[Entretien] Pourquoi les clients payent-ils en retard ? Les réponses d'un credit manager
Sait-on seulement à quoi servent les délais de paiement et pourquoi des entreprises ne payent pas bien leurs fournisseurs ? Analyse et pistes d'innovation à partir de la réalité des clients grands groupes vis à vis des petits fournisseurs, avec Louis Chavanat, consultant expert en crédit management.
DAF magazine: Les délais de paiement en France sont régulièrement sous les feux de l'actualité. Pour déplorer des retards, pour envisager de nouvelles contraintes. Mais si une facture n'est pas payée, il faut chercher là où ça coince dans la réalité. Les fournisseurs ont-ils leur part ?
Louis Chavanat : "Pour être payée, la facture d'un fournisseur, petit ou grand, doit répondre à ces deux exigences : être reçue, et être conforme. Pour être reçue, une facture doit être émise et envoyée par le fournisseur. C'est évident, mais pourtant, vous connaissez au moins votre plombier qui a mis 6 mois à envoyer la facture de sa dernière intervention et/ou n'a pas mis les mentions obligatoires dessus. CQFD. Les travaux de dématérialisation, du pdf à la plateforme de téléchargement, devraient réduire cette problématique. Notamment celles liées aux centres de traitement délocalisés à l'étranger.
Pour être conforme et bonne à payer, la facture doit maintenant respecter des règles, légales et contractuelles. Pour les règles légales, je ne sais pas si le très jeune site service-public-pro.fr est assez connu. C'est en tout cas le seul endroit où l'on trouve, de manière compréhensible, les règles légales et à jour de la facturation en droit français".
Et pour correctement appliquer les règles contractuelles , que conseillez-vous aux fournisseurs ?
L. C. : "De fait, les appliquer est plus problématique. Notamment le cadencement de la facturation. Exemple: le grand client a demandé une facture par livraison, par code analytique, ou par numéro de commande, mais le petit fournisseur ne sait pas s'y prendre ou n'a pas de temps à perdre et fait une facture globale mensuelle... qui sera rejetée. Ou bien encore, la référence de la facture : les grandes entreprises qui ont un ERP structuré ont besoin qu'un numéro de commande soit présent sur toutes les factures fournisseur, mais le petit grossiste n'a pas eu le coeur - la possibilité économique, surtout - à refuser de servir un chef de chantier d'un géant du BTP, arrivé à 6h du matin au dépôt sans numéro de commande. Autre clause difficile à appliquer : la justification de la facture - joindre un bon de livraison papier émargé par exemple - ce qui a un impact terrible, non seulement sur l'envoi des factures (transit des papiers par les services logistiques pour agrafage des bons de livraison), mais aussi sur l'acceptation de la dématérialisation".
"La première cause valable de rejet des factures par les grands groupes est, de loin, l'erreur sur l'entité facturée".
La dématérialisation des flux de facture n'aidera donc en rien?
L. C.: "La dématérialisation des flux de facture ne sera réellement efficace que si les contrats évoluent, et si la dématérialisation des prises de commande et des bons de livraison est concomitante. Le partenariat entre les PME et leurs grands donneurs d'ordres étant déséquilibré en matière de recherche de solution et de capacité d'investissement, les plus grands sont de fait plus responsables de la situation.
Et cette plus grande responsabilité se retrouve aussi lorsque l'on envisage la question de la conformité de contenu des factures. Les fameux circuits de validation sont aujourd'hui, pour la plupart, dématérialisés, mais prennent encore du temps. Et c'est à ça, d'abord, que servent les délais de paiement. Parmi les erreurs de conformité le plus souvent rencontrées, on trouve les classiques quantités livrées, les prix qui ne sont pas mis à jour, et le taux de TVA pas adapté. Viennent ensuite les litiges commerciaux dues à la facturation de frais de livraison, de frais de petite commande, de frais de coupe, de frais de préparation spéciale, que les grands comptes ont négocié à zéro. Mais la première cause valable de rejet des factures par les grands groupes est, de loin, l'erreur sur l'entité facturée. Le grand groupe qui signe un seul gros contrat, est souvent constitué de plusieurs entités juridiques aux noms très proches. Le fournisseur se retrouve donc à devoir gérer des comptes avec des sous-comptes et des sous-sous-comptes. Il ne sait pas toujours quelle entité facturer. Ces litiges, inhérents à la méconnaissance qu'ont les partenaires l'un de l'autre, pourraient être considérés de la responsabilité des fournisseurs. Mais dans la pratique, sauf à coup de lettres comminatoires, les grands groupes sont incapables de présenter leurs organisations complexes à leurs fournisseurs. Ne sont donc pas si responsables ceux que l'on croit".
