« L'effet Musk » sur les décisions financières d'entreprise, un excès de confiance profitable ?
Bilel Bzeouich, enseignant-chercheur au CERFIM de l'ESLSCA Business School, a mené une étude novatrice explorant le lien entre la finance d'entreprise et la psychologie des dirigeants, en s'inspirant du comportement de leader « omniprésent » d'Elon Musk et de ses décisions « excessives » pour ses investissements. Rencontre.
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Bilel Bzeouich enseignant-chercheur, rattaché au CERFIM (Centre de Recherche en Finances et Management) de l'ESLSCA Business School à Paris, travaille sur toutes les thématiques de la Corporate Finance, de la finance à la comptabilité d'entreprise. Dans son étude publiée dans le Journal of Applied Accounting Research, il a analysé l'impact de « l'excès de confiance » des dirigeants sur la qualité des décisions financières à partir de travaux menés sur des données comptables de 335 entreprises françaises cotées. Il démontre que ce biais psychologique- qu'il a surnommé Effet Musk- peut conduire à des manipulations comptables influençant négativement la prise de décision et mettant en péril la performance globale des entreprises. Explications.
1/ Qu'est-ce que « l'effet Musk » dont vous parlez dans vos récentes publications ?
Bilel Bzeouich : J'ai observé chez Elon Musk un biais cognitif d'« excès de confiance » particulièrement marqué, qui se reflète dans ses décisions stratégiques. L'un des exemples les plus frappants est son acquisition de Twitter. Je pense que ce rachat n'est pas simplement un investissement technologique, mais un moyen de contrôler l'information et d'influencer directement les marchés financiers.
Cet excès de confiance se traduit aussi par une interprétation biaisée du risque. Musk surestime ses capacités et sous-estime les menaces potentielles, ce qui le pousse à prendre des décisions audacieuses sans toujours en mesurer les conséquences. Son raisonnement repose sur l'idée qu'il surpassera systématiquement la concurrence et obtiendra des rendements supérieurs. Bien que cela puisse lui être bénéfique personnellement, les parties prenantes de ses entreprises, comme les actionnaires et les investisseurs, peuvent être fortement affectées si ces décisions se révèlent trop risquées.
2/ Quels liens faîtes-vous entre cet « excès de confiance » à la Musk et les répercussions sur les finances de l'entreprise ?
B. B. : La finance repose avant tout sur la création de valeur, mais celle-ci ne peut être atteinte sans des décisions efficaces basées sur des informations fiables et pertinentes. Ces données permettent d'anticiper les tendances économiques et de guider les entreprises dans leur stratégie. Qu'il s'agisse d'une analyse interne pour optimiser la gestion ou d'une communication externe pour rassurer les investisseurs, l'information joue un rôle central dans la stabilité et la croissance financière d'une entreprise.
Cependant, au-delà des chiffres, la finance est aussi influencée par des facteurs psychologiques. La finance comportementale met en évidence l'impact des biais cognitifs, notamment l'excès de confiance, qui pousse certains dirigeants et investisseurs à surestimer leurs compétences et à sous-évaluer les risques. Cette surestimation peut entraîner des prises de risque excessives, compromettant la santé financière des entreprises et influençant négativement les marchés.
3/ C'est ce que vous avez mis en exergue dans votre étude sur les profils des dirigeants français ?
B. B. : Je ne pouvais pas me limiter au cas unique d'Elon Musk, car mon objectif était d'apporter des solutions aux entreprises en général. J'ai donc choisi d'analyser un échantillon de 335 grandes entreprises françaises du CAC 40 entre 2009 et 2020, en examinant le comportement de leurs dirigeants à travers leurs déclarations (près de 56 000 posts sur les réseaux) et leurs décisions en matière de stock-options. J'ai constaté que 20 % des dirigeants de ces grandes entreprises françaises présentaient un excès de confiance.
L'étude s'est concentrée sur deux axes fondamentaux de la finance d'entreprise : la qualité de l'information comptable et l'efficacité des investissements. En suivant les comportements des dirigeants, j'ai réussi à identifier ceux présentant un excès de confiance et à mesurer l'impact de cette attitude sur la fiabilité des pratiques comptables. L'idée centrale était de démontrer comment la surestimation des capacités personnelles des dirigeants pouvait influencer la transparence des informations financières.
Les résultats montrent que les dirigeants excessivement confiants peuvent manipuler la comptabilité pour envoyer des signaux positifs au marché, dans le but d'attirer les investisseurs et de renforcer la valorisation de leur entreprise. Cette manipulation peut entraîner une distorsion de l'information financière et compromettre la qualité des décisions d'investissement, mettant ainsi en évidence les effets psychologiques dans la gouvernance financière des entreprises.
