[Opinion] Face au Coronavirus, le retour de l'Etat providence ?
Le Covid-19 renvoie l'Etat à son rôle protecteur. Vis-à-vis des entreprises, après leur sauvetage, l'enjeu est d'assurer leur rebond, nécessitant le recours à des mesures économiques différentes. Le dispositif des prêts participatifs garantis par l'Etat annoncé le 4 mars 2021 va dans le bon sens.
Avec un an de recul depuis la propagation du virus à l'échelle mondiale, une évidente corrélation entre la rigidité sanitaire et l'interventionnisme économique se dessine - tous les pays, y compris les plus libéraux (Etats-Unis et Royaume-Uni) ont pratiqué un interventionnisme fort destiné à endiguer les effets de la crise induite par les mesures sanitaires et le changement des habitudes de consommation qui en résulte.
La sécurité sanitaire est dépendante de l'interventionnisme économique de l'Etat
La France a mis en place des lignes de crédits représentant 15% du PIB, à un niveau comparable à ce qui se pratique en Allemagne et au Royaume Uni, bien que la baisse de notre PIB soit plus élevée compte-tenu des mesures sanitaires plus strictes appliquées au printemps (11% de baisse contre respectivement 5,4% et 8,25%). Aux Etats-Unis, le niveau est encore plus élevé à 20% du PIB. Tandis que dans les pays en voie de développement, les Etats n'ont pas injecté plus de 5% du PIB et ont privilégié le canal monétaire en baissant les taux des banques centrales.
L'idée sous-jacente à l'interventionnisme de l'Etat est qu'une relance économique massive pourra dans les prochains mois permettre de maintenir, voire redynamiser la consommation, avec à la clé un redémarrage de l'économie réelle. Cependant, encore faut-il que des mesures économiques appropriées soient prises pour compenser les effets négatifs des mesures sanitaires sur l'économie : si le sauvetage des entreprises justifie au vu de l'urgence que les mesures adoptées puissent peser sur le bas de bilan, elles devront nécessairement être contrebalancées par d'autres mesures de nature à renforcer leurs fonds propres pour assurer leur pérennité.
L'interventionnisme protéiforme de l'Etat au service du sauvetage des entreprises
Face à l'exceptionnelle ampleur des conséquences de l'épidémie de Covid-19, l'Etat a développé une stratégie économique qui repose aujourd'hui sur trois instruments principaux : l'activité partielle, les prêts garantis par l'Etat (PGE) et le fonds de solidarité.
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Premier choix du gouvernement dans l'urgence du premier confinement, le dispositif d'activité partielle permet une prise en charge par l'Etat des salaires à hauteur de 60% de leur montant brut, voire 70% pour les secteurs les plus touchés (hôtellerie, restauration, tourisme). Au mois de janvier 2021, 2,1 millions de salariés étaient en activité partielle, représentant une charge d'1,6 milliards d'euros pour l'Etat.
Autre mesure phare du gouvernement, le PGE permet aux entreprises d'obtenir des lignes de crédit dans la limite de 25% de leur chiffre d'affaires, à condition de ne pas être en procédure collective au 31 décembre 2019 et, pour les ETI et grandes entreprises mais plus pour les TPE et PME, de satisfaire des ratios de solvabilité et de liquidité pour ne pas tomber sous le coup de l'interdiction des aides d'Etat en application de le réglementation européenne. A ce jour, 132 milliards d'euros de crédits ont été octroyés sur une enveloppe globale de 300 milliards d'euros et le dispositif a été prorogé jusqu'à juin 2021.
Instrument destiné au plus grand public, le fonds de solidarité a vocation à couvrir la perte de chiffre d'affaires dans des limites qui dépendent du secteur d'activité concerné, selon qu'il fait l'objet ou non d'une mesure d'interdiction administrative ou de restrictions, et pouvant aller jusqu'à 200.000 euros par mois. Mis en place en mars 2020 et prolongé jusqu'au 30 juin 2021, 2 millions d'entreprises en ont bénéficié pour un montant total de 15 milliards d'euros. Un nouveau dispositif récemment validé par la Commission européenne vient désormais le compléter, dont les contours ont été annoncés fin février avec effet rétroactif au 1erjanvier 2021, prévoyant, pour les entreprises des secteurs les plus affectés réalisant un chiffre d'affaires mensuel supérieur à 1 million d'euros, la prise en charge de leurs coûts fixes lorsque le fonds de solidarité n'est pas suffisant, à hauteur de 70% pour les entreprises de plus de 50 salariés et de 90% pour les entreprises de moins de 50 salariés, avec un plafond à 10 millions d'euros.
