Donneur d'ordre et fournisseur innovant: un partenariat, plus qu'un contrat
Aujourd'hui, impossible d'innover sans nouer de partenariats avec des entreprises innovantes. Mais ces dernières ne sont pas des fournisseurs comme les autres et nécessitent un traitement particulier. C'est au donneur d'ordre de s'adapter à la start-up. Conseils.
Innover ou mourir: les entreprises n'ont aujourd'hui plus le choix. Et l'innovation ne peut plus se faire uniquement en interne. Manque de moyens, nécessité d'aller vite, complexité... Il est nécessaire de faire ce qu'on appelle de l'"open innovation", c'est-à-dire collaborer avec des entreprises innovantes.
Après un premier article consacré au sourcing requis pour ce type d'achats, demeure une question: quelle relation lier avec ces entreprises, bien souvent des start-up dont le fonctionnement est éloigné de celui des grandes entreprises? Car il faut bien avoir conscience que ces entreprises innovantes ne sont pas des fournisseurs habituels. La relation avec elles est donc bien différente. Le contrat, tout d'abord, ne peut pas être calqué sur ce qui se fait déjà. "Le contrat avec une start-up est forcément sur mesure. Car chaque start-up est différente et chaque situation est différente: il ne s'agit pas à chaque fois de la même organisation ni de la même technologie", insiste Franklin Brousse, avocat spécialisé dans les achats innovants.
Gestion de la dépendance économique
"Il faut faire preuve d'humilité pour les écouter, les comprendre et prévoir une phase de test and learn", propose Dominique Scalia, président de l'Observatoire Com Média. Ainsi, au lieu d'éviter la dépendance économique, par exemple, il faut la gérer en faisant en sorte que la situation ne s'installe pas sur le long terme. "Il est possible, par exemple, d'aider la start-up à diversifier son portefeuille de clients", avance Muriel Monteiro, associée au sein de BearingPoint. "Il faut analyser les perspectives d'évolution de la start-up: si elles sont importantes, il y a de grandes chances pour que la situation de dépendance économique ne dure pas", ajoute Franklin Brousse.
Car innover, c'est prendre des risques. Mais ces risques doivent être mesurés, pas ignorés. "Il y a une analyse à mener en amont sur l'identification de tous les risques: technologie, management, levée de fonds, etc. Généralement, les start-up ont un business plan, une roadmap technologique, financière et ressources humaines, ce qui aide à identifier les différents risques facilement, précise Franklin Brousse. C'est à partir de cette analyse que se construiront les principaux points du contrat, en se mettant d'accord avec la start-up."
Se décideront donc ainsi les points financiers, technologiques mais aussi ceux liés à la résiliation ou encore à l'entrée au capital ou au rachat par une autre société. "Si l'entreprise donneuse d'ordre n'est pas consciente des risques, le partenariat avec la start-up peut la mener droit dans le mur ou au contraire la faire passer à côté d'opportunités", conclut Franklin Brousse. Comme le rachat de ladite start-up, par exemple.
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Un partenariat plus qu'un contrat
Surtout, les contrats doivent prendre en compte les intérêts des start-up. "L'analyse des risques doit aussi bien concerner le donneur d'ordre que le fournisseur pour que le partenariat fonctionne réellement", souligne Sébastien Chaussoy, associé fondateur du cabinet de conseil Cylad. L'outil MIM, par exemple, permet de voir quels sont les enjeux pour l'entreprise mais aussi pour les partenaires.
Le risque, sinon, est de les étouffer. Franklin Brousse invite à tout mettre en oeuvre pour que l'entreprise innovante sélectionnée réussisse et se développe. "Les grands comptes ont intérêt pour leur avenir que leurs partenaires start-up se développent cela permet à ces derniers de rester innovants et de perdurer", indique-t-il. Ce qui rejaillira inévitablement sur son client.
De plus, le donneur d'ordre peut perdre beaucoup à voir l'un de ses partenaires faire faillite. Caroline Martinot, responsable communication et marketing de l'éditeur Ivalua, parle d'une relation "win-win": "Il faut être sûr que le contrat n'étouffe pas le fournisseur, que ce soit au niveau de la propriété intellectuelle, de la dépendance, de l'aspect financier", indique-t-elle. Avec ses start-up, il s'agit en fait d'être bienveillant. Muriel Monteiro cite BNP qui a créé "le start-up engagement kit": la banque s'engage auprès des start-up à proposer des contrats lights et à les payer rapidement.
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La politique des petits pas
D'autant plus que le rapport de force est en train de s'inverser: si les conditions imposées par le donneur d'ordre sont trop dures, la start-up n'hésitera pas à aller innover ailleurs. De même, elles cherchent des entreprises avec lesquelles une collaboration sur le long terme est possible. Ainsi, au-delà du contrat, les fournisseurs innovants attendent de leurs clients un accompagnement spécifique.
"Le secret d'une relation avec de petites sociétés est de bien les accompagner au début, d'être très présent avec beaucoup d'encadrement et de réunions", révèle Murielle Le Trocquer, directrice achats R&D et innovation de Jacquet Brossard. Il faut notamment les aider à passer d'un POC à une production plus importante. "Les start-up ont des difficultés à passer à l'échelle: il est souvent difficile pour elles de faire de gros volumes rapidement. Il faut donc avoir une approche phasée et ne pas passer un cap énorme d'un pilote à un déploiement mondial. Mais y aller petit à petit", pointe Martin Duval, président de Bluenove. Il invite aussi à ne pas remettre le budget en concurrence trop tôt, mais laisser trois bonnes années à la start-up pour s'adapter. L'objectif étant d'installer une véritable relation de partenariat, pour innover pleinement. "Les grands donneurs d'ordre doivent travailler leur lisibilité et nommer systématiquement un SPOC "Single Point Of Contact " est une bonne pratique, ajoute Claire Etcheverry, associée BearingPoint. Les acheteurs pourraient jouer le rôle de base avancée de l'entreprise et animer les relations avec l'écosystème de start-up."
Quel pilotage adopter vis-à-vis des fournisseurs innovants ?
De l'avis de tous les experts, le pilotage doit être fin. "Trimestriellement, voire même mensuellement, il faut relever des indicateurs: développement de nouveaux produits, nouveaux clients, levée de fonds, etc. Ce sont des questions que l'on ne se pose pas avec des fournisseurs traditionnels mais qu'il faut se poser avec des start-up", conseille Franklin Brousse. Cela permet de ne pas passer à côté d'opportunités, ces petites entreprises innovantes se développant généralement très vite.
À ne pas négliger non plus: la nécessaire souplesse au niveau de la prise de risques. Pour Alberto Buron, expert optimisation achats chez Cylad, "il s'agit donc d'adopter une nouvelle culture au sein de l'entreprise en flexibilisant les risques financiers, les validations de nouveaux fournisseurs...". "Il faut être moins précis et exprimer le besoin fonctionnel et non plus le besoin technique", poursuit Caroline Martinot (Ivalua). Et aller plus vite: une innovation qui tarde à être mise en place perd tout son intérêt. Et les start-up risquent de se lasser.
Un dernier conseil, celui de Bernard Monnier, président de MIM: laisser de côté l'aspect coûts pour se focaliser sur la valeur ajoutée.
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