Stratégie ESG de Nhood : devenir leader en régénération de sites
Rencontre avec Christian Lema, Global Head of ESG and Sustainability et membre du Comex international chez Nhood, l'opérateur immobilier de l'Association familiale Mulliez. L'occasion de décrypter comment l'entreprise ambitionne de devenir le leader mondial en matière de régénération de sites.
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Nhood ambitionne de devenir le leader mondial en matière de régénération de sites d'ici cinq ans. Quels sont les leviers opérationnels pour atteindre cet objectif ?
Christian Lema : L'ambition de Nhood repose sur une transformation profonde de l'immobilier commercial, avec une approche de régénération urbaine intégrant la mixité d'usages et la renaturation des sites. L'objectif est clair : passer de l'immobilier gris à l'immobilier vert en créant des espaces à la fois plus agréables pour les usagers et plus respectueux de l'environnement. Ce projet d'envergure concerne la régénération de 20 millions de mètres carrés.
Votre feuille de route repose sur quatre piliers : People, Planet, Profit et Governance. Comment ces dimensions se traduisent-elles concrètement dans vos investissements ?
C.L. : Pour atteindre nos objectifs, l'entreprise déploie en effet une stratégie ESG ambitieuse, articulée autour de quatre piliers : les collaborateurs (People), l'environnement (Planet), la rentabilité (Profit) et la gouvernance (Gouvernance).
L'interne joue un rôle clé dans cette transition, car on ne peut pas promouvoir un immobilier durable sans transformer l'entreprise elle-même. C'est dans cette optique qu'a été conçue la stratégie Nhooder's Impact Generation, qui vise à structurer le plan de transformation interne d'ici 2030. Parmi les initiatives majeures, la « Nhooders' Academy ». a été créée pour former les 1 300 collaborateurs aux enjeux ESG selon leur domaine d'expertise. L'engagement environnemental passe aussi par la décarbonation des opérations, avec l'objectif Net Zéro d'ici 2040, et une réduction drastique des émissions carbone grâce à une politique d'achats durables, sachant que 60 % des émissions proviennent des achats pour le compte des clients.
Enfin, la gouvernance et la régulation jouent un rôle structurant dans cette transformation. Nhood a mis en place des comités ESG, en interaction avec les instances risques et éthique qui travaillent étroitement avec l'équipe finance sur le reporting réglementaire CSRD. Cette collaboration entre les équipes financières et extra-financières permet d'optimiser le pilotage de la performance durable de l'entreprise. Par ailleurs, Nhood complète ses activités avec une offre de services ESG destinée aux clients, couvrant la décarbonation, la mitigation des risques climatiques et la renaturation des sites. Cette double approche, interne et externe, permet à l'entreprise d'incarner pleinement son ambition de transformation urbaine durable.
Comment ces quatre piliers se traduisent-ils dans vos investissements ?
C. L. : Aujourd'hui, près de 20 % des investissements sont liés aux enjeux ESG, principalement en raison des contraintes réglementaires qui s'imposent à nos clients. En France, des textes comme le décret tertiaire imposent une réduction de 60 % de la consommation énergétique d'ici 2050, tandis que la loi ENR oblige à installer des ombrières photovoltaïques et la loi LOM impose des bornes de recharge pour véhicules électriques. Ces réglementations poussent à une transformation durable des sites, mais au-delà des obligations légales, c'est aussi un enjeu de qualité d'expérience pour les usagers. Par exemple, face aux îlots de chaleur, la renaturation des espaces devient une nécessité pour améliorer le confort des visiteurs. Cette transition représente un investissement conséquent, mais elle est essentielle pour concilier conformité, performance environnementale et bien-être des clients.
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Y-a-t-il eu des freins dans le déploiement de cette stratégie ?
C. L. : Le principal défi de la mise en oeuvre de notre stratégie ESG réside dans la double transformation que nous portons : celle de l'entreprise en interne, mais aussi celle de nos clients. Or, toute transformation rencontre des résistances et des freins à l'engagement, notamment lorsqu'il s'agit de sujets complexes comme le changement climatique, la décarbonation ou les enjeux sociaux. Dans notre cas, ce n'est pas tant une opposition directe que des difficultés de compréhension : certaines notions ESG, en particulier environnementales, n'ont pas été intégrées aux formations des générations précédentes et ne sont donc pas intuitives. Que ce soit en interne avec nos collaborateurs ou en externe avec nos clients, il est parfois difficile de faire comprendre l'urgence et la nécessité d'agir.
