Le " secret des affaires ", un nouveau droit pour protéger le savoir-faire et les informations sensibles des entreprises
Le savoir-faire et les informations commerciales (sensibles ou confidentielles) des entreprises bénéficient depuis la loi du 30 juillet 2018 d'une protection juridique plus robuste, ce dont les entreprises semblent ne pas avoir pleinement pris conscience.
Comment protéger son savoir-faire, lorsque la protection par le brevet n'est pas possible ou souhaitable ?
Le secret, comme Coca-Cola qui cache la formule de son célèbre soda depuis des décennies, est une protection efficace, mais fragile.
Comment ne pas permettre l'accès à ses informations que l'entreprise considère comme sensibles ? Avec l'adoption en 2018 de la loi relative à la protection du secret des affaires, le législateur a offert aux entreprises des moyens plus robustes de protéger leurs informations sensibles et d'en empêcher ou de sanctionner leur divulgation ou leurs usages.
Le savoir-faire et les informations commerciales disposent d'un régime juridique de protection ad hoc
Le 30 juillet 2018, la loi " relative à la protection du secret des affaires " (n°2018-670) transposait, assez littéralement et dans les délais, la directive (UE) du 8 juin 2016 sur " la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites " (2016/943).
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Cette directive constatait notamment que le savoir-faire constitue un " capital intellectuel " déterminant dans la compétitivité et les performances des entreprises, et que si toutes accordent au moins autant de valeur aux secrets d'affaires qu'aux brevets et aux droits de propriété intellectuelle, les PME y attachent une importance particulière, car elles en sont plus tributaires que les entreprises de plus grande taille.
Grâce à la transposition de cette directive, pour la première fois, le " savoir-faire " des entreprises ainsi que leurs informations ayant une valeur commerciale, essentiels à l'attractivité des produits et des services proposés, bénéficient d'un régime juridique propre.
Sans entrer ici dans les détails de cette loi, et de son décret d'application du 11 décembre 2018 (n°2018-1126), toute information répondant à des critères légaux (secret, valeur, mesures de protection raisonnables) peut aujourd'hui être judiciairement protégée, y compris par des mesures provisoires d'urgence, essentielles pour éviter la divulgation bien souvent irréversible d'un secret, et sanctionnée par des mesures d'interdiction et des dommages et intérêts.
Auparavant, seul le fondement de la concurrence déloyale permettait d'aboutir à ce résultat. Aujourd'hui, à l'action en concurrence déloyale s'additionne un arsenal juridique plus robuste, qui facilite la valorisation et la protection de leur savoir-faire, et d'une manière générale les informations confidentielles dont elles sont détentrices.
Quel bilan deux ans après l'entrée en vigueur de la loi ?
Outre l'objet et les conditions de la protection des secrets des affaires, la loi du 30 juillet comporte deux volets, l'un relatif aux actions destinées à la prévention, la cessation ou la réparation d'une atteinte au secret des affaires (chapitre II), l'autre aux mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales (chapitre III).
Deux ans après l'entrée en vigueur de la loi, une première tendance semble se dégager.
Les entreprises et leurs avocats, s'approprient dans les litiges commerciaux ainsi que ceux relatifs aux droits de propriété intellectuelle, ces mesures nouvelles, qui permettent à l'occasion d'un litige de protéger ou au moins de limiter l'accès et la diffusion à un secret des affaires (chapitre III de la loi).
En effet, les praticiens constatent que lorsque des mesures probatoires sont diligentées, en général par un concurrent et par surprise, par exemple dans le cadre d'une saisie-contrefaçon (de brevets, de marques ou de modèles) ou d'une mesure d'instruction ex-parte (article 145 CPC), si la règle demeure que les pièces nécessaires à la solution du litige doivent être remises au requérant, les modalités de cette remise sont le plus souvent maintenant effectuées sous le contrôle du juge lorsque cette pièce contient un secret des affaires.
En revanche, il semble que les entreprises n'aient pas encore pleinement pris conscience des facilités qu'ouvre le chapitre II de la loi lorsqu'il s'agit de faire respecter ses secrets des affaires, par exemple à l'égard d'un ex-salarié indélicat ou d'un concurrent qui s'approprie et utilise un savoir-faire auquel il a illicitement eu accès.
Les entreprises pourraient sans doute prendre mieux conscience de la valeur attachée à leurs secrets des affaires et des moyens légaux dont elles disposent pour les faire respecter, à condition de prendre préalablement des mesures raisonnables visant à préserver leur confidentialité.
Une loi certes imparfaite, mais utile
Ce premier bilan en demi-teinte s'explique sans doute par quelques faiblesses de la loi du 30 juillet 2018, qui ne prévoit pas de mesures probatoires spécifiques pour faciliter la protection des savoir-faire ou les informations commerciales sensibles. Cet oubli rend parfois difficile la collecte de la preuve de l'obtention ou l'usage illicite du secret des affaires, dont le demandeur à l'action à la charge. On peut aussi regretter l'absence de compétence spéciale des juridictions civiles pour traiter ces litiges, contrairement à ce qu'il existe, là aussi, en matière de propriété intellectuelle.
En outre, la loi sur le secret des affaires ne comporte pas de volet pénal ce qui, pour les affaires les plus graves portant atteinte à l'ordre public, pourrait pourtant être pertinent.
Mais malgré ces imperfections, cette loi vient utilement compléter les dispositions relatives à la propriété intellectuelle et industrielle, en donnant à l'entreprise les moyens de protéger ses innovations qui ne sont pas protégées par un brevet.
A propos des auteurs :
Thomas Cuche est avocat au barreau de Paris. Associé du Cabinet DTMV & Associés au sein du département Propriété intellectuelle, il intervient dans tous les domaines de la propriété intellectuelle, avec une dominante en droit des brevets, en droit des marques, ainsi qu'en concurrence déloyale. Thomas travaille plus particulièrement pour des clients dans les secteurs de la pharmacie, des biotechnologies, de la santé, de l'automobile, de l'électronique et du luxe. "
Lin Nin est avocat au Barreau de Paris. Associé du Cabinet DTMV & Associés où il co-dirige le département de droit des affaires. Il conseille les sociétés et leurs dirigeants sur l'ensemble des aspects du droit commercial et les accompagne dans le règlement de leur contentieux des affaires. "
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