Nul doute que ces mesures sont indispensables et bénéfiques à court terme à la lumière de la baisse du nombre des défaillances d'entreprises de 38 % en 2020 par rapport à 2019. Néanmoins, celles-ci ne sont de toute évidence pas viables sur le long terme : d'une part, les aides sont, par hypothèse, temporaires au risque de creuser de façon dramatique le déficit public, et d'autre part, l'endettement financier des entreprises qui a bondi de 13% à près de 1.900 milliards d'euros en 2020 constitue une véritable bombe à retardement à l'horizon des échéances de remboursement que les pertes sèches de revenus rendront difficile à honorer.
L'interventionnisme limité de l'Etat au service du renforcement de la structure financière des entreprises
Conséquence immédiate de l'augmentation de l'endettement financier des entreprises françaises, l'augmentation de leurs besoins en fonds propres est estimée à 30 milliards d'euros, ce qui fait peser sur l'économie un risque de chute des investissements, et corrélativement, de l'innovation et de la productivité.
Or, force est de constater que la réponse que l'Etat est susceptible d'apporter en la matière est limitée notamment du fait des contraintes inhérentes au droit des aides d'Etat de l'Union européenne.
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Les prises de participation ou recapitalisations par l'Etat restent marginales depuis le début de la crise. La loi de finance rectificative du 25 avril 2020 qui a prévu un budget de 20 milliards d'euros pour l'intervention de l'Etat en fonds propres restreint cette intervention aux " entreprises présentant un caractère stratégique jugées vulnérables " et " intégrant pleinement et de manière exemplaire les objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie, notamment en matière de lutte contre le changement climatique ". Surtout, la compatibilité de ces opérations avec la réglementation européenne est subordonnée des conditions extrêmement strictes, sachant que bien souvent la Commission européenne exige en outre des contreparties afin de préserver un marché concurrentiel équitable. Récemment, elle a conditionné la validation de la recapitalisation d'Air France à l'abandon de certains créneaux d'atterrissage et de décollage à l'aéroport d'Orly.
De manière plus indirecte, le Label Relance dont bénéficient près de 150 fonds d'investissement au 1er mars 2021 avec un encours global de l'ordre de 13 milliards d'euros constitue un mécanisme purement incitatif conférant aux fonds labellisés qui investissent en fonds propres ou quasi-fonds propres dans les PME et ETI françaises la possibilité, à condition en particulier de respecter la charte d'investissement du label, de bénéficier de la garantie fonds propres de BPI France à hauteur de 50% de leur investissement (ou 70% pour les PME de moins de 5 ans).
Enfin, prévu depuis plusieurs semaines et retardé par la Commission européenne, le gouvernement vient d'annoncer, le 4 mars 2021, les contours d'un nouveau dispositif de garantie de l'Etat applicable à des prêts participatifs et obligations subordonnées. Une nouvelle enveloppe de 20 milliards d'euros devrait être mobilisée. Les prêts participatifs et les obligations subordonnées éligibles au titre du régime devront (I) être émis avant le 30 juin 2022, (II) servir à financer des investissements et non des dettes préexistantes, et (III) avoir une échéance de 8 ans, avec une période de grâce de 4 ans sur les remboursements du principal. La garantie de l'Etat couvrira jusqu'à 30% du portefeuilles de prêts participatifs octroyées et obligations subordonnées souscrites. Ces prêts participatifs, qui par leur nature de quasi-fonds propres viennent renforcer la structure bilantielle des entreprises, seront accessibles à celles réalisant au moins 2 millions d'euros de chiffre d'affaires pour un montant compris entre 8 et 13% du chiffre d'affaires réalisé en 2019. Les entreprises ayant déjà bénéficié d'un PGE pourront également en bénéficier mais dans des proportions plus faibles. Les taux applicables à ces prêts devraient selon les recommandations du gouvernent s'inscrire dans une fourchette entre 4 et 5,5%.
A l'heure où un nouveau tour de vis est attendu dans une vingtaine de départements placés sous surveillance renforcée, cette annonce est de bon augure pour les entreprises dont le retour à la normale de l'activité ne peut pas encore être envisagé.
Pour en savoir plus
Arnaud Moussatoff est avocat associé au département " restructuring " de Brown Rudnick LLP. Il conseille des entreprises en situation de sous performance, investisseurs, créanciers et dirigeants à l'occasion de réorganisations financières et industrielles et d'opérations de distressed M&A. Il détient une expertise particulière dans les secteurs du retail, de l'industrie, des médias, de la distribution et de l'hôtellerie.
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