Arbitrage ou voie judiciaire classique : comment arbitrer ?
Souple et confidentiel, l'arbitrage présente toutefois un inconvénient : son coût. Mais le ROI peut plaider en sa faveur. Sur quels critères décider d'inclure une clause d'arbitrage dans le contrat projeté ? Explications par Maître Peter Rosher, associé Pinsent Masons.
Après une décennie de procédure, le 28 juillet 2014, un tribunal arbitral a condamné la Russie à verser 50 milliards de dollars aux anciens actionnaires de la compagnie Yukos. L'arbitrage Yukos constitue toutefois un cas extraordinaire qui implique l'une des plus grandes compagnies pétrolières du monde, l'emprisonnement de l'ancien actionnaire principal pour des raisons politiques, des honoraires d'avocats exorbitants... Il s'agit ici d'une procédure d'arbitrage contre un État (arbitrage d'investissement) qui se différencie de l'arbitrage entre opérateurs commerciaux (arbitrage commercial), objet de cet article. Mais cette affaire exceptionnelle remet en lumière ce mode de résolution des litiges spécifique qu'est l'arbitrage, où deux opérateurs commerciaux décident, dans une clause contractuelle (la clause d'arbitrage), que leur différent ne sera pas tranché par des tribunaux nationaux mais par des juges privés.
Une justice souple
L'arbitrage se distingue de la justice étatique en offrant aux parties la faculté de choisir le ou les arbitres à qui elles vont confier la mission de juger leur différend. Peuvent être désignés pour trancher le contentieux un spécialiste du droit, un ingénieur, un expert-comptable ou un financier. Cet avantage figure parmi les premières motivations notamment des entreprises impliquées dans des secteurs techniques (construction, énergie, ingénierie, services financiers...). L'arbitre doit être une personne physique jouissant du plein exercice de ses droits et doit être, et demeurer, indépendant et impartial. Les parties peuvent choisir des arbitres de la nationalité qu'elles souhaitent et se mettre d'accord pour ne pas en nommer qui aient une nationalité commune avec l'une des parties.
Les parties sont aussi libres du choix de l'objet du litige, des règles de procédure et de la loi applicable. Cette dernière possibilité permet aux parties impliquées dans les relations internationales, si elles le souhaitent, de voir leurs différends régis par des normes professionnelles ou techniques non issues d'une législation nationale. Les parties pourront aussi choisir la langue applicable à la procédure, fait impossible devant les tribunaux nationaux.
En arbitrage, les audiences sont confidentielles, contrairement à la procédure devant les tribunaux qui aboutit à la publication de la décision judiciaire. Les parties sont libres d'insérer dans leur convention d'arbitrage une clause de confidentialité liant les parties et les arbitres, ce qui permettra de maintenir la sentence secrète. Les parties, souhaitant que leur affaire ou certains faits commerciaux sensibles les concernant ne soient pas portées à la connaissance du public et des concurrents, ont tout intérêt à recourir à l'arbitrage.
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L'arbitrage, trop cher ?
Dans les faits, peu de PME ont recours à l'arbitrage. Outre la méconnaisse du sujet, elles l'appréhendent comme une justice privée "de luxe" dédiée aux multinationales. La réputation de l'arbitrage se développe en effet avec les affaires médiatisées alors qu'elles ne sont pas représentatives. Or, en 2013, un peu plus de 20 % des affaires ressortissant à la Chambre de Commerce Internationale (CCI) correspondaient à des litiges d'un montant inférieur à un million de dollars (environ 750 000 euros).
Néanmoins, il est vrai qu'une procédure d'arbitrage entraîne des frais. Ce sont les parties elles-mêmes qui assument la rémunération des arbitres. Elles devront aussi payer : la retranscription des témoignages et de l'audience, les frais de nature logistique (location de salles pour les audiences, etc.), les honoraires de leurs avocats et les éventuels rapports d'experts. Il n'est pas exagéré de dire que l'addition pourra se chiffrer en milliers d'euros. Le Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP) a constaté que pour les deux tiers de ses arbitrages, le coût moyen de la procédure se situe entre 50 000 et 200 000 €. Mais le coût reste maîtrisé dans la mesure où les barèmes d'honoraires des arbitres sont conçus pour s'adapter au montant en litige.
Sachez par ailleurs que la partie ayant perdu peut se voir condamnée à supporter les coûts de la procédure (y compris ceux de l'autre partie). A titre indicatif, les spécialistes considèrent que la proportion entre le montant réclamé et les coûts doit être au minimum de quatre sur un pour que l'investissement soit acceptable.