C'est pourquoi nous avons mis en place un travail de pédagogie, de formation et de sensibilisation, pour embarquer nos collaborateurs et nos clients dans cette transition. L'objectif est de transformer ces freins en leviers d'action, en donnant à chacun les outils et les connaissances nécessaires pour s'approprier ces enjeux. Par exemple, en interne, nous avons généralisé la Fresque du Climat, un outil collaboratif qui permet à nos équipes de mieux comprendre l'impact des changements climatiques et d'intégrer ces notions dans leurs métiers. Ce type d'initiative est essentiel pour faciliter l'adhésion et garantir la réussite de notre transformation ESG. Car au-delà des stratégies et des chiffres, la transition vers un modèle plus durable repose avant tout sur l'humain et l'engagement collectif.
L'intégration de l'économie du donut est une approche innovante. Comment cette méthodologie guide-t-elle vos décisions financières et opérationnelles ?
C. L. : En effet, nous avons mis en place en interne une charte et une matrice d'évaluation qui permettent d'analyser les projets dans lesquels nous choisissons d'investir. Cette approche repose sur deux critères majeurs : l'impact environnemental, en lien avec les limites planétaires, et l'impact sociétal, en relation avec les planchers sociaux. En intégrant ces paramètres dans notre processus décisionnel, j'incite les équipes à se responsabiliser quant aux choix stratégiques et à s'assurer que chaque projet est en adéquation avec nos engagements ESG et nos objectifs de développement.
L'objectif est de garantir une croissance économique responsable, en trouvant un équilibre entre rentabilité et impact durable. Chaque investissement est donc évalué sous l'angle de la performance financière, mais aussi sous celui des enjeux environnementaux et sociaux. En adoptant cette grille de lecture, je veille à ce que notre entreprise ne se limite pas à une vision économique à court terme, mais qu'elle inscrive ses actions dans une dynamique de transformation durable, cohérente avec les attentes du marché et des parties prenantes.
La régénération des sites implique des investissements importants et à long terme. Quels indicateurs de performance clés vous permettent de mesurer l'impact de votre stratégie ESG ?
C. L. : Nous travaillons sur le temps long, car la transformation des sites dépend fortement de la réglementation locale et peut s'étendre sur plusieurs années, parfois 5 à 10 ans, voire plus. Pour assurer une vision cohérente et durable, j'ai mis en place un véhicule stratégique que nous appelons « vision de site », qui permet d'imaginer, en collaboration avec les parties prenantes territoriales, le futur d'un site à 10 ou 15 ans. Cette approche repose sur une analyse approfondie de la performance durable, avec une évaluation de l'empreinte carbone et énergétique sur 50 ans, depuis la conception jusqu'à l'exploitation des actifs. Mais notre démarche ne s'arrête pas là : nous intégrons également des indicateurs clés comme le taux d'artificialisation des sols et le niveau de renaturation afin de garantir une transformation alignée avec les enjeux environnementaux et sociétaux.
Comment les directions financières et les investisseurs peuvent-ils accélérer la transition vers un immobilier plus durable ?
C. L. : Deux enjeux majeurs émergent : la pression sur les ressources planétaires et la prise en compte du risque climatique. Face à ces défis, les modèles économiques immobiliers doivent intégrer les limites planétaires, notamment en repensant les lieux de vie, de consommation et d'interaction sociale. Cette transformation oblige les investisseurs à reconsidérer leurs stratégies, et notre approche de vision de site constitue un levier efficace pour anticiper ces transitions.
Par ailleurs, l'accélération des phénomènes climatiques - incendies à Los Angeles, inondations - met en lumière la vulnérabilité croissante des actifs immobiliers. La première réponse à ces risques repose sur des solutions basées sur la nature, qui deviendront essentielles pour les investisseurs souhaitant assurer la résilience de leurs actifs. Mon rôle est donc d'accompagner ces transitions, en aidant les acteurs du secteur à conjuguer performance financière, adaptation aux limites planétaires et résilience climatique, tout en garantissant des espaces durables où il est encore possible de vivre et de faire société.
La CSRD et l'ESG sont très critiquées en ce moment. Selon vous, quels sont les risquse de supprimer ou d'alléger ces directives européennes ?
C. L. : Je considère qu'il est essentiel de maintenir les ambitions du Green Deal, non pas par principe, mais parce qu'elles répondent à une urgence vitale pour la pérennité de nos entreprises, nos sociétés et nos familles. Ces engagements ne sont pas là pour satisfaire des tendances, mais pour faire face à un risque majeur qui pèse sur notre avenir commun. La nature ne négocie pas, et les catastrophes climatiques récentes nous rappellent l'importance de ces enjeux. Chercher à diluer ces objectifs sous prétexte d'alignement politique avec d'autres régions du monde serait une erreur stratégique, car moins agir revient à prendre un risque collectif considérable. Certes, la réglementation peut être ajustée pour gagner en clarté et en efficacité, mais toucher aux fondements et aux investissements liés à la transition écologique compromettrait l'avenir. Je suis convaincu que ces efforts doivent rester une priorité absolue, car ils conditionnent la viabilité économique et sociale de demain.
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