plus simplement rejeter leurs études économiques par principe, les entreprises françaises qui versent des intérêts à des sociétés liées ont tout intérêt à apporter une preuve aussi détaillée que possible de la normalité des taux pratiqués pour se doter d'une chance que la déduction.

Pour en savoir plus

Serge Lambert, avocat manager et fait partie de l'équipe Prix de Transfert du cabinet Fidal


Valentin Lescroart, avocat associé au sein du cabinet Fidal, où il codirige le département Prix de Transfert

[1] https://www.impots.gouv.fr/actualite/taux-dinteret-des-emprunts-aupres-dentreprises-liees

[2] Voir par exemple CE, 3e et 8e ch., 11/12/2020, n°433723, SA BSA et CAA Versailles, 3e ch., 29/12/2021, n°20VE03249 et n°19VE02460, SA BSA

Sur le même thème

Voir tous les articles Fiscalité

Livres Blancs

Voir tous les livres blancs
S'abonner
au magazine
Retour haut de page