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Europe, Asie, Etats-Unis : quelle destination choisir ?

En matière de développement international, le choix de la destination est crucial. La crise du Covid a marqué un recentrage sur l'Europe, qui était déjà la destination préférée des entreprises françaises. Même si les Etats-Unis continuent à faire rêver et que l'Afrique attise les convoitises.

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Europe, Asie, Etats-Unis : quelle destination choisir ?

Si le contexte actuel rebat les cartes sur la façon de s'internationaliser, cela est surtout vrai pour les destinations choisies par les entreprises. « La question des pays cibles est encore plus importante aujourd'hui qu'en 2019 », pense Isabelle Saladin, présidente d'I&S Adviser, qui conseille de travailler avec les pays voisins plutôt que d'aller plus loin. Les PME/ETI semblent lui donner raison : la 2e édition du Bilan Export de la Team France Export rapporte que l'Union européenne est toujours le premier marché de destination des PME et ETI françaises, représentant 52 % de leurs ventes à l'international. Les destinations lointaines semblent en effet moins séduire, notamment l'Asie où la situation sanitaire reste compliquée. Cependant, les Etats-Unis font toujours rêver les entreprises françaises et l'Afrique commence à intéresser les sociétés en quête de croissance.

L'Europe ou la simplicité des affaires

La crise du Covid a eu comme principal effet sur le monde économique de relocaliser les achats des entreprises en Europe, pour éviter les ruptures d'approvisionnement. « Le champ d'opportunités et les cartes stratégiques redistribuées amènent les entreprises à repenser leur chaine de valeur à la faveur des fournisseurs français, européens et nord-africains », constate Pedro Novo, directeur exécutif de Bpifrance en charge de l'export. L'Europe de l'Est a notamment profité de ce recentrage où les entreprises françaises sont de plus en plus nombreuses à s'exporter : le nombre de PME et ETI accompagnées par Business France en Europe de l'Est a augmenté de 18% entre 2019 et 2020 (+22% pour la Pologne et +20% pour la République Tchèque). Et ce au mépris de la guerre qui se déroule en Ukraine. « Les Pays Baltes, notamment, voient ce conflit comme l'opportunité de récupérer les marchés que la Russie ne peut plus adresser », indique Denis Bergé, responsable des relations internationales à la CCI Aix-Marseille-Provence. Même si le premier partenaire commercial de la France reste l'Allemagne.

Ce recentrage européen des entreprises françaises est non seulement dû au contexte mais aussi à la simplicité des affaires, la proximité culturelle, la facilité des transports... « Dès qu'on sort d'Europe, le niveau de risque augmente, notamment le risque de change. On fait face également à des contraintes supplémentaires en temps de transport », décrit Bruno Bouygues, président de Gys, entreprise produisant des machines-outils. Il conseille de se faire la main dans un pays proche et dont on parle la langue : c'est ainsi qu'il a ouvert sa première filiale en Allemagne. Aujourd'hui présente plus largement sur le continent européen, en Angleterre, Italie et Espagne, la société Gys a pour objectif d'également s'installer en Pologne et en Roumanie. « La plupart des entreprises gagnent à commencer à établir une position forte en zone Europe au sens large, incluant le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, pour ensuite rechercher des implantations aux Etats-Unis et en Asie », note Fanny Letier, co-fondatrice de Geneo.

Le rêve américain existe toujours

Même si les entreprises françaises se développent prioritairement en Europe, le marché nord-américain les fait toujours rêver. « C'est intéressant mais compliqué. Il faut énormément d'années pour se développer aux Etats-Unis : nous avons commencé à avoir des projets d'envergure au bout de 6, 7 ans », met en garde Jean-Christophe Ragni, directeur général et directeur export du groupe Ragni, qui fabrique des solutions d'éclairage. En effet, même si le marché américain représente un fort potentiel de développement, étant donné sa taille et le pouvoir d'achat de ses habitants, il attire de nombreuses convoitises et installer son produit de manière durable demande de batailler de nombreuses années, surtout si le produit ou le service proposé n'est pas particulièrement innovant.

Laurence Ruiz, co-fondatrice et associée d'Orbiss, conseille d'être capable d'aligner au moins 18 mois de trésorerie. « Il faut être prêt à investir et à perdre beaucoup d'argent avant d'en gagner », insiste-t-elle, rappelant par ailleurs que le niveau de vie américain est en moyenne 1,8 fois plus élevé qu'à Paris. Autre élément auquel elle conseille de prêter attention : la culture, très différente de la France. « Nous aimons les filiales qui se développent à deux têtes avec une tête française qui connaît bien l'entreprise et une tête américaine qui connaît bien le marché et les clients », propose-t-elle, rappelant par ailleurs que les 52 Etats ont tous une culture différente.

