L'obligation de conformité : nouvel enjeu décisif dans les opérations de fusions-acquisitions ?
Les entreprises, plus exposées que jamais au risque pénal, doivent redoubler de vigilance lorsqu'elles décident d'acquérir une cible. Quels sont les enjeux des problématiques de conformité pour la valorisation des entreprises ? Comment les intégrer dans un processus d'acquisition ?
Ces dernières années ont vu les entreprises confrontées à une surenchère de nouvelles réglementations majeures (loi Sapin 2 (1), RGPD pour n'en citer que deux) ou qui leur ont été imposées depuis l'étranger, notamment à travers des applications extensives par les régulateurs anglo-saxons de leurs lois anticorruptions.
Le secteur des fusions acquisitions, moteur de croissance économique pour les entreprises françaises mais très exposé aux risques, doit donc redoubler de vigilance et ne pas sous-évaluer l'impact d'éventuelles problématiques de conformité dans le cadre d'opérations de croissance externe.
En pratique dans une opération d'acquisition, la conformité n'est pas le sujet qui vient d'emblée à l'esprit des parties. En effet, le périmètre des audits définis avec les conseils avait tendance, il y a peu encore, à négliger les aspects liés à la conformité et ses risques pourtant potentiellement très importants, pour se concentrer sur des sujets traditionnels : aspects fiscaux, légaux et sociaux.
Quelle responsabilité pénale pour l'acquéreur ?
Pourtant on le sait, les cédants et les acquéreurs ont beaucoup à perdre si une enquête post acquisition est déclenchée par un régulateur étranger. On pense notamment au Departement of Justice (DoJ) américain, entité exécutive fédérale en charge notamment du respect des lois pénales fédérales et du Foreign Corrupt Practices Act ("FCPA"), législation qui a tant coûté ces dernières années aux entreprises françaises qui ont eu le malheur de se trouver dans le viseur des autorités américaines. En effet, à supposer qu'un lien puisse être établi avec la juridiction américaine, le DoJ pourra poursuivre l'acquéreur d'une cible coupable de violations des dispositions du FCPA. Un acquéreur pourrait ainsi être reconnu coupable pour des faits commis par la cible antérieurement à l'acquisition.
En France, la Cour de cassation a opéré un revirement important de sa jurisprudence le 25 novembre 2020(2) en décidant qu'en cas de fusion-absorption d'une société par une autre, la société absorbante pouvait être condamnée à une peine d'amende pour des infractions commises par la société absorbée avant l'acquisition, battant en brèche la protection constituée par le principe de la personnalité de la peine.
Les régimes français et américains se trouvent dès lors alignés. De là à parler d'obligation pour les dirigeants et les praticiens de procéder à un audit de conformité préalable, il n'y a qu'un pas. Mais une telle obligation existe-t-elle vraiment ?
Procéder à un audit de conformité devient une nécessité
La loi Sapin 2 qui a introduit la notion de programme de conformité visant à prévenir et à lutter contre la corruption au sein des entreprises françaises, ne prévoit pas d'obligation pour ces dernières de procéder à un audit conformité préalable à toute acquisition.
L'Agence française anticorruption ("AFA"), créée par la loi Sapin 2, a publié depuis 2017 plusieurs recommandations relatives à l'interprétation de la loi ainsi que des guides dédiés à certains sujets, notamment les fusions-acquisitions, recommandant que des vérifications préalables soient diligentées. Bien que dépourvues de force obligatoire, il s'agit de la doctrine à laquelle l'AFA se référera lorsqu'elle sera amenée à contrôler les entreprises. Dès lors, ces préconisations devront être suivies par les entreprises et les cabinets d'avocats dont les équipes M&A et conformité se doivent désormais de travailler de concert pour assurer la sécurité juridique des opérations.
La conformité est un coût ; elle se valorise
Un acquéreur qui se porterait acquéreur d'une cible sans évaluer au préalable un éventuel risque de corruption, une non-conformité ou même l'effectivité des dispositifs anticorruption, notamment dans des secteurs ou des zones géographiques fortement exposées au risque de corruption, se verrait transférer un risque opérationnel très fort et pourrait devoir faire face à des enquêtes déclenchées par les autorités françaises ou étrangères, assorties de lourdes conséquences liées aux potentielles intrusions, frais d'experts, d'enquête interne, de monitoring, amendes, poursuites des dirigeants... ainsi bien entendu qu'à l'atteinte portée à l'image et à la réputation de l'entreprise.
Au contraire, la juste mesure par l'acquéreur d'un risque lié à une non-conformité ou à des faits de corruption dont il aura pu prendre connaissance lors d'audits bien documentés, lui permettra d'en tenir compte : un dispositif imparfait ou une situation problématique justifiant une mise en conformité pourraient impacter le prix ou être mis à la charge du vendeur à travers des garanties ou des indemnités spécifiques, sans pour autant remettre en cause une transaction. Enfin, une théorique "parfaite conformité" et a fortiori l'absence de risques identifiés, permettent de maximiser la valeur, puisque seuls des coûts de mise à jour sont alors à prévoir.
En d'autres termes, les vérifications anticorruptions doivent prendre toute leur place dans les opérations de M&A afin de mieux protéger et valoriser les entreprises. C'est le sens de l'histoire de la régulation mondiale auquel les entreprises françaises n'échapperont pas. Il faut donc, pour un vendeur, se mettre en conformité et pour un acquéreur, envisager d'engager des coûts, certes supplémentaires mais limités au moment des audits d'acquisition, pour en éviter d'autres, beaucoup plus significatifs a posteriori.
[1] LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
[2] https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/2333_25_45981.html
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