Loi omnibus : report et suppression pour la CSRD et CS3D
La feuille de route de la Commission européenne annoncée ce mercredi 26 février confirme les rumeurs de ces dernières semaines. Près de 80 % des entreprises initialement concernées seraient exclues du reporting de durabilité. Décryptage de la proposition de loi dite omnibus et incidences pour les entreprises et les Daf.
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Fin du suspens. Après des semaines d'attente qui ont mis les acteurs de la RSE en effervescence, la Commission européenne a examiné le paquet de lois omnibus de « simplification », annoncé depuis novembre 2024 par Ursula von der Leyen, visant à « alléger » les obligations de reporting en matière de durabilité pour les entreprises. La Commission déclare dans un communiqué avoir fait « un effort de simplification sans précédent, en réduisant les charges administratives d'au moins 25 %, et d'au moins 35 % pour les PME ». Un coup dur pour le Green Deal, porté par la Commission depuis 2019, pour rendre la transition durable de l'Union européenne plus exigeante.
Des simplifications majeures
En effet le texte propose de soustraire près de 80 % des entreprises initialement concernées du champ d'application de la directive CSRD (essentiellement les ETI et ME), en concentrant les obligations sur les plus grandes entreprises. Parmi les principales annonces figurent le report du devoir de vigilance, la suppression des principales obligations de diligence raisonnable (CS3D) et une simplification de la taxonomie verte. Pour Alexis Krycève, directeur du cabinet RSE HAATCH, « La Commission prétend faire un geste aux entreprises les plus fragiles à mon sens elle fait précisément l'inverse. Certes, c'est un soulagement à court terme pour beaucoup d'entreprises. Toutefois, attention, car la force de la norme est d'embarquer tout le monde en créant un référentiel commun. »
En revenant à une approche volontaire et en sortant 80 % des entreprises de l'obligation, une RSE à 2 vitesses est favorisée, souligne-t-il. De son point de vue, les entreprises en dessous des nouveaux seuils risquent de ne pas envisager la RSE comme un levier stratégique. « Le fossé entre ces deux approches va se creuser. Malheureusement, celles que la Commission propose d'exclure sont déjà les plus vulnérables : ce sont celles qui n'ont pas encore engagé leur transition et qui risquent d'être encore plus inadaptées aux exigences du monde à venir ».
CSRD : report et suppression
La principale annonce réside dans le report de deux ans (jusqu'en 2028) des exigences de reporting pour les entreprises qui sont tenues actuellement de produire un rapport à partir de 2026 ou 2027 (vague 2) et les PME cotées avec une entrée en vigueur prévue en 2027 (vague 3).
La directive de double matérialité ne s'appliquerait donc plus qu'aux grandes entreprises remplissant de nouveaux critères : plus de 1 000 salariés, un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros ou plus de 25 millions d'euros au bilan.
Pour les entreprises de 500 à 1 000 salariés (ETI), qui étaient initialement soumises à une obligation de reporting en 2026, pourraient bénéficier d'un report à 2028. Toutefois, nombre d'entre elles ont déjà engagé des actions et doivent poursuivre leurs efforts pour se conformer aux exigences françaises de la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF).
Pour celles de moins de 500 salariés, la CSRD est supprimée, elles sont donc libres de poursuivre leurs initiatives volontaires. Cependant, l'adoption de l'analyse de double matérialité peut rester un atout stratégique pour renforcer leur crédibilité auprès des investisseurs et clients. Pour les PME, l'ominibus prévoit qu'elles ne soient plus soumises à l'obligation de la CSRD, mais peuvent publier volontairement.
