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L'état d'urgence lié à la pandémie de Covid-19 constitue-t-il un cas de force majeure ?

Si la pandémie de Covid-19 est quasi-systématiquement reconnue comme un cas de force majeure, il subsiste certaines interrogations pour des contentieux en cours et à venir notamment en matière fiscale. Un point de vue détaillé, dans cette tribune, par Cécile De Smet, avocate associé, d'Alverny Avocats.

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L'état d'urgence lié à la pandémie de Covid-19 constitue-t-il un cas de force majeure ?

Même plus de quatre ans après l'annonce du premier confinement, décrété par le Gouvernement en mars 2020, la question juridique de savoir si l'état d'urgence peut représenter un cas de force majeure reste entière notamment dans certains litiges avec l'administration fiscale.

Cette notion n'existe pas de façon autonome dans un texte fiscal mais elle peut légitimement être invoquée, lorsque les conditions en sont remplies, pour expliquer la défaillance d'un contribuable qui a été empêché de remplir ses obligations fiscales.

L'éclairage apportée par la jurisprudence de la Cour de Cassation à l'occasion de litiges contractuels, commerciaux ou sociaux est que l'état d'urgence lié à la crise sanitaire n'est pas reconnu comme un cas de force majeure de façon systémique mais contextualisé, mais qu'il s'agit bien d'un évènement extérieur et imprévisible.

Si les mesures prises en état d'urgence ont empêché une société de remplir une obligation fiscale, il nous semble utile de se pencher sur le détail de cette notion pour éviter d'être sanctionné ou de perdre le bénéfice d'une mesure favorable.

Régulièrement reconnue par la jurisprudence

Le temps des masques quotidiens et des attestations de sortie semble loin, mais beaucoup d'entreprises ont encore à gérer les conséquences de l'état d'urgence et des ralentissements de l'activité économique.

Pour le Gouvernement de l'époque, la pandémie constitue un cas de force majeure et il a été décidé immédiatement que les entreprises sous contrat avec l'Etat, empêchées de remplir leurs obligations, ne seraient pas sanctionnées (annonce du ministre M. Bruno Lemaire, 2020).

Certains contentieux sont nés assez vite sur le sort des mesures administratives (fermetures, jauges d'accueil) sur les contrats privés. La Cour de Cassation s'est prononcée en 2022 i) en faveur de la restitution d'acompte pour un contrat de réservation de salle de mariage (arrêt du 6 juillet 2022, n°21-11.310) mais aussi ii) pour l'exigibilité des loyers dus par les locataires professionnels qui avaient invoqué la force majeure liée aux fermetures administratives pour être dispensés de payer leurs loyers (« pourvois Covid », n°21-19.189, 21-20.127, 21-20.190).

En 2023, la Cour de Cassation reconnaît que la force majeure peut être invoquée pour demander la résolution de contrats « globaux » qui n'avaient pas pu être honorés (arrêts 21-16.812 et 21-24.783) et ordonne le reversement des acomptes.

En droit social, même si la notion de force majeure a été utilisée dans l'accord intergouvernemental sur le télétravail de 2020, le licenciement d'un pilote de ligne embauché en janvier et licencié en mars 2020 a été reconnu comme abusif, alors que l'employeur invoquait la force majeure (arrêt 23-12.772).

Le message - logique - de la jurisprudence peut être résumé ainsi : la crise sanitaire peut être considérée comme un cas de force majeure mais pas systématiquement.

En matière fiscale, quels sont les enjeux ?

Les périodes d'état d'urgence peuvent avoir eu des incidences à plusieurs niveaux : détermination de la résidence fiscale qui s'apprécie notamment par le nombre de jours passés dans une juridiction, caractérisation d'un établissement stable qui s'apprécie notamment par la durée d'un chantier, ou retard dans les conditions de délais, par exemple pour la vente d'une résidence principale.

L'administration fiscale et le pouvoir réglementaire ont apporté des réponses sur plusieurs de ces questions mais certaines restent à trancher, notamment sur la période qu'il convient de « neutraliser » juridiquement.

De son côté, l'OCDE a recommandé début 2021 de revenir à la lecture classique des textes fiscaux internationaux « à la levée des contraintes sanitaires » et, partant, invite à une interprétation exceptionnelle tant que des contraintes sanitaires existent. Ce qui, concernant certains territoires Outre-Mer en France, concerne la période allant de mars 2020 à mars 2022.

Pour la résidence fiscale, l'administration a indiqué que le séjour d'une personne retenue dans un Etat « en raison d'un cas de force majeure » ne pourrait s'apparenter, en soi, à l'établissement de sa résidence (communication de la direction des non-résidents,2020).

Un arrêt intéressant a été rendu le 22 mai 2024 par le Tribunal judicaire de Paris à propos d'une résidence principale louée meublée 187 nuits en 2020 et 273 nuits en 2021 au lieu des 120 maximum par an. Le propriétaire a démontré ses déplacements professionnels et le Tribunal reconnaît que la pandémie est un cas de force majeure à l'origine du dépassement par le propriétaire du nombre de nuitées autorisées en principe (décision du TJ de Paris, 22 mai 2024, n°23/52615).

Le secteur de l'immobilier / construction a été mis au ralenti sur une période longue et un rescrit a été pris en mars 2022 pour en tenir compte et accorder, s'agissant du dispositif de réduction fiscale pour investissements immobiliers « Pinel », 261 jours de plus pour respecter les délais d'achèvement.

Certains contentieux débutent pour déterminer si le dépassement de délais pour certains investissements, par exemple dans des zones où la couverture vaccinale est restée faible et la propagation du virus intense, peut être légitimement expliqué par la force majeure. C'est notamment le cas pour une réduction fiscale orientée dans les logements sociaux Outre-Mer qui nécessite d'avoir engagé l'argent des investisseurs dans un délai de dix-huit mois qui n'a, pour l'instant, pas été ajusté.

Comme évoqué, cette pandémie n'est pas un cas de force majeure en soi et les conditions de l'article 1218 du Code civil s'appliquent évidemment à ces litiges : évènement extérieur, imprévisible, irrésistible. Surtout, le lien de causalité entre le ralentissement de l'activité induit par la pandémie et le retard dans le respect de l'engagement doit être démontré.

Si la force majeure n'est pas reconnue systématiquement, elle ne devrait pas non plus être rejetée par principe.

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