M&A : réduisez les risques d'échec grâce à un audit RH
En complément des traditionnels audits pré-deal financiers et juridiques, une due diligence RH devrait, idéalement, être menée. Car, le capital humain constitue un facteur-clé dont dépend la réussite de toute opération de fusion-acquisition.
Le taux d'échec des opérations de fusion-acquisition est élevé : de l'ordre de 60 %. Cela signifie que 6 opérations de M&A sur 10 ont été suivies d'une dégradation de la profitabilité de la nouvelle entité, selon l'étude M&A - Plus d'humain, moins d'échecs d'Akoya Consulting. La mauvaise intégration des ressources humaines figure en bonne place dans la liste des facteurs d'échec ! Sont notamment en cause la qualité de la communication (21 %), les conflits entre les équipes dirigeantes (20 %) et la culture (15 %).
À l'inverse, tenir compte du capital humain permet une réelle création de richesse lors des opérations de fusion-acquisition : par exemple, le ROA (return on assets) des entreprises figurant au classement Great Place to Work est de plus de 57 %, bien au-dessus du taux moyen de 40 % " Pour autant, les problématiques RH sont souvent peu anticipées, voire carrément absentes, lors de la phase des due diligences ", indique Xavier Le Page, manager chez Akoya Consulting, cabinet conseil en stratégie spécialisé dans la gestion de l'humain en entreprise. Les audits dédiés aux RH sont en effet loin d'être systématiques en amont ou, s'ils sont menés, ils le sont de manière parcellaire. " Aussi nécessaire que cela puisse paraître, évaluer les risques et les opportunités liés au capital humain n'est pas encore un réflexe...
Hégémonie des analyses financières et juridiques
Rappelons que le rôle des due diligences - ces audits de la cible effectués au préalable par l'acquéreur potentiel - est d'identifier les risques stratégiques et opérationnels inhérents à la vente, d'affiner la valorisation de l'entreprise au regard de ses atouts et de ses points faibles et d'anticiper la phase cruciale de l'intégration. Aujourd'hui encore, les due diligences sont essentiellement financières (bilans et comptes de résultat, BFR...) et juridiques (contrats, propriété intellectuelle, etc.). La composante RH est entrevue sous un angle essentiellement financier : masse salariale, contentieux, politique de rémunération et des avantages sociaux...
Une analyse a minima qui ne permet pas d'apprécier pleinement les risques. Car, au même titre que les aspects financiers et juridiques, la composante RH peut constituer un "dealbreaker ", c'est-à-dire un risque majeur qui peut entraîner la fin de la négociation. " Par exemple, si des contentieux sont en cours ou si le passif social lié aux engagements de retraite ou le turn-over des équipes dirigeantes est trop important ", illustre Maud Mercier, directrice de l'activité retraite et avantages sociaux chez Willis Towers Watson France, groupe de conseil, de courtage et de solutions logicielles.
" Les dealbreakers sont généralement financiers, reconnaît Jean-Luc Durrieu, leader M&A France et Europe chez Mercer, cabinet conseil en ressources humaines. Néanmoins, on voit des deals échouer pour cause de mésentente entre les dirigeants. Il convient également de clarifier le package de rémunération des managers que l'entreprise souhaite fidéliser après l'achat et ce, au plus tôt. Idéalement avant le signing, au plus tard avant le closing, car un déficit d'échange ou une incompréhension sur ces questions pourrait empêcher les managers de se concentrer sur leur coeur de mission. "
Le capital humain peut également influencer la valorisation de l'entreprise. " La valeur d'une entreprise est corrélée à celle de ses actifs, dont le capital humain ", rappelle Xavier Le Page. Prenons l'exemple d'une société cotée, soumise aux normes comptables internationales, qui doit provisionner ses indemnités de départ à la retraite. " Si l'évaluation de cette dette n'est pas prise en compte dans le prix, l'acquéreur va acquérir la cible à un prix de 100 alors qu'il aura 20 à provisionner au titre du régime des retraites. Le juste prix aurait donc dû être de 80 ", illustre Maud Mercier.
" Plus globalement, le partage des coûts et des surcoûts identifiés lors de la due diligence RH avec le vendeur doit être négocié, souligne Jean-Luc Durrieu (Mercer). Cela permet de rentabiliser l'audit social ! " Enfin, l'identification des éventuels risques au niveau RH doit permettre d'ajuster la feuille de route de l'intégration, par exemple en mettant en place un plan de rétention des talents, d'harmonisation des politiques et des outils, etc.
L'audit social, inusuel et délicat
Une due diligence spécifiquement dédiée au capital humain est donc loin d'être superflue. Quels éléments doivent être passés au crible dans cet audit social ? " Cinq facteurs me paraissent importants pour arriver à bâtir un nouvel ensemble sur des bases solides : la culture d'entreprise, la structure et les processus, les personnes-clés et pas uniquement le top management, les façons informelles de travailler et la gestion des perceptions et des émotions ", répond Xavier Le Page.
