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Comment affronter la concurrence par la disruption?

Comment faire face à une concurrence qui semble de plus en plus complexe ? François Lévêque, professeur à l'Ecole des Mines, analyse dans son dernier livre, Les habits neufs de la concurrence, comment la concurrence a évolué ces dernières années, et comment les entreprises peuvent y faire face.

Publié par Aude David le | Mis à jour le
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Comment affronter la concurrence par la disruption?

On a l'impression que la concurrence s'est beaucoup transformée ces dernières années. Est-elle plus ou moins forte qu'avant ?

J'ai la conviction que la concurrence s'érode depuis les années 1980, même s'il n'y a pas de preuve formelle : on a l'impression que les GAFA, présents partout dans le monde, dominent tout.Ce qui est prouvé, en revanche, c'est qu'aux Etats-Unis, les entreprises les plus performantes voient leurs parts de marché augmenter, et le nombre de concurrents se réduit. Le paysage économique est de plus en plus oligopolistique, il se concentre autour de quelques grandes entreprises. Le paysage est contrasté. D'un côté, les phénomènes d'ubérisation accentuent la concurrence et les entreprises qui ne peuvent suivre la course à l'innovation sont marginalisées : Nokia, Blackberry...

De l'autre côté, les entreprises qui gagnent la course obtiennent une position plus forte qu'avant. Microsoft est toujours dominant depuis trente ans, Blablacar va vraisemblablement accentuer sa domination du covoiturage, Spotify a acquis 20 millions d'abonnés en un an. La concurrence se durcit, en partie à cause de la course à l'innovation, et se ralentit en même temps, car la demande augmente, et la différenciation croissante tempère la concurrence.

Vous parlez beaucoup de différenciation. Est-ce un élément clé pour faire face à la concurrence ?

La différenciation diminue la concurrence sur les prix

Oui, et je ne pensais d'ailleurs pas qu'elle était si importante et si manifeste. Il est très difficile de trouver un produit pour lequel il n'y ait pas plusieurs variantes. Or, la différenciation diminue la concurrence sur les prix, car les entreprises ne sont plus en concurrence sur des produits identiques. Un petit avantage, même sans sans produit novateur, peut apporter un avantage énorme en terme de marge et de profit, ce qui peut expliquer la concentration croissante.

Si on prend l'exemple du streaming, les plateformes présentent plus ou moins les mêmes caractéristiques. La grande différence, c'est que Spotify a été le premier à élaborer des playlists personnalisées en fonction des écoutes des auditeurs. Cela a été un gros avantage pour gagner des utilisateurs, et ils ont aujourd'hui 60 millions de playlists personnalisées. Cela a permis de perfectionner leur algorithme qui établit les playlists : plus il a de données, plus il produit des résultats pertinents. Ce petit avantage initial a été suffisant pour leur donner un gros avantage sur leurs concurrents.

La disruption transforme également la concurrence, et les entreprises n'ont pas toujours conscience de sa puissance...

Il ne faut pas être focalisé que sur ses trois principaux concurrents

En effet, l'innovation de rupture, ou disruption - Joseph Schumpeter parlait de destruction créatrice - s'est accélérée depuis les années 1980. Il ne faut pas être focalisé que sur ses trois principaux concurrents lors de sa veille concurrentielle. Un nouvel entrant peut tout à fait faire une entrée spectaculaire, et il ne faut pas attendre trois ans avant de réagir. Cela a été le cas avec DollarShaveClub, une entreprise qui envoie tous les mois par la poste des recharges de lames de rasoir à ses clients, via un abonnement. Gillette a mis trois ans à réagir en lançant son propre modèle d'abonnement. Cet exemple rappelle que l'innovation ne se limite pas à la technique : un nouveau modèle économique peut être bien plus innovant qu'un nouveau produit.

Les acteurs novateurs vont justement s'intéresser à ces clients délaissés, avant de monter en gamme

Le principe de la disruption, c'est que l'entreprise va souvent entrer par le bas du marché. Les insiders ne s'intéressent pas aux consommateurs du bas de l'échelle, la marge est plus grande quand le consentement à payer est plus élevé, donc plus une marque se développe, plus elle monte en gamme et délaisse les petits clients. Or les acteurs novateurs vont justement s'intéresser à ces clients délaissés, avant de monter en gamme. C'est ce qu'a fait Blablacar qui à ses débuts ciblait un petit nombre de consommateurs, essentiellement les voyageurs qui n'avaient pas les moyens de prendre souvent le train, jeunes, qui se décidaient à la dernière minute. Aujourd'hui, sa clientèle va aujourd'hui bien au-delà de cette seule cible, alors qu'il n'était au départ pas vu comme un concurrent par les autres moyens de transport.

Pour limiter ces risques, les entreprises établies devraient réfléchir à comment s'intéresser à cette clientèle, mais le conseil d'administration reste sur l'idée que l'on gagne plus d'argent quand on vend aux riches. Même si l'innovation ne passe pas que par le bas de gamme, comme on le voit avec Apple ou Tesla.

Comment alors limiter les risques de se faire renverser par une entreprise disruptive ?

Coopérer peut être un avantage. On est de plus en plus dans une économie des écosystèmes, et dans une économie des biens substituables. Dans le transport, le rail peut être complémentaire au dernier kilomètre, qui peut être assuré par un taxi.

Entre les fabricants de chaussures de ski, les fabricants de fixation et les fabricants de ski, il y a une réelle interdépendance. De plus en plus, la concurrence ne se fait plus entre entreprises seules, mais écosystème contre écosystème. C'est ce que font des firmes comme Google, qui rachète ou s'allie à des entreprises dont les innovations pourraient le menacer et arrive à fédérer de nombreuses entreprises autour de lui.Mais la question se pose alors du partage des bénéfices entre les différents acteurs, ce qui crée une compétition au sein même de l'écosystème.

François Lévêque est professeur d'économie à l'Ecole des Mines - ParisTech. Ses activités d'enseignement et de recherche portent notamment sur la politique de la concurrence, l'économie industrielle, l'économie de l'énergie, et les régulations anti-trust.

Son dernier livre, Les habits neufs de la concurrence, dévoile les rouages de la concurrence entre les entreprises. Il évoque les évolutions récentes de la concurrence et leur impact sur les entreprises contemporaines.

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