Le recensement de toutes ces raisons techniques -dirons-nous- suffit-il à expliquer les retards de paiement ? Y-a-t-il d'autres facteurs, plus humains ?
L. C.: "La personne morale Entreprise ne décide rien. Derrière chaque opération, il y a un être humain qui va prendre la décision de mettre en paiement ou non une facture. Comme dans tout métier, l'opérateur ne sera efficace que s'il comprend ce qu'on lui demande, et s'il a conscience des impacts de ses actes. Qu'on soit manager d'une équipe de comptabilité fournisseur, commercial, ou magasinier qui réceptionne la marchandise, si on n'a pas de recul, on n'est pas bon. Et encore moins force de proposition pour améliorer le système. Les écoles forment des négociateurs, mais n'enseignent pas l'application pratique des contrats. Les abus de demandes de justification des factures sont trop nombreux. Y compris parmi les groupes ayant signé la Charte des Fournisseurs Responsables. Mais la moitié des abus est réalisée par des personnes physiques de bonne foi qui n'ont aucune conscience du risque qu'elles font porter aux petits fournisseurs".
Et que préconisez-vous pour remédier à ces abus de demandes de justification des factures de bonne foi?
L. C.: "D'accepter de former et motiver. Investir sur ces populations de back office, mettre en place un management participatif. Le directeur financier, lui, a une vraie responsabilité. Il peut donner des ordres pour suspendre volontairement les paiements des fournisseurs. Il peut aussi être moteur dans le respect des engagements contractuels. Quant aux directeurs des achats et directeurs commerciaux, ils ne choisissent pas les indicateurs de leur propre performance. Les coûts d'achat et les chiffres d'affaires facturés restent prépondérants. Le respect des délais de paiement, et le chiffre d'affaires encaissé sont ignorés".
Et coté paiements, les retards sont-ils aussi de bonne foi pour une bonne part ?
L. C. : "Le très grand client aux process de paiement normés qui paye ses fournisseurs le 10 de chaque mois car cela correspond à 80% de ses factures fournisseur, payera systématiquement le 10 de chaque mois, même si 20% des factures sont à échéance le 30 du mois précédent. Est-ce que ces 10 jours de retard font de lui un client risqué ou irresponsable ?
Quand 30 jours pour l'un, veut dire 30 fin de mois le 15 pour l'autre, on est toujours dans le cadre de la loi et de la bonne foi commerciale de part et d'autre, mais la mise en application va poser des problèmes.
Les délais légaux de 45 jours, sont traduits dans la pratique par des échéances le 15 du mois. Seuls les départements crédit des grandes entreprises sont organisés pour savoir qui n'a pas payé le 15 au soir. Les PME, elles, n'analysent leur comptabilité qu'une fois par mois, en fin du mois, quand il faut payer les salaires. Alors les clients en profitent pour régler avec quelques jours de retard. Pas vu pas pris".
Quelles sont les pistes pour favoriser les paiements aux fournisseurs en temps et en heure?
L. C.: "Les règles comptables de l'escompte pour règlement anticipé ne favorisent pas la réduction des délais de paiement car elles ne changent rien aux coûts d'achats ni aux ratios de marge, comme c'est le cas en Allemagne par exemple. Il est temps de revoir cela et de laisser les entreprises comptabiliser les escomptes en résultat d'exploitation et non en résultat financier. Les grands groupes qui appliquent les normes IFRS le peuvent, mais pas les PME qui n'appliquent que les normes françaises. En matière d'outil de paiement, le virement est un moyen de paiement comptant dont l'utilisation est commune, mais inadaptée aux échéances BtoB: permettre les virements à échéance, réduire les coûts des VCoM (virements commerciaux) et dématérialiser 100% des billets à ordre, me semblent des pistes de réflexions solides.
L'idéal est de faire bien dès la première fois, prévenir les retards et les litiges, au lieu de perdre du temps et de l'énergie à les détecter trop tard. Il est nécessaire alors que les paiements soient organisés au plus vite, et que le petit fournisseur en soit informé. Il saura alors que sa facture a été émise et reçue correctement, et que le paiement arrivera à échéance. Sa trésorerie en sera plus facilement gérée. Son banquier et son actionnaire fonds d'investissement en seront rassurés.
Il faut concentrer les efforts dans la mise en place de solutions préventives vertueuses".
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