Subventions étrangères : quels enseignements tirer des premières semaines d'application du nouveau règlement?
Le règlement relatif aux subventions étrangères («RSE») permettra à l'UE de rester ouverte aux échanges et aux investissements, tout en garantissant des conditions de concurrence équitables pour toutes les entreprises opérant dans le marché unique. Approuvé par le législateur européen en décembre 2022, quelles sont les premières étapes de sa mise en place?
Alors que les aides financières accordées aux entreprises par les États membres de l'Union européenne (« UE ») sont depuis longtemps soumises au contrôle des aides d'État, les subventions accordées par les pays tiers échappaient jusqu'à présent pour la plupart à un examen similaire de la part des institutions de l'UE, ce qui a pu provoquer des distorsions de concurrence sur le marché intérieur. Afin de combler cette lacune et de créer des conditions de concurrence équitables pour toutes les entreprises actives dans l'UE, un règlement relatif aux subventions étrangères[1] (le « Règlement ») a été adopté par le législateur européen en décembre 2022.
Notifications et investigation
Ce Règlement prévoit trois nouveaux outils dont le contrôle est confié à la Commission européenne et visant à remédier aux distorsions de concurrence générées par les subventions accordées par des pays tiers à des entreprises actives au sein de l'UE. D'une part, deux outils qui reposent sur un mécanisme de notification préalable des opérations de concentration et des marchés publics de grande envergure dépassant les seuils fixés dans le Règlement[2]. D'autre part, un outil général d'investigation, qui permet à la Commission européenne de mener des enquêtes de sa propre initiative (ex officio) sur toute situation de marché impliquant des subventions de pays tiers susceptibles d'entraîner des distorsions de concurrence.
Des enquêtes d'office
La Commission a précisé les modalités de contrôle des subventions étrangères dans un règlement[3] adopté le 10 juillet 2023 (le « Règlement d'exécution »). Ainsi, depuis le 12 juillet 2023, la Commission européenne a le pouvoir de mener des enquêtes d'office. Les obligations de notification s'appliqueront quant à elles à partir du 12 octobre 2023. Le dispositif de contrôle des subventions étrangères sera donc pleinement effectif dans les prochains jours.
Compte tenu du manque de ressources à sa disposition pour mettre en oeuvre le Règlement, la Commission européenne ne devrait être en mesure de mener des enquêtes de sa propre initiative que de manière très sélective, afin de se concentrer sur le traitement des notifications.
Dès l'adoption du Règlement, Olivier Guersent, Directeur Général de la Direction Générale de la concurrence de la Commission européenne, avait exprimé ses inquiétudes quant au manque de ressources auquel il faisait face pour mettre en oeuvre le nouveau dispositif de contrôle des subventions étrangères.
Un appel d'offres de 3 millions d'euros pour aider à la mise en oeuvre du Règlement
Afin de pallier cette difficulté, la Commission européenne a d'ailleurs lancé, de manière inhabituelle, un appel d'offres la veille de l'entrée en application de son pouvoir de mener des enquêtes ex officio. Avec un budget global de 3 millions d'euros pour une durée maximale de quatre ans, la Commission indique dans cet appel à candidature rechercher de l'aide pour lui fournir des renseignements concernant l'existence et l'impact des subventions étrangères dans l'ensemble de l'économie de l'UE et pour l'assister dans le cadre d'actions individuelles de mise en oeuvre de ses nouveaux pouvoirs.
On comprend des déclarations des représentants européens que, compte tenu des tensions sur les ressources à sa disposition pour mettre en oeuvre le Règlement, l'intention de la Commission européenne est de se concentrer dans un premier temps sur le traitement des notifications et qu'elle n'activera le mécanisme d'enquête ex officio que de manière très sélective.
C'est d'ailleurs par exemple ce qu'a déclaré Nicola Pesaresi, le chef de l'unité de la Commission chargée de superviser les aides d'État dans le secteur de l'énergie. S'exprimant lors d'une conférence à propos des préoccupations liées à des subventions étrangères dans le secteur du football dont ont fait part à la Commission européenne le club de football belge Royal Excelsior Virton et la ligue espagnole de football LaLiga, ce dernier avait alors indiqué que la priorité de la Commission à ce stade était le traitement des notifications.