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A noter que le prix du contentieux sera fonction de la durée de la procédure qui est sous le contrôle des parties. Car il appartient aux parties de préciser le délai dans lequel la sentence doit être rendue. En l'absence d'accord des parties, il sera fixé par défaut par l'institution. Par exemple, l'article 30 du règlement d'arbitrage CCI prévoit que les arbitres doivent rendre leur sentence dans les six mois de la signature de leur acte de mission. Selon une étude du CMAP, une procédure d'arbitrage ne dure pas plus d'un an et la moitié des dossiers sont réglés en moins de 10 mois. Une durée bien inférieure à celle, très aléatoire, des procédures devant les tribunaux, qui peuvent durer entre trois et cinq ans en cas de multiplication des voies de recours. Un arbitrage est donc en moyenne trois fois plus rapide, d'autant qu'il n'est pas possible, sauf accord exprès des parties, de faire appel de la sentence.
Comment choisir ?
Il s'agit donc de choisir entre une procédure devant les tribunaux publics, plus longue et moins coûteuse, et une procédure arbitrale, moins longue mais en général plus onéreuse. Néanmoins, la rapidité de l'arbitrage est un avantage, notamment dans le cas où un projet est en cours ou lorsqu'une résolution rapide et efficace d'un litige est nécessaire entre des parties qui entretiennent une relation d'affaires continue. Il est également avantageux pour une PME de conclure une convention d'arbitrage avec un cocontractant de taille supérieure qui souvent, en cas de différend, se contentera de faire durer un litige coûteux en espérant que la partie plus faible renonce à son droit et en pariant sur sa moindre solvabilité.
L'arbitrage peut aussi se présenter comme une solution pour les entreprises qui redoutent de se lancer à l'international par crainte d'un contentieux ! C'est en effet un mode de résolution des litiges internationaux particulièrement adapté. En effet, le plus grand risque pour les PME préférant les tribunaux nationaux est l'absence de régime harmonisé pour l'exécution des jugements étrangers. Il est frustrant d'arriver à la fin d'un procès long et coûteux pour s'apercevoir que le jugement prononcé en sa faveur ne peut être exécuté dans le pays où se trouvent les actifs du débiteur. L'arbitrage bénéficie en effet d'un régime unifié et simplifié de reconnaissance des sentences arbitrales grâce à la Convention de New York, ratifiée par 150 États (États-Unis, Chine, Russie, Inde, membres de l'UE...). En vertu de cette convention, une sentence rendue dans l'un de ces pays sera reconnue dans un autre après un examen sommaire, ce qui présente des avantages remarquables par rapport aux décisions obtenues devant les tribunaux français.
Afin d'évaluer si l'arbitrage est vraiment approprié pour la PME, il faut aussi évaluer tous les facteurs : identité de l'autre partie, lieu d'exécution du contrat, tribunaux nationaux qui seraient normalement compétents, technicité de l'opération... Concrètement, les entreprises doivent surtout considérer la façon dont elles, et leurs partenaires d'affaires, pourraient violer l'accord, et quelles questions seraient importantes si le différend devait être plaidé ou arbitré.
Si la PME pense qu'un arbitrage est la procédure adaptée, il conviendra d'inclure la clause d'arbitrage au moment de la conclusion du contrat. L'inclusion systématique de clause dans tous les contrats est à déconseiller.
L'arbitrage n'est pas adapté à tous les cas de figure
Il est d'ailleurs à noter que certaines matières ne peuvent faire l'objet d'un arbitrage : si elles impliquent l'ordre public ou en cas de prérogatives publiques de l'État (droit fiscal ou de la concurrence). L'arbitrage est aussi exclu en France pour le contentieux des rapports individuels entre employeur et salarié, en matière de procédures collectives et de propriété industrielle. La conséquence de cette interdiction ? Toute convention d'arbitrage portant sur ces litiges sera nulle.
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Enfin, il existe des litiges pour lesquels l'arbitrage présentera peu d'avantages. Ainsi, lorsque le litige porte simplement sur une dette d'argent qui n'est pas contestable, il sera beaucoup plus efficace et rapide d'agir en référé devant un juge national plutôt que de tenter l'arbitrage.
L'auteur
Peter Rosher est avocat associé du bureau de Paris de Pinsent Masons. Il est spécialiste en arbitrage international commercial et d'investissement et siège également en tant qu'arbitre.
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