Si le rêve américain vous titille mais que vous ne vous sentez pas les épaules assez solides pour vous envoler pour les Etats-Unis, Denis Bergé conseille de regarder du côté du Canada, notamment vers Toronto. « C'est une ville dynamique qui peut être un laboratoire exceptionnel pour faire ses armes avant d'aller aux Etats-Unis », considère-t-il. Sur le continent américain, Pedro Novo constate un appel d'air puissant d'Amérique centrale, d'Amérique du Sud et des Caraïbes. « Peu d'entreprises françaises y sont présentes : le Mexique, la Colombie, ou même le Brésil, dont les prochains équilibres politiques pourraient être plus favorables aux échanges commerciaux, sont des pays à ne pas négliger ». Sur ces pays, Fanny Letier, invite cependant les PME/ETI à être prudentes, notamment en raison des sujets de change et des lourdeurs administratives.

L'Afrique plutôt que l'Asie

Si le rêve américain est toujours bien présent, l'Asie trouve moins grâce aux yeux des entreprises françaises qu'auparavant. En effet, même si la situation sanitaire s'améliore, notamment à Singapour, en Thaïlande, en Malaisie et au Cambodge (où des tests PCR ne sont plus demandés), la Chine connaît une résurgence de cas de Covid, avec de nombreuses villes confinées. A cela s'ajoute des salaires moins compétitifs et des coûts du fret à la hausse. Pedro Novo pense par ailleurs que le conflit ukrainien peut finir par retentir sur la zone, qui va aussi être touchée par la remontée des taux de la Fed. « Le risque d'enlisement du conflit ukrainien peut avoir des impacts sur la zone Asie au niveau des engrais russes et des céréales ukrainienne, aussi bien pour l'alimentation humaine qu'animale. Par ailleurs, le coût du pétrole et du gaz va avoir des répercussions sur l'industrie électronique et textile », analyse-t-il. Son conseil : pour réussir en Asie dans ce contexte il faut être patient, intégrer une élasticité des prix et donc s'équiper financièrement.

En Asie aussi Denis Bergé invite à faire un pas de côté et à envisager, plutôt que la Chine, le Japon : « On l'oublie un peu mais il est toujours là et il y a fort à parier qu'il va revenir dans le jeu via la robotique », pense-t-il, conseillant également de regarder du côté de l'Indonésie, pays de 250 millions d'habitants qui permet, de plus, de rayonner sur toute l'Asie. Mais en tant que secrétaire général d'Africalink, communauté de PME africaines et européennes, Denis Bergé recommande surtout de se tourner vers le continent africain : « L'Afrique est le moteur de la croissance de demain : en 2050, l'Afrique comptera plus de 2 milliards d'habitants qui auront des besoins en logement, nourriture, transport... ».

Alix Bibolé-Gardner, responsable projets développement international au sein de l'Institut Régional des Chefs d'Entreprise PACA constate quant à elle un intérêt plus fort pour le contient africain du fait des difficultés actuelles à commercer avec l'Asie. Même si, comme le souligne Isabelle Saladin, le Covid n'a peut-être pas dit son dernier mot en Afrique où il pourrait provoquer des perturbations au niveau des équipes sur place. Sans parler du fait que certaines économies ont été très touchées par la crise sanitaire et ont du mal à se relever, d'autant plus dans ce contexte d'inflation.

Malgré tout, le continent représente un fort potentiel et la France, du fait de son histoire commune avec l'Afrique et de la diaspora africaine présente en Hexagone, peut tirer son épingle du jeu. Denis Bergé invite cependant à ne pas se croire en terrain conquis : « Les Africains n'ont pas besoin de la France car tout le monde veut travailler avec l'Afrique ». Il s'agit donc de changer d'état d'esprit et de se mettre au service de l'Afrique. « En Afrique, il faut se consacrer pleinement au continent, devenir africain en s'implantant, en recrutant sur place et en s'associant aux entrepreneurs locaux...L'export pur ne fonctionne plus, il est attendu de co-investir, co-industrialiser, co-entreprendre », conseille Pedro Novo.

C'est le constat qu'a fait Jean-Christophe Ragni : « Dans un premier temps, nous travaillions en Afrique avec un commercial mais nous avons finalement ouvert une filiale au Sénégal et nous sommes en train d'en ouvrir une autre en Côte d'Ivoire. Nous avons la volonté de nous positionner car la concurrence est très forte et que le continent africain est demandeur de projets à forte valeur ajoutée et de transfert de compétences ». Il conseille cependant de bien être accompagné, les processus pouvant être longs et compliqués pour s'installer. Denis Bergé invite à s'appuyer sur des entreprises qui se sont déjà exportées en Afrique mais aussi des réseaux économiques comme les chambres de commerces africaines et les réseaux français à l'international comme Business France. Cela permet d'identifier les sujets sur lesquels se montrer prudents mais aussi de se positionner sur les bons pays en fonction de son activité. « Le Maroc, la Tunisie, la Côte d'Ivoire et le Sénégal sont les 4 pays les plus faciles pour les entreprises qui n'ont pas ou peu d'expérience du continent africain mais il ne faut pas négliger, sur la partie anglophone, le Rwanda, l'Ouganda ou la Tanzanie », avance Denis Bergé. Si l'Afrique représente un grand terrain de jeu de 54 pays, il ne faut pas y foncer tête baissée. Le mieux est de commencer par l'Europe puis de s'implanter ensuite sur chacun des continents « L'heure est à la diversification du modèle économique afin de ne plus mettre tous ses oeufs dans le même panier », conclut Isabelle Saladin.

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