Intérêts sur prêts intragroupe : des précisions jurisprudentielles utiles
Plusieurs décisions récentes des juridictions administratives ont justement apporté des précisons utiles sur le niveau du taux ou les modalités de preuve à apporter en cas de contrôle fiscal.
Rappel du dispositif légal de limitation des intérêts servis à des sociétés liées
Conformément aux dispositions de l'article 212, I du Code général des impôts ("CGI"), les intérêts des sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, sont déductibles à hauteur du plus élevé des deux plafonds suivants :
- La moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit, pour des prêts à taux variable aux entreprises d'une durée initiale supérieure à deux ans (taux maximum légal de l'article 39, 1-3° du CGI) ;
- Le taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou organismes financiers indépendants dans des conditions analogues (taux dit "de marché").
Pour rappel, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises lorsque (a) l'une détient directement ou indirectement la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision, ou (b) lorsque les deux entreprises sont placées sous le contrôle d'une même entreprise dans les conditions définies au (a) (article 39, 12 du CGI).
Ainsi, si une entreprise souhaite déduire les intérêts servis à une entreprise liée à un taux supérieur au taux maximum légal de l'article 39, 1-3° précité, elle doit être en mesure d'apporter la preuve qu'il s'agit d'un taux de marché.
Lire aussi : [Tribune] De gardien des finances à celui d'acteur stratégique : Le DAF s'adapte aux pressions financières externes
Diverses décisions récentes apportent un éclairage utile sur la charge de la preuve reposant sur le contribuable.
Les précisions apportées par la jurisprudence récente
Dans un premier temps, l'arrêt " Sociétés General Electric France " (CE 19 juin 2017 n°392543) a précisé que le fait que la société emprunteuse appartienne à un groupe ne permet pas de présumer de l'existence d'une garantie implicite de groupe ayant pour effet de minorer le taux auquel cette société aurait pu emprunter sur le marché. Seule une garantie explicite du groupe peut être prise en compte.
L'administration de la preuve de la normalité du taux pratiqué a été facilitée par l'arrêt " WB Ambassador " (CAA Paris 31 décembre 2018 n°17PA03018). Cet arrêt précise que la preuve peut être apportée par tout moyen et qu'elle ne doit pas nécessairement être contemporaine aux opérations concernées. A titre d'exemple, des études de taux, basées sur une note de crédit de l'entreprise emprunteuse, peuvent démontrer la normalité du taux pratiqué au même titre que des offres de prêt ; ces études peuvent être réalisées postérieurement à la date de conclusion du prêt intragroupe.
Un jugement du Tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil 7 janvier 2019 n°17-11658) a quant à lui apporté des précisions sur la portée de la notion " d'exercice en fait du pouvoir de décision " stipulée à l'article 39, 12 du CGI., qui sert de critère à la caractérisation d'une entreprise liée. Par ce jugement, le tribunal a estimé que ce pouvoir peut être exercé par un associé seul ou de concert avec d'autres. Ainsi, des liens de dépendance peuvent exister entre une société associée minoritaire et sa filiale si la première agit de concert avec d'autres associés.
Les éléments à retenir pour la détermination du taux pratiqué ont été précisés par l'arrêt " SNC Siblu " (CE 18 mars 2019 n°411189). En effet, le Conseil d'Etat estime que doivent être pris en compte :
- Les caractéristiques du prêt intragroupe concerné telles que les modalités de remboursement et de versement des intérêts ou l'existence de garanties ;
- Les caractéristiques de la société emprunteuse telles que sa capacité financière, son profil de risque ou encore sa position sur le marché.
Il en ressort que les prêts intragroupes qui sont le " miroir " de prêts bancaires souscrits par une entité du groupe (qui a ensuite reprêté tout ou partie des liquidités à l'intérieur du groupe) ne peuvent voir leurs conditions (systématiquement) calquées sur celles des financements bancaires considérés.
Enfin, l'avis " Wheelabrator Group " (CE 10 juillet 2019 n°429426) a confirmé la possibilité de recourir à une comparaison avec les taux issus des marchés obligataires. Néanmoins, cette possibilité est soumise à la condition que les taux obligataires sélectionnés concernent des entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables (critères définis dans l'arrêt SNC Siblu) et que les emprunts obligataires constituent une alternative réaliste à un prêt intragroupe.
Suivant cet avis, le Tribunal administratif de Versailles a jugé que, dans la mesure où la société Wheelabrator apportait la preuve qu'une émission obligataire aurait pu constituer une alternative réaliste au prêt intragroupe contracté, elle pouvait se référer aux taux du marché obligataire. Pour cela, la société a mis en avant le fait qu'elle était une petite société industrielle ayant un profil de risque élevé et que le montant du prêt était significatif par rapport à sa taille.
En conclusion
La mise en oeuvre d'un prêt intragroupe prévoyant un taux d'intérêt supérieur au taux maximum légal comporte toujours une part de risque dont l'intensité varie en fonction de la qualité de la documentation justifiant le taux pratiqué. Même si les décisions récentes présentées ci-dessus apportent un tempérament bienvenu à la position souvent rigide des autorités fiscales, il est recommandé aux groupes qui mettent en place des prêts entre entreprises liées (comptes courants, obligations, prêts classiques, prêts participatifs, etc.), soit d'obtenir des cotations d'établissements de crédit, ce qui n'est jamais facile, soit, lorsque le jeu en vaut la chandelle, de procéder à une étude de taux circonstanciée par recours à des comparables bancaires et/ou obligataires.
Pour en savoir plus
Pierre-Emmanuel Scherrer : avocat associé chez Bignon Lebray Avocats. Il conseille principalement des entreprises et groupes de sociétés, français ou étrangers, dans le cadre de leurs opérations exceptionnelles et de leur développement. Il intervient en particulier sur les opérations de haut de bilan et les problématiques fiscales internationales de ses clients.
Romain Cordier : avocat chez Bignon Lebray Avocats. Il intervient auprès des entreprises et des particuliers, aussi bien en tant que conseil qu'en cas de contentieux avec l'administration fiscale.
Sur le même thème
Voir tous les articles Fonction finance