OPA hostile : comment y faire face ?
A l'image de la guerre entre Suez et Veolia, qui ont finalement trouvé un accord concernant le rapprochement des deux entreprises, les OPA peuvent se révéler redoutables pour les entreprises cibles. Il existe pourtant plusieurs solutions, actionnables par les Daf, pour contrer ce type d'OPA.
" Ce n'est déjà pas facile de réussir une opération de M&A et c'est encore moins facile de réaliser une OPA, surtout hostile ", pour Lionel Lesur, avocat associé en Corporate - M&A et Private Equity du cabinet Franklin.
Dans le cadre d'une OPA hostile, le Conseil d'administration de la société cible, par définition, n'est pas en accord avec le projet. Elle va donc tout faire pour rendre la tâche de l'initiateur difficile. Et, au final, si l'OPA aboutit, la société à l'origine de l'opération sera perçue "comme le grand méchant loup". " Si votre OPA a abouti, vous vous trouvez face à une société qui été fortement ébranlée avec un management et des salariés déstabilisés. C'est une difficulté supplémentaire à prendre en compte lorsqu'on veut lancer une OPA hostile ", explique Lionel Lesur du cabinet Franklin. Ce type d'opérations reste assez rare en France car elle sont complexes et onéreuses. Ainsi, quand elles se produisent, elles font souvent la une des médias à l'exemple de Veolia qui a lancé le 8 février une OPA hostile sur les 70,1 % du capital de Suez qu'il ne possède pas, pour 7,9 milliards d'euros au total. Une OPA finalement conclue après qu'Antoine Frérot, le PDG de Veolia, ait accepté de relever son offre d'environ 1,4 milliard d'euros.
" Dans ce type d'opérations, le Daf de l'initiateur se trouve en première ligne avec la Direction Générale. Son rôle est notamment d'anticiper les difficultés et d'y apporter des solutions ", souligne Lionel Lesur.
Lire aussi : "Les DAF, premiers acteurs de la protection contre les cyberattaques" : Benjamin Leroux (CLUSIF)
Le Daf : une vigie de la cotation de la société en Bourse
Si on se place du côté du Daf de la cible (ou cible potentielle), quels sont ses moyens d'actions et ses recours ? Le Daf a, tout d'abord, un vrai rôle de vigie, qui implique une surveillance accrue du cours de bourse de la société, le conduisant à alerter les membres du Comex en cas de sous-valorisation de l'entreprise, par exemple en cas de crise dans son secteur d'activité. Il doit envisager les mesures permettant de mieux valoriser la société et ainsi la rendre moins opéable. En effet, " quand le marché estime que votre cours de bourse ne reflète pas entièrement sa valeur, l'intérêt financier d'une éventuelle acquisition est évident. C'est la porte ouverte aux OPA, y compris hostiles ", estime Lionel Lesur.
Plus largement, le Daf n'est pas démuni et dispose d'un certain nombre de moyens d'action, tant "à froid", impliquant le Conseil d'administration et éventuellement l'assemblée générale des actionnaires, qu' "à chaud" pour mettre en place certaines défenses anti-OPA.
Un arsenal anti - OPA
Il est ainsi possible d'insérer dans les statuts de l'entreprise des déclarations de franchissement de seuil additionnelles qui obligent chaque actionnaire à déclarer la détention d'une partie du capital de l'entreprise en fonction du seuil fixé. " Cela permet notamment au directeur juridique de bien surveiller ce qui arrive sur votre capital parce que vous avez des prises de contrôle qui sont rampantes. C'est aussi une mesure permettant de se prémunir contre des OPA ", poursuit Lionel Lesur.
L'insertion de clauses de changement de contrôle peuvent également être utilement insérées dans les contrats des dirigeants principaux de la société. Ces clauses peuvent stipuler qu'en cas de changement de contrôle de la société et de révocation du management, le président touchera une indemnité d'un montant très significatif, renchérissant ainsi mécaniquement le coût de l'OPA, voire en diminuant l'intérêt.
De même, une clause de ce type peut être insérée dans les contrats de financement bancaire et ainsi prévoir un remboursement anticipé en cas de changement de contrôle, qui pourrait être très onéreux pour l'initiateur de l'offre.
On peut citer également les autorisations et délégations financières, utilisables en période d'offre publique, qui peuvent être accordées par l'assemblée générale des actionnaires aux organes de direction, leur permettant de réaliser rapidement une augmentation de capital souscrite par l'actionnaire historique.
Le droit de vote double attaché aux actions détenues nominativement depuis 2 ans permet de ralentir la spéculation en identifiant et récompensant les actionnaires de long terme. L'attribution massive d'actions gratuites aux salariés permet également de stabiliser l'actionnariat.
Il existe aussi l'argument de la société en commandite par actions (SCA), qui sépare le pouvoir du capital, " C'est la forme sociale ultime qui vous protège contre une OPA ", tout initiateur d'une OPA désirant pouvoir contrôler la stratégie de la cible.
Enfin, l'insertion dans les statuts d'une raison d'être constitue une nouvelle piste de réflexion intéressante dans la mesure où elle pourrait être opposée à l'initiateur d'une OPA dont les caractéristiques seraient incompatibles avec celle-ci même s'il reste encore à voir comment une telle défense pourrait être mise en oeuvre.
A noter que l'attribution de bons bretons créées en 2006 (exerçables par les actionnaires, en cas d'offre hostile afin d'en renchérir le coût) sont tombés en désuétude.
Il n'existe malheureusement aucun bouclier anti-OPA hostile efficace à 100%. " Si en dépit de toutes les mesures prises, une OPA hostile est lancée, tout le monde doit travailler en équipe : la direction juridique, le CEO, le Daf ... pour faire front commun. "
La quête d'un "Chevalier blanc"
Pour contrer une OPA hostile "à chaud", c'est-à-dire une fois celle-ci lancée, un arsenal d' "armes anti-OPA" est à la disposition de la société. Selon Lionel Lesur, l'entreprise menacée peut se mettre en quête d'un autre acquéreur appelé aussi "chevalier blanc", plus bienveillant et mieux disant, voire, si elle en a les moyens, lancer une contre-offre sur l'initiateur.
L'entreprise ciblée par l'OPA peut aussi mettre l'opération en échec en rachetant elle-même des actifs qui n'intéressent pas l'acquéreur et lui donner un aspect de conglomérat. " Une opération pouvant s'avérer particulièrement dissuasive, notamment si ces rachats sont financés par de l'endettement ", selon la société CMC markets spécialisée dans le trading. La société cible peut au contraire se mettre à céder ses actifs les plus stratégiques afin de ne laisser qu'une "coquille vide" à la société acquérante. C'est notamment ce qu'a fait Suez en plaçant une partie du capital de sa filiale Suez Eau France dans une fondation néerlandaise (appelée "stichting") pour se défendre contre l'offensive de Veolia.
Dans ce contexte, le rôle des hedge funds ou des fonds activistes a évolué ces dernières années. " On voit depuis quelques temps des fonds activistes de plus en plus actifs dans des sociétés cotées ", souligne Lionel Lesur, prenant une part active dans les OPA hostiles. Ils essaient d'utiliser leur influence en vue de fédérer les autres actionnaires. Les années futures devraient, à cet égard, être intéressantes, afin de mieux mesurer l'évolution de leur influence.
Sur le même thème
Voir tous les articles Gouvernance & StratégiePar Romain Faivre d'Arcier, [...]
Par Marie-Amélie Fenoll
Par Marie-Amélie Fenoll
Par Stéphanie Gallo
Thématiques associées :