L'Euro PP à la portée des ETI et de leurs Daf
Dans la vaste famille des financements alternatifs, l'Euro PP, bien que né il y a à peine trois ans, connaît un engouement et une démocratisation croissants auprès des ETI. Un outil de diversification des financements qui gagne à être mieux connu des DAF pour réduire leur dépendance aux banquiers.
Dans un contexte d'afflux de liquidité où les banques rivalisent d'agressivité pour accorder des prêts à des taux ridiculement bas, il peut paraître paradoxal de parler placement privé, forcément plus complexe et plus cher qu'un financement bancaire classique. Et pourtant... le marché des placements privés Euro PP connaît un succès croissant depuis deux ans, dopé ces derniers mois par la mise en place d'une charte et d'une documentation de financement standard. Comment expliquer cette contradiction ? " En plus d'être remboursable in fine et de libérer ainsi les cash flows de l'entreprise,
l'Euro PP offre une maturité plus longue qu'une dette bancaire classique (6/7 ans vs 5 ans), ce qui justifie le coût plus élevé de 150 à 200 pb par rapport au crédit bancaire, explique Yann Beckers, associé au cabinet Stephenson Harwood. S'il était réservé à ses débuts aux plus grosses ETI, il s'est considérablement démocratisé ces deux dernières années avec un ticket à partir de 10 à 15 millions d'euros, et bénéficie d'un environnement juridique stabilisé d'inspiration française. "
Diversification des financements
D'après le dernier rapport de l'observatoire des financements d'entreprise par le marché publié en juin 2015, les placements privés Euro PP ont séduit 38 ETI et 3 PME en 2014, soit le double des entreprises concernées en 2013 pour des tickets moyens en baisse de 17%. Un franc succès qui aurait toutefois connu un certain essoufflement en 2015 d'après l'édition de septembre de l'Observatoire des Euro PP du cabinet d'avocats d'affaires CMS Bureau Francis Lefebvre qui recense 26 opérations pour les trois premiers trimestres de 2015 contre 53 financements Euro PP sur toute l'année 2014.
" Ce ralentissement s'explique par une approche très compétitive de la part des banques qui ont voulu reconquérir des parts de marché prises par les financements alternatifs, justifie l'avocat spécialiste de la dette. Mais cela ne remet aucunement en cause l'intérêt de l'Euro PP et la tendance de fond à la diversification des financements des ETI en faisant appel aux marchés. " En outre, ce sont surtout les Euro PP cotés réservés aux plus grandes entreprises qui ont connu un certain désamour en 2015, tandis que la variante non cotée plébiscitée par les ETI de taille plus modeste est plutôt restée stable : 14 opérations recensées sur les trois premiers trimestres 2015 à rapporter aux 17 opérations comptabilisées sur toute l'année 2014.
Focus sur des ETI ayant recouru à l'Euro PP en 2015
Parmi les entreprises qui ont sauté le pas en 2015, on retrouve aussi bien le groupe coté de maisons de retraite médicalisées Le Noble Age (356 M€ de CA) qui a levé une enveloppe de 31,2 millions d'euros que la SSII en forte croissance Devoteam (443 M€ de CA) pour un ticket de 30 millions ou encore le groupe industriel spécialisé en ingénierie mécanique et hydraulique AD Industrie (200 M€ de CA) pour un emprunt d'une vingtaine de millions d'euros. Le spécialiste d'infrastructures internet OVH (250 M€ de CA) a, lui, osé fin 2014 coupler un Euro PP de 107 millions d'euros avec un crédit syndiqué de 160 millions pour financer un plan d'investissement de 400 millions d'euros sur trois ans. Un exemple typique d'une entreprise à forte croissance qui s'offre des marges de manoeuvre qu'un financement exclusivement bancaire n'aurait pas pu lui octroyer. " Le recours à l'Euro PP peut se justifier pour financer un investissement ponctuel, tel qu'une opération de croissance externe, ou servir à refinancer une partie de l'endettement de l'entreprise même s'il n'a pas du tout vocation à remplacer la dette bancaire, car les investisseurs de cette classe d'actifs ne viendront que si une partie significative de la dette bancaire reste en place ", précise Yann Beckers.
Le souvenir du credit crunch 2009/2010...et Bâle III
Plus globalement, et en dehors de tout événement particulier, cette démarche peut répondre tout simplement à une logique de diversification des sources de financement de l'entreprise et s'inscrit donc dans une tendance de fond de rééquilibrage entre la dette issue des marchés de capitaux et la dette bancaire classique. " Les directeurs financiers et les chefs d'entreprise que l'on rencontre gardent en mémoire le credit crunch des années 2009 et 2010 qui leur a fait prendre conscience de l'importance de diversifier leurs financements malgré l'attrait des prêts bancaires avec des intérêts qui n'ont jamais été aussi bas, soutient Valérie Ducourty, directrice d'investissement chez Idinvest, en charge de la poche non cotée du fonds Novi 2, un fonds de Place ayant pour objet de soutenir le développement de PME/ETI à la fois par des instruments de dette et de fonds propres. " D'autant que les banquiers ne voient pas forcément d'un mauvais oeil que leur client complète sa palette de financement avec de la dette in fine qu'ils sont eux-mêmes réticents à accorder car pesant trop lourdement sur leur bilan depuis les normes Bâle III " ajoute l'ancienne banquière qui accompagne des entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 30 et 200 millions.
Le rôle du Daf dans ce type de financement
Reste l'obstacle psychologique qui freine beaucoup d'ETI ne se considérant pas éligibles à ce type de financement et les habitudes ancrées chez les Daf dont les interlocuteurs historiques, à savoir les banquiers, ne leur proposent que très rarement cette alternative de financement. Pour se lancer dans cet univers inconnu, le premier conseil est de prendre un conseil ! " Qu'il s'agisse d'un debt advisory, d'une boutique ou de l'auditeur historique de l'entreprise, le directeur financier devra être épaulé d'un expert pour lui faire gagner du temps et lui permettre de prendre du recul " préconise Valérie Ducourty. " Car l'approche des investisseurs en placement privé est très différente des banquiers et se rapproche plus de la démarche d'un fonds de private equity avec des due-diligences plus poussées et une volonté de bien comprendre la stratégie de l'entreprise sur le long terme. " Bien en amont de la négociation, il est donc primordial que l'entreprise mette " au carré " ses informations financières et se prépare à la mise en place d'un Euro PP. " Le Daf doit aussi être sûr de pouvoir mobiliser le dirigeant d'entreprise pour définir la stratégie de l'entreprise et assurer les road-shows qui demandent une implication de tout le management ", appuie Yann Beckers. L'avantage est qu'une fois ce premier placement privé mis en place, les levées ultérieures requièrent bien moins de formalisme et de préparation, l'entreprise bénéficiant d'un historique auprès des investisseurs et d'une prime à l'expérience.
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