Chronique d'une mort annoncée du co-emploi
A l'origine, le critère du co-emploi était celui du lien de subordination.
Le co-emploi et le lien de subordination
Le lien de subordination juridique est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le manquement de son subordonné.
Ce critère de lien de subordination juridique qui détermine la relation entre un employeur et un salarié - qui existe toujours - n'est plus celui qui prévalait depuis quelques années dans les contentieux sur le co-emploi.
Le co-emploi entre sociétés d'un même groupe et le triple critère de la confusion d'intérêt, d'activité et de direction
Né de la recherche d'un débiteur solvable en cas de fermeture pour cause économique d'une société, les salariés de ces entreprises en difficulté avaient attrait, outre leur employeur, une autre société appartenant au même groupe, en règle générale, la maison mère, aux fins qu'elle soit jugée co-employeur et soit condamnée solidairement.
La Cour de Cassation avait rendu, en 2011, de nombreux arrêts reconnaissant une situation de co-emploi entre filiale et société mère dès lors qu'elle constatait une utilisation abusive de la relation particulière que créé l'appartenance à un Groupe par la disparition de l'autonomie effective d'une filiale.
Monsieur Pierre BAILLY, alors Conseiller à la Cour de Cassation, avait tenté de rassurer ceux qui s'étaient élevés contre cette jurisprudence rappelant que le co-emploi ne résultait pas de la seule appartenance à un même groupe et des solidarités qu'elle créé, mais de l'utilisation abusive de la relation particulière que créé l'appartenance à un groupe par la disparition de l'autonomie effective d'une filiale et de l'immixtion abusive d'une société sur une autre.
Puis en 2012, la Cour de Cassation avait admis une situation de co-emploi entre une filiale et une société mère considérant que la filiale, bien que société juridiquement distincte, avait si peu d'autonomie qu'elle était assimilée à un simple établissement.
En 2014(2), la Cour de Cassation avait ainsi défini les critères de reconnaissance d'une situation de co-emploi :
" Hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un Groupe peut être considérée comme un co-employeur à l'égard du personnel employé par une autre que, s'il existe entre-elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêt, d'activité et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière. ".
Cette définition avait permis à la Cour de Cassation d'infléchir sa jurisprudence et d'écarter une situation de co-emploi dans bon nombre de cas.
C'est ainsi qu'elle a exclu le co-emploi lorsque des dirigeants de filiales provenaient du Groupe, que la société mère avait pris dans le cadre de la politique du Groupe des décisions affectant le devenir de la filiale voire même que la société mère ait pris, durant quelques mois suivant la prise de contrôle de la filiale, des décisions visant à sa réorganisation dans le cadre de la politique du Groupe.
Le co-emploi entre sociétés d'un même groupe limité à la perte totale d'autonomie d'action d'une société au profit d'une autre
Avec la décision de novembre dernier(1), la Cour de Cassation restreint encore plus les situations de co-emploi en définissant " l'immixtion dans la gestion économique et sociale ".
Pour la Cour de Cassation, l'immixtion, qui doit être permanente, d'une société dans la gestion économique et sociale d'une autre se caractérise par la perte totale d'autonomie d'action de l'une des deux sociétés.
Réaffirmant le principe selon lequel la situation de co-emploi doit rester exceptionnelle, la Cour de Cassation a jugé, dans l'affaire du 25 novembre 2020, que la Cour d'Appel avait violé l'article L.1221-1 du Code du Travail en retenant des éléments qui ne caractérisaient pas une immixtion permanente de la société AG France dans la gestion économique et sociale de la Société AGC David Miroiterie conduisant à la perte totale d'autonomie de cette dernière.
La Cour d'Appel avait retenu qu'il existait entre ces deux sociétés une confusion de direction d'intérêts, d'activité, qui s'était traduite par une immixtion anormale de la Société AGC France dans la gestion sociale de la Société AGC David Miroiterie, la seconde ayant délégué à la première à compter de février 2012, la gestion de ses ressources humaines et la Société AGC France lui ayant facturé son intervention.
Cette confusion de direction d'intérêt et d'activité s'était également traduite par une immixtion anormale dans la gestion économique puisque, dès septembre 2010, la gestion administrative de la Société AGC David Miroiterie avait été assurée par une autre filiale du Groupe moyennant redevance et la trésorerie avait été gérée par la Société AGC France.
Enfin, entre la fermeture du site en avril 2012 et la liquidation judiciaire en janvier 2013, la Société AGC France avait repris les actifs de la Société AGC David Miroiterie à son profit ou au profit d'autres filiales dans des conditions désavantageuses pour la Société AGC David Miroiterie.
Cet arrêt met un terme presque définitif à la reconnaissance du co-emploi entre des sociétés d'un même Groupe par l'abandon du critère de la triple confusion au profit d'une définition de co-emploi se voulant plus explicite fondée sur l'immixtion permanente de la société mère dans la gestion économique et sociale et la perte d'autonomie d'action de la filiale.
C'est cette perte d'autonomie d'action de la filiale qui ne dispose pas du pouvoir réel de conduire ses affaires dans le domaine de la gestion économique et sociale qui est déterminante dans la caractérisation d'une immixtion permanente anormale de la société mère constitutive d'un co-emploi justifiant alors que le principe d'indépendance juridique des personnes morales soit exceptionnellement neutralisé.
[1] Cass. soc. 25 novembre 2020, n°18-13.769
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