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CSRD : ces entreprises qui publient leur reporting en pleine tourmente

En pleine tourmente contre les directives européennes du Green Deal, certaines entreprises ont commencé à publier leur rapports de double matérialité conformes CSRD. En France Sanofi a annoncé sa publication. Quels enseignements en tirer ? Comment les entreprises envisagent-elles la grande manoeuvre de "simplification" des paquets "omnibus" qui se jouera à Bruxelles le 26 février ? L'avenir de la CSRD est-il vraiment menacé ? Eclairages.

Publié par Christina DIEGO le - mis à jour à
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CSRD : ces entreprises qui publient leur reporting en pleine tourmente

Que va-t-il se passer le 26 février prochain à Bruxelles ? La CSRD va-t-elle être « supprimée », « simplifiée » ? Quel avenir pour le Green Deal européen ? A quelques jours de cette échéance tant attendue par le monde de la RSE, date éventuellement « décalée » apprend-on, 38 entreprises européennes viennent de publier leur rapport de double matérialité conforme CSRD sur le site public européen « sustainability reporting ».

Des vents contraires

Ce vendredi et lundi prochain se tiennent à Bruxelles des réunions de préparation concernant la législation « omnibus » visant à simplifier les directives CSRD et CS3D (devoir de vigilance). Depuis ces dernières semaines, et ces derniers jours, plusieurs voix s'élèvent pour prendre position sur la nécessité de maintenir les contours du Green Deal, et de ne pas sacrifier la transition environnementale voulue par l'Europe, alors que des vents contraires arrivent des Etats-Unis, notamment l'annonce du président Trump de sortir les Etats-Unis de l'Accord de Paris.

Qu'en est-il en Europe ? L'Espagne et le Danemark ont clairement pris position « contre une large dérégulation de la CSRD et du devoir de vigilance », rapporte ce 18 février le média BtoB mind.eu.com. En coulisse, les Etats membres « s'affronteraient » sur le contenu du texte de la loi omnibus. La France et l'Allemagne défendent une remise en cause maximaliste, alors que les gouvernements espagnol et danois revendiquent « préserver l'ambition des obligations sociales et environnementales des entreprises ». D'ailleurs, parmi les 38 entreprises qui ont publié leur reporting CSRD, la grande majorité sont des organisations danoises, et trois sont espagnoles, des groupes comme Novo Nordisk, Randstad, Orsted, Maersk, Carlsberg, BBVA et le français Sanofi.

« Je ne suis pas surpris par les turbulences entourant la mise en place de la CSRD, car toutes les directives européennes ont connu des difficultés similaires avant leur entrée en vigueur », indique Florent Jouanny, directeur et Expert Finance Durable chez Axys. Pour l'expert, la remise en question de la CSRD s'inscrit dans un contexte politique prévisible, « notamment avec la montée des forces conservatrices avec l'arrivée de Trump et certains pays comme l'Allemagne, où le charbon reste une source d'énergie dominante » détaille-t-il. L'Europe est confrontée à un lobbying intense de la part d'acteurs privés financés par des entreprises polluantes, ce qui complique encore davantage l'acceptation de ces réglementations, analyse l'expert. Face à cette situation, il reste convaincu qu'il est essentiel « de ne pas mélanger les enjeux économiques et environnementaux ». La transition écologique « est une réalité incontournable », et l'Europe, tout comme la France, n'a pas d'autre choix que d'anticiper ces transformations pour éviter un affaiblissement de nos propres entreprises, qui devront tôt ou tard s'adapter, assure-t-il. « Une réduction ou une suppression des principes clés comme la double matérialité, le Green Deal ou la CSRD constituerait une véritable régression, qui risquerait de freiner l'innovation et de fragiliser l'Europe face aux enjeux climatiques et économiques de demain », pointe Florent Jouanny.

En France, du contre...

En janvier, la France a fait savoir qu'elle souhaitait « suspendre pour deux ans la première (CSRD) et indéfiniment la seconde (CS3D) » par les voix de son ministre de l'Economie Eric Lombard et celle de Stéphane Séjourné, Vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle de la Commission européenne en charge des négociations « omnibus ».

Depuis, des voix contraires se font entendre. Le Meti (Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire) appelle « à suspendre la CSRD et la CS3D qui aboutiraient à ce que les entreprises européennes se fassent broyer par les Américains et piétiner par les Chinois ». Pour y remédier, le Meti demande « que les ETI de moins de 1 500 salariés soient exemptées du champ d'application de la CSRD, que toutes les ETI soient exemptées de la CS3D et que le nombre d'indicateurs requis soit divisé par dix ». En attendant que ces allègements soient effectifs, le réseau réclame la suspension de l'application de ces textes. Pour Florent Jouanny, dont le cabinet de conseil RSE a accompagné des ETI, le sujet est complexe. « La barre a été placée très haute en matière d'auditabilité des données, ce qui complique la mise en oeuvre des obligations, notamment pour les ETI qui avaient déjà commencé à structurer des données quantitatives, notamment environnementales. Toutefois, on leur demande désormais d'aller plus loin sur le narratif et les politiques associées, ce qui représente un travail considérable et coûteux, avec un impact financier pouvant atteindre 800 000 euros sur un à deux ans », temporise-t-il. Il reste convaincu que la transformation des entreprises est essentielle, mais il appelle à écouter les acteurs de terrain « qui soulignent les difficultés à produire ces rapports de durabilité. Une simplification pourrait être envisagée, mais elle ne doit pas être contre-productive ni affaiblir les ambitions du Green Deal, dont certains objectifs restent encore loin d'être atteints. Ma crainte réside dans une réduction excessive des exigences, qui pourrait compromettre la transition environnementale et la crédibilité des engagements pris. » Car l'essentiel est bien là. Préserver la ligne conductrice voulue par le Green Deal. C'est en tout cas l'avis des défenseurs de la CSRD.