4/ Comment cet excès de confiance influence-t-il concrètement la stratégie financière de l'entreprise ?
B. B. : J'ai constaté que l'excès de confiance des dirigeants influence deux aspects fondamentaux de la finance d'entreprise : la qualité de l'information et l'efficacité de l'investissement.
Dans ma première étude, j'ai démontré que cette surestimation de leur potentiel conduit les dirigeants à adopter des pratiques de manipulation comptable. L'objectif principal est de transmettre aux investisseurs et aux actionnaires des signaux positifs qui ne reflètent pas toujours la réalité financière de l'entreprise. Cela repose sur l'utilisation de certains ratios clés du marché, comme celui de l'endettement ou les dividendes distribués. Cette manipulation, bien qu'ayant pour but d'attirer des investisseurs, peut fausser leur perception et engendrer des décisions d'investissement biaisées.
Dans ma seconde étude, j'ai démontré que les dirigeants trop confiants prennent plus de risques et ont tendance à surinvestir. Cela signifie qu'ils engagent des fonds d'investissement par exemple dans des projets dont la rentabilité n'est pas garantie, avec une valeur actuelle nette négative.
Cet excès d'investissement peut fragiliser l'entreprise, notamment lorsqu'elle doit s'endetter auprès des banques pour financer ces projets. Cette situation place l'entreprise dans une position délicate où elle devient trop dépendante des financements externes.
5/ Quels sont les facteurs intrasèques qui influencent ces prises de décisions excessives ?
B. B. : J'ai identifié deux paramètres clés qui influencent les décisions d'investissement des dirigeants : les opportunités d'investissement et le free cash-flow, c'est-à-dire les ressources internes disponibles au sein de l'entreprise.
J'ai constaté que les dirigeants excessivement confiants préfèrent garder sous leur contrôle un maximum de liquidités, ce qui leur permet d'engager des fonds dans des projets qui ne sont pas nécessairement rentables. Cette utilisation non optimisée du cash-flow peut nuire aux actionnaires et compromettre la performance financière de l'entreprise.
5/ Quelles solutions peuvent contrecarrer ces excès ?
B. B. : Une solution pour encadrer les décisions excessives des dirigeants serait l'augmentation du recours à l'endettement. Lorsqu'une entreprise doit financer une nouvelle opportunité d'investissement, les actionnaires peuvent inciter le dirigeant à contracter des emprunts plutôt que de puiser dans le free cash-flow.
Cette contrainte financière impose au dirigeant une plus grande rigueur, car il devra respecter ses engagements envers les banques et assurer le remboursement des échéances. Ce mécanisme l'incite donc à prendre des décisions plus réfléchies et alignées avec l'intérêt des actionnaires, réduisant ainsi les risques liés à son excès de confiance.
6/ Il est courant de considérer un bon dirigeant d'entreprise à son leadership, sa prise de risques et une estime de soi à toute épreuve. A quel moment le biais cognitif « excessif » à la Musk peut-il « nuire », ou pas, à l'entreprise ?
B. B. : C'est vrai. Il faut savoir que la prise de décision dans le monde des affaires repose sur un élément clé : le temps. Le passé, le présent et le futur influencent la manière dont nous analysons les opportunités et les risques. Nous ne pouvons pas prévoir l'avenir avec certitude, mais nous pouvons anticiper les tendances en nous basant sur des modèles financiers. Et dans la finance, toutes les décisions reposent sur deux critères : le rendement et le risque.
Certains privilégient l'analyse des rendements futurs pour maximiser leurs gains, tandis que d'autres se concentrent sur la gestion des risques pour minimiser les pertes. Cette approche dépend du comportement et de la perception individuelle de chaque décideur. Par exemple, une personne plus prudente aura tendance à minimiser le risque, tandis qu'un profil plus audacieux visera un rendement élevé, quitte à sous-estimer les menaces potentielles.
Cette volatilité dans la prise de décision est influencée par des facteurs personnels et cognitifs, comme l'excès de confiance, qui altèrent l'évaluation rationnelle des risques et des opportunités. Lorsqu'un dirigeant surestime ses capacités et ses prévisions, il adopte une vision biaisée du risque et des opportunités. Il interprète les événements économiques et financiers en minimisant les dangers, ce qui peut le conduire, finalement, à prendre des décisions irrationnelles.
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