L'articulation avec les autres instruments de contrôle des subventions étrangères
Le Règlement sur les subventions étrangères prévoit qu'il s'applique sans préjudice des autres instruments juridiques visant à protéger contre les effets négatifs des subventions accordées par des pays tiers à l'UE et en particulier le règlement 2016/1037[4] qui permet l'imposition de droits compensateurs sur les importations subventionnées de marchandises dans l'UE. Par conséquent, si la Commission européenne n'entend dans un premier temps utiliser son pouvoir d'investigation que de manière limitée, elle pourra néanmoins activer ce mécanisme de défense commerciale. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a d'ailleurs annoncé le 13 septembre dernier avoir ouvert sur ce fondement une enquête antisubventions sur les véhicules électriques en provenance de Chine[5].
La Commission se prépare à examiner les premières notifications d'opérations soumises à l'obligation de contrôle préalable.
De manière similaire à ce qui est prévu en matière de contrôle des concentrations, le Règlement d'exécution encourage les parties notifiantes à engager des discussions préalables à la notification. A cet égard, la Commission a précisé dans son document de questions réponses[6] publié le 12 juillet 2023 que les entreprises concernées par l'obligation de notification pouvaient établir avec elle des contacts préalables à la notification dès septembre 2023 afin de faciliter la soumission des notifications à partir du 12 octobre 2023.
Vigilance sur les opérations de concentration
Par ailleurs, des précisions quant aux opérations de concentrations soumises à l'obligation de notification préalable ont été apportées dans le Règlement d'exécution et dans le document de questions réponses publié par la Commission européenne.
Par exemple, s'agissant de l'expression « établie dans l'Union », le Règlement d'exécution précise que celle-ci doit s'entendre selon la jurisprudence de la Cour de justice et inclure la constitution d'une filiale ainsi que d'un établissement stable dans l'UE. Par conséquent, comme en matière de contrôle des concentrations pour les opérations dites « foreign to foreign », l'obligation de notification prévue par le Règlement pourrait trouver à s'appliquer à des opérations de concentrations entre deux entreprises étrangères si les seuils de notification sont remplis et si ces entreprises ont une activité dans l'UE.
L'exemple du projet d'acquisition de Capri, propriétaire de Michael Kors, Jimmy Choo et Versace, par Tapestry, deux entreprises basées aux États-Unis, constitue une illustration du champ d'application potentiellement large du Règlement sur les subventions étrangères. Ces deux conglomérats américains de la mode ont à cet égard récemment informé la Securities and Exchange Commission des États-Unis de la nécessité d'obtenir l'approbation de la Commission européenne en vertu des nouvelles règles de l'UE sur les subventions étrangères avant de pouvoir mettre en oeuvre l'opération dans la mesure où Capri a une activité établie en Europe générant un chiffre d'affaires supérieur à 500 millions d'euros.
Sources :
[1] Règlement (UE) 2022/2560 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur.
[2] Conformément à l'article 20 du Règlement sur les subventions étrangères, une concentration doit faire l'objet d'une notification préalable lorsque (i) l'entreprise acquise, une des parties à la fusion ou l'entreprise commune est établie dans l'UE et génère un chiffre d'affaires dans l'UE d'au moins 500 millions d'euros et (ii) faisant intervenir une contribution financière de pouvoirs publics d'un pays non-membre de l'UE d'au moins 50 millions d'euros.
[3] Règlement d'exécution (UE) 2023/1441 de la Commission du 10 juillet 2023 relatif aux modalités détaillées des procédures mises en oeuvre par la Commission en vertu du règlement (UE) 2022/2560 du Parlement européen et du Conseil relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur.
[4] Règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne.
[5] Voir par exemple le discours sur l'état de l'Union 2023 (Discours sur l'état de l'Union de la Présidente von der Leyen (europa.eu))
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