Notation extra-financière : faut-il y recourir ?
Financements bancaires, private equity, marchés boursiers... Quels que soient les financements, la prise en compte des enjeux liés au développement durable, notamment au moyen des notations sociétales, gagne du terrain. Zoom sur les avantages et les limites de ces évaluations.
" Il est indéniable que les thématiques extra-financières prennent de plus en plus de place quels que soient les financements, souligne Philippe Arnaud, associé du cabinet d'audit et de conseil KPMG en charge du département Sustainability Services. J'en veux pour preuve le développement des green loans et sustainable loans proposés par le secteur bancaire. Ayant parfois pris des engagements auprès de leurs investisseurs, les fonds accordent aussi une importance accrue aux critères ESG dans leurs décisions d'investissement. " Jean-Baptiste Cottenceau, directeur général de Crowe Sustainable Metrics, cabinet conseil en stratégie RSE, estime que " les critères RSE sont actuellement plus éliminatoires que réellement décisifs dans les décisions d'investissement : les entreprises qui n'ont entrepris aucune démarche sociétale ou n'ont pas une vision un minimum structurée sur leurs enjeux prioritaires pourraient se voir refuser un financement, voire attribuer une décote. "
Sollicitée ou déclarative
Pour évaluer la performance extra-financière d'une entreprise, les parties prenantes ont plusieurs options dont la notation extra-financière émise par des agences spécialisées (Vigeo-Eiris, EthiFinance, Innovest...) qui permet de gagner du temps en se basant sur des référentiels existants. Mais, d'autres, comme les banques et de plus en plus de fonds, préfèrent concevoir leurs propres grilles d'évaluation.
" L'évaluation sociétale radiographie la performance globale d'une entreprise par rapport à un référentiel de critères ", définit Jean-Baptiste Cottenceau. Elle peut être sollicitée ou déclarative. Dans le premier cas, c'est l'entreprise qui décide de contacter une agence de notation spécialisée pour s'engager dans une démarche de progrès, pour servir des objectifs de communication ou de différenciation sur le marché, ou encore pour satisfaire la demande de parties prenantes (investisseurs, clients...). La notation est alors payante et confidentielle. L'entreprise a le choix de communiquer ou non son score sur le marché.
Mais, il ne faut pas sous-estimer le temps pris pour remplir le questionnaire des agences. Ce sont souvent 150 à 200 pages qui balaient un spectre très large de thématiques : politique RH, relations avec les clients et les fournisseurs, environnement, gouvernance... La démarche est chronophage et doit être étayée de preuves (chartes, labels, bilan carbone...). Inutile de tenter l'aventure si les fondamentaux de la stratégie RSE ne sont pas solides ! Puis, avec ou sans échange avec l'agence, un score est attribué.
Dans le second cas, c'est l'agence qui décide d'évaluer la politique RSE d'entreprises pour le compte d'investisseurs qui souhaitent intégrer les facteurs de risques ESG dans leurs choix d'investissement. La notation est alors gratuite et publique. L'entreprise notée est informée par l'agence qu'elle va procéder à une analyse et lui adresse son questionnaire. " Ne pas répondre comporte un risque, prévient Philippe Arnaud. Car, sans questionnaire, l'agence base alors uniquement son analyse sur les informations disponibles sur la place publique. Il est toujours possible de dialoguer a posteriori, mais sans garantie que la note évolue. Il vaut mieux anticiper les réactions des parties prenantes en précisant dans la documentation les notations auxquelles l'entreprise a répondu. "
Quid de leur pertinence ?
Car, la fiabilité de ces évaluations -qu'elles soient sollicitées ou non d'ailleurs- pose question. " Nombre de nos clients sont circonspects quant à la pertinence des conclusions des agences, signale Philippe Arnaud. Ils ne comprennent pas toujours pourquoi les notes sont dégradées ou même améliorées ! Ils se plaignent souvent du manque de transparence et de dialogue avec les agences. " Jean-Christophe Vuattoux, enseignant-chercheur à l'IAE de Poitiers (lire l'encadré) note que " s'il y a un consensus des principales agences de notation sur la définition des pires performances environnementales, l'inverse n'est pas vrai. C'est pourquoi ces sociétés doivent faire des efforts de pédagogie et de communication pour expliciter les critères d'évaluation et leurs fondements théoriques. "
Il est vrai que, comparée aux notations financières, l'évaluation d'une stratégie ESG est moins aisée. " Les indicateurs financiers sont facilement identifiables, quantifiables et partagés entre analystes et patrons, signale Jean-Baptiste Cottenceau. Les critères extra-financiers sont souvent qualitatifs et partiels par manque de suivi. Le plan comptable RSE universel et couvrant l'ensemble des thématiques ESG n'existe pas ! Les notations utilisent plusieurs référentiels et leurs activités ne sont pas régulées. C'est un peu le Far West du reporting. " En effet, chaque agence a ses propres méthodes de collecte, ses critères d'évaluation, ses méthodologies d'analyse et ses systèmes de pondération. " À mon sens, ces notations traduisent plus un niveau de maturité et d'engagement qu'un réel niveau de performance ", estime Jean-Baptiste Cottenceau. C'est pourquoi il conseille de ne pas forcément répondre aux agences tous les ans, pour se donner le temps de mettre en oeuvre les plans d'action et de démontrer, lors de l'évaluation suivante, que les objectifs sont atteints. " Pour les PME et ETI, la course à la notation dépend de leur secteur d'activité, de leur niveau d'engagement managérial et des sollicitations des tiers ", conclut Jean-Baptiste Cottenceau.
AVIS D'EXPERT
" La notation sociétale aurait une influence sur les investisseurs des marchés financiers ", Jean-Christophe Vuattoux, enseignant-chercheur à l'IAE de Poitiers
La question des relations entre les performances extra-financières et financières n'est pas tranchée, indique Jean-Christophe Vuattoux, maître de conférences en sciences de gestion à l'IAE de Poitiers et chercheur au sein du labo Cerege. En revanche, des études académiques mettent en lumière l'influence de la notation extra-financière sur le comportement des investisseurs sur les marchés financiers. La notation sociétale aurait tendance à faire augmenter le prix des titres des entreprises les plus performantes en termes de RSE. De plus, la diffusion d'informations par les agences semblerait avoir un effet d'annonce en influençant directement les volumes de transactions sur les marchés. Certains types d'informations (RH, droits de l'homme...) paraissent peser plus significativement que d'autres (environnement...) dans les choix des investisseurs. Enfin, les entreprises "sociétalement" performantes feraient plus souvent appel aux marchés que les autres pour se financer. Faut-il y voir la preuve qu'une démarche RSE pertinente est un atout pour convaincre les investisseurs sur les marchés ? Peut-être !
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