Dans les faits, les due diligences RH analysent plus en profondeur les aspects légaux et financiers, par exemple en matière d'employee benefits, et passent en revue les key people et la réglementation locale en cas d'opération transnationale. " Malgré son importance dans la réussite du projet, la culture d'entreprise est rarement observée même si cela commence, peu à peu, à évoluer ", constate Maud Mercier. Xavier Le Page partage le même constat : " Le capital humain est un actif compliqué à évaluer, surtout dans sa composante culturelle qui nécessite une évaluation plutôt terrain. Or, lors de la phase des due diligences, il est impossible d'entrer en contact avec la cible. C'est pourquoi souvent les audits sociaux se limitent aux aspects facilement quantifiables. "
Néanmoins, la culture d'entreprise peut être partiellement évaluée lors de la phase d'audit. À chaque cabinet, sa méthode d'analyse : que ce soit à partir d'informations publiques ou internes, de questionnaires à remplir par les dirigeants... Cet audit est ensuite affiné, après la conclusion du deal, au contact des équipes. " Les dirigeants de l'entreprise acheteuse ne peuvent se dispenser de réfléchir à leur propre culture d'entreprise pour bien intégrer celle de la cible ", prévient Jean-Luc Durrieu.
Objectif : retenir les talents !
Enfin, les experts sont unanimes : il est capital d'identifier les key people, top managers et tout autre talent de la cible, dès la phase des due diligences. Cette cartographie doit permettre de déterminer les personnes à fidéliser sur le court terme, au moins le temps de l'intégration, et sur le plus long terme. " Un audit social est prépondérant dans le cas de figure où le maintien du management et des collaborateurs-clés est critique, par exemple si l'entreprise acquiert une cible dans un métier qu'elle ne maîtrise pas ou implantée dans un pays dans lequel elle n'a pas d'activité, met en exergue Maud Mercier. Il est également nécessaire de se questionner et d'arbitrer sur les postes en doublon, et de vite mettre en oeuvre des plans de rétention. "
Pour Xavier Le Page, " trop d'acquéreurs sous-estiment les difficultés qu'ils auront à retenir les talents." En tout cas en Europe. Selon une récente étude menée par Mercer sur les risques de fuite des talents dans le cadre des opérations de M&A, les Américains et a fortiori les Japonais seraient plus enclins à mettre la main au portefeuille pour fidéliser les meilleurs éléments. C'est d'autant plus dommage que souvent, le plan de rétention est partiellement financé par le vendeur... Et, comme le rappelle avec bon sens Jean-Luc Durrieu (Mercer), " une société qui se vide de ses talents, c'est une coquille vide ! "
Zoom : La culture, un paramètre essentiel dans la conduite des transactions M&A
43% des transactions de fusion-acquisition ont rencontré des freins culturels importants ayant entraîné des reports dans la concrétisation des opérations, la réduction des prix d'acquisition voire même l'abandon pur et simple des opérations, selon l'enquête Gérer le risque culturel pour accélérer le potentiel de création de valeur d'une transaction, menée par le cabinet Mercer.
30% des opérations ne parviennent jamais à atteindre les objectifs financiers fixés à cause des problèmes de culture d'entreprise (perte de productivité, fuite des talents, impact clients...).
Mais qu'est-ce que la culture d'entreprise? La collaboration et l'incitation à la prise d'initiative sont les composantes les plus importantes selon les professionnels des ressources humaines. Tandis que les cadres dirigeants la définissent au regard de la gouvernance et des processus de prise de décision.
Plan de rétention : primes et bonus ne font pas tout!
Pour fidéliser les hommes et les femmes clés de la cible, les entreprises privilégient les primes en espèces (généralement un pourcentage du salaire de base) pour les cadres supérieurs (77%) et pour les autres collaborateurs (80%), selon l'enquête Global M&A Retention 2017 de Willis Tower Watson. Le recours aux stock-option est en baisse depuis 2014, passant de 32% en 2014 à 16% en 2017. Plus de la moitié des acquéreurs ont alloué un budget inférieur à 1% du coût total de la transaction à leur plan de rétention.
Quoi qu'il en soit, l'argent ne fait pas tout. 44% des collaborateurs ayant signé un accord de rétention, mais ayant quitté l'entreprise avant la fin de la période de maintien en poste ont indiqué que la nouvelle culture ou le changement de culture était la cause de leur départ. Les autres motifs évoqués? Des offres plus généreuses de la part d'entreprises concurrentes (36%) ou encore l'insatisfaction due à leurs nouvelles fonctions (25%)
"Les entreprises doivent avoir conscience que les primes et autres bonus ne font pas de miracles, indique Maud Mercier, directrice de l'activité retraite et avantages sociaux chez Willis Towers Watson France. Proximité avec les dirigeants, plan de carrière et meilleurs implication des collaborateurs doivent également faire partie de l'équation."
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