... et du pour !

Une grande consultation*, orchestrée par makesens et à l'initiative d'un collectif de 24 experts RSE, a été menée du 10 au 18 février 2025 auprès de 294 entreprises répondantes, majoritairement des PME et ETI (79 %), 10 % sont de grandes entreprises cotées concernées par la première vague de la CSRD en 2025, 1 % de PME cotées, et 10 % d' entreprises volontaires souhaitant appliquer la CSRD de manière anticipée.

Résultats : 80 % des 294 entreprises répondantes sont satisfaites de la CSRD, mais demandent plus de soutien et des allègements. Parmi ces allègements, « mettre en place des guides et des normes sectorielles pour rendre la CSRD plus facile à mettre en place » (72 %), « mettre en place un guichet unique ; la publication du rapport de durabilité décharge l'entreprise d'autres obligations (exemple : bilan GES Ademe, etc) » (52%), « alléger le nombre d'indicateurs obligatoires au sein des ESRS actuels » (52%), et « alléger les règles de l'audit pour les premières années » (48 %). Des constats partagés aussi bien par les grandes entreprises sondées que par les ETI et PME. Les entreprises ne demandent « ni la suppression, ni l'abandon de la double matérialité », mais de « rendre obligatoires uniquement les ESRS E1, S1 et G1 pour le premier rapport » pour la grande majorité d'entre elles.

Sanofi et son 1er rapport CSRD

Dans un communiqué du 13 février, Sanofi a annoncé avoir déposé à l'AMF son rapport financier, mais aussi son 1er rapport de durabilité conforme CSRD. Alexis Krycève, fondateur-associé du cabinet de conseil RSE HAATCH en livre une analyse optimiste sur l'importance de publier. « Désormais, avec ces rapports qui sortent les uns après les autres, on sort de l'ère des postures et des fantasmes pour entrer dans le réel » , nous indique-t-il. Quand Sanofi indique que « 51 % des émissions de GES de Sanofi en 2024 proviennent de l'achat de matières premières et de la sous-traitance. (ESRS E1) », les gains associés sont « une identification de leviers majeurs de décarbonation, l'anticipation des futures taxes carbone et un accès facilité aux financements », analyse-t-il. Autre indicateur environnemental, « 865 fournisseurs évalués en 2024, dont 89 % répondant aux exigences de durabilité de Sanofi (ESRS S2), ce qui permet une transparence sur une sécurisation des chaînes d'approvisionnement, une réduction des risques juridiques et réputationnels et une optimisation des relations avec les fournisseurs pour une meilleure continuité des activités ». Alexis Krycève prend également en exemple un autre indicateur, plus social, quand Sanofi publie avoir eu « 38 cas avérés de fraude aboutissant au licenciement de 84 salariés en 2024 (ESRS G1), l'expert en déduit un gain pour l'entreprise en amendes et poursuites judiciaires évitées et une sécurisation des grands contrats avec les États et organisations ».

Pour l'expert, cet exercice de publication permet de sortir des postures et des positions idéologiques entre deux camps (pourfendeurs et supporters) un peu excessifs. « C'est l'avènement d'une nouvelle ère où les indicateurs des entreprises ne sont plus seulement financiers, mais où soudain, on peut disposer de tout un nouveau vocabulaire pour connaître une entreprise, ses réalisations, ses menaces, ses politiques et plans d'action. Et il saute désormais aux yeux de qui veut bien prendre quelques minutes pour ouvrir un rapport de durabilité comme celui de SANOFI, qu'il est tout sauf une entrave à sa compétitivité », souligne Alexis Krycève.


* Collectif de la Consultation CSRD Entreprises : 24 acteurs experts de la RSE qui représent plus de 1 800 collaborateurs et accompagnent plus de 600 entreprises sur les sujets RSE : Aktio, Axionable, Chaîne Double Matérialité du CERCES, Corpokarma, I Care by Bearing Point, Des Enjeux et des Hommes, Ekimetrics, Ekodev, Goodwill Management, Greenflex, Greenly, Greenscope, Kiosk, Haatch, Lysi, Meilleur Demain, Naldeo, Parangone, R3, Sustainsoft, Sami, Sweep, Utopies, Zei.

Parmi les 294 entreprises répondantes : Accor, Aroma-Zone, Besson Chaussures, Bouygues Construction, Brevo, Caisse d'Epargne Bretagne Pays de la Loire, Coop Atlantique, Delabie, Devoteam, DomusVi, Fayat, Groupe sfpi, Harmonie Mutuelle, Kiloutou, La Redoute, Médiamétrie, Mutuelle des Motards, Norsys, Phenix, Picard, Qonto, Quito Group, SCC, Serfim, Sodebo, Tape à l'Oeil,Unibail-Rodamco-Westfield.

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