La RSE, passons d'une vision extra-financière à une vision climatique !
Dans cette tribune, Robin Degron, Magistrat de la Cour des comptes, directeur du Plan Bleu (PNUE Méditerranée) et Emmanuel Millard, président ICFOA, vice-président Sorbonne Business School, appellent à une approche proactive de la directive CSRD, transformant contraintes climatiques en opportunités. Ils prônent une RSE stratégique, adaptée aux enjeux écologiques, pour créer des projets d'avenir et repenser l'activité économique face au dérèglement climatique.
Les conséquences du dérèglement climatique sont sous nos yeux. De sécheresses estivales en déluges automnales, il n'est plus possible de faire l'autruche. C'est l'équilibre même de nos sociétés, non seulement méditerranéennes ou africaines mais également européennes ou nord-américaines, qui est en jeu. Les ouragans Kirk et Milton nous le rappellent cruellement.
Portée par le Pacte vert de l'Union européenne (Green Deal), la directive sur la responsabilité sociale des entreprises (CSRD) de 2022 va rentrer dans sa phase active dès 2025 pour les plus grandes entreprises avec un nouveau cadre de reporting. Non seulement il va falloir examiner les impacts de l'entreprise sur l'environnement mais aussi les conséquences du changement de l'environnement sur les activités de l'entreprises (logique de double matérialité). Il s'agit là d'une révolution dans l'approche des démarches ESG qui souligne la responsabilité écologique du secteur privé et sa sensibilité : une usine de production automobile sous les flots, une centrale d'énergie sans eau pour la refroidir, des cargos échoués par la tempête, une industrie agroalimentaire sans approvisionnement suite à une canicule répétée. La liste est longue des champs de l'impossible autrefois devenus probables aujourd'hui.
Cadre d'un projet stratégique pour l'entreprise
Pas de panique, cette directive CSRD et cette exigence accrue en matière de reporting sont une chance. Ne nous enfermons pas dans le juridisme, ni le catastrophisme. Pour peu de s'appuyer sur cette apparente contrainte réglementaire, nous pouvons en faire le cadre d'un projet stratégique pour l'entreprise et transformer les risques en opportunités de développement.
Nous croyons qu'il faut d'abord approcher la RSE à la manière d'un ingénieur plus que d'un juriste. Posons-nous la question des impacts de l'activité sur l'environnement, franchement, sans oeillère, afin de répondre à notre responsabilité ESG avec l'ensemble des collaborateurs pour mieux adresser les points. Il s'agit de nous donner une dynamique de groupe, un projet d'avenir souhaitable pour nos ressources humaines, nos partenaires, nos actionnaires. Ensuite, viendra le temps de la transposition juridique, dans le formalisme d'un rapport qui n'est que la restitution formelle d'une prise de conscience. Le fond doit primer sur la forme car la RSE n'est plus un jeu d'apparence mais le vecteur d'une action rationnelle des entreprises. C'est au plus près de la réalité du terrain que nous résoudrons les problèmes. De la réflexion à la décision puis à l'action, nous y sommes.
Innover et être positif
La grande nouveauté de la directive CSRD est de poser la question des impacts du changement de l'environnement, en particulier du climat, sur les activités de l'entreprise. Là, il ne s'agit plus de recycler les rapports ESG d'antan, ceux poussés par la directive européenne de 2014 sur la reporting extra-financier. Il faut ici innover et être positif. Oui, certains secteurs d'activités vont être négativement impactés par le dérèglement climatique. Il va falloir repenser la localisation de certaines unités de production ; il va peut-être falloir arrêter, progressivement, certaines activités et les transformer.
L'industrie automobile est un bon exemple de la sensibilité de la transition écologique et adaptative. Certaines usines ne sont-elles pas imprudemment installées dans le lit majeur d'une rivière ? La motorisation thermique semble condamnée à céder sa place aux motorisation électriques. Encore faudrait-il se donner du temps, 2035 est sans doute un peu court, 2050 plus réaliste, pour changer de pied sans que l'Europe ne perde sa part de marché au profit d'une Chine qui est partie très en avance de pratiquement rien et qui demeurera jusqu'en 2060 le plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la Planète et des Etats-Unis qui, avec l'élection de Donald Trump, a d'ores et déjà annoncé qu'ils quitteraient toutes les instances sur le climat (COP 29, ...). Bref, prenons tout de même le temps de ne pas nous faire enfouir par des concurrents peu vertueux et inconscient de l'avenir de la planète.
Opportunité de croissance
Mais l'exposition aux risques environnementaux, en particulier climatique, n'est pas qu'une mauvaise nouvelle, c'est aussi une formidable opportunité de croissance. Pour les pouvoirs publics, le coût de l'inaction climatique par rapport à l'anticipation et à la l'adaptation est d'environ de 10 pour 1. La commande publique, en matière de BTP, de mobilité, de gestion des déchets et de l'eau notamment ne peut qu'aller croissante. Les contraintes budgétaires ne peuvent, ne doivent, pas toucher à la « dette écologique ». Si on y prend garde, cette « dette » là, sera le déficit du compte de résultat des États demain. Et puis, du côté de nos concitoyens, il ne faut pas oublier la prise de conscience qui s'opère, pas seulement chez les plus jeunes. Grands-parents, parents sont confrontés à l'angoisse climatique de leurs petits-enfants et enfants. « Le marché est mûr » pour transformer ce qui n'était que des voeux pieux, il y a encore quelques années, en actions véritables, en achats responsables, en ventes soutenables.
Changeons notre vision de la responsabilité sociétale des entreprises et profitons de cette nouvelle directive européenne, même s'il faut probablement l'ajuster pour ne pas fragiliser nos entreprises à l'étranger, pour transformer nos affaires, conquérir de nouveaux marchés, répondre à nos clients au-delà d'un simple pensum juridique. Ne subissons pas les dérèglements climatiques, captons leur énergie pour nous donner un nouvel élan, de nouveaux projets pour nos sociétés, un nouveau projet de société.
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