Cette décision de Bruxelles intervient après des critiques de nombreux acteurs économiques (Meti, ANC, CPME, etc.) dénonçant une charge administrative trop lourde par rapport aux bénéfices attendus. « Les PME bénéficieront d'un allègement d'environ 40 % des indicateurs tout en conservant l'essentiel des données quantitatives. Loin d'être une simplification vide de sens, elle maintient les exigences clés : les politiques mises en place, les actions concrètes, les ressources mobilisées et la stratégie adoptée », nous explique Noël Bauza, fondateur de Zei, une solution tech de reporting RSE. En effet ces entreprises, que la start-up accompagne dans leur démarche RSE, avaient compris très tôt l'importance de la transparence et de la mesure des données ESG. « Elles ont anticipé la réglementation en structurant leur pilotage des indicateurs quantitatifs, tout en évitant pour l'instant la partie narrative et descriptive, plus chronophage. Elles ont commencé à bâtir une data room interne alignée avec la CSRD, un atout clé pour répondre aux appels d'offres et aux attentes des investisseurs et clients. Avec l'omnibus, qui rend désormais le reporting optionnel, elles risquent effectivement de ne pas franchir le pas immédiatement », analyse-t-il.
Autre grand changement, avant la proposition de simplification, les grandes entreprises imposaient à leurs sous-traitants des obligations ESG jugées trop contraignantes. Le projet de directive introduit la notion du « Value Chain Cap », les entreprises soumises à la CSRD ne pourront plus exiger de leurs fournisseurs des données allant au-delà du standard VSME. Les PME bénéficient ainsi d'une protection contre des demandes de reporting jugées excessives. « Ce qui me semble essentiel, c'est que la CSRD remplisse son ambition initiale : uniformiser la donnée pour assurer sa transparence. Ce dont on parle peu, mais qui est pourtant fondamental, c'est que ces données seront intégrées dans une base de données européenne en open source, accessible à tous », détaille Noël Bauza.
Concernant les obligations d'audit, dont certaines entreprises redoutaient une obligation contraignante et coûteuse de transition vers une assurance raisonnable, elles sont supprimées. Les entreprises restent soumises à une assurance limitée, sans exigence du renforcement du niveau de contrôle.
Les Daf devront faire « du sur-mesure »
Mais alors, quelles répercussions dans les entreprises et pour les Daf ? « D'un côté, les DAF vont avoir, à court terme, moins de travail de reporting : report, réduction du nombre de data points, assurance limitée, et d'un autre leur rôle va devenir encore plus crucial », détaille Alexis Krycève. En effet, l'approche choisie dans le projet omnibus « est moins normative et plus volontaire, il va falloir mener un travail plus "sur-mesure", flécher les financements vers les bons sujets, convaincre les investisseurs, faire des arbitrages, fiabiliser les données, ce qui renforce le rôle des Daf », explique-t-il. Pour lui, les Daf devront être « les artisans de cette évolution de la culture du pilotage pour y intégrer l'extra-financier ». Les Daf ont ainsi « l'occasion plus que jamais de devenir les garants d'une RSE utile, stratégique et rationnelle ». L'alliance Daf et direction RSE est donc plus vitale que jamais, conlut-il.
CS3D : report d'un an du devoir de vigilance
Concernant le devoir de vigilance, la Commission propose de reporter d'un an (au 26 juillet 2028) l'application des exigences de diligence raisonnable en matière de développement durable pour les plus grandes entreprises, tout en avançant d'un an (à juillet 2026) l'adoption des lignes directrices.
Les entreprises devaient cartographier et surveiller l'ensemble de leur chaîne d'approvisionnement, y compris les sous-traitants indirects, afin d'identifier et prévenir les risques ESG. Avec le projet omnibus, l'obligation de surveillance est désormais limitée aux fournisseurs et sous-traitants directs, réduisant ainsi la portée du contrôle et les exigences de conformité.
Autre grand changement de l'omnibus : limiter la quantité d'informations demandées aux PME et petites ETI dans le cadre de la cartographie de la chaîne de valeur par les grandes entreprises. Des évaluations seraient désormais mises à jour tous les cinq ans, sauf en cas d'événement significatif tel qu'un changement de fournisseur, un incident environnemental ou un signalement sérieux, qui imposerait une réévaluation anticipée. Chaque État membre pourrait fixer ses propres règles en matière de responsabilité civile, en fonction de son cadre juridique national, et la suppression de l'obligation pour les syndicats et ONG d'engager des actions en justice, laissant aux États le soin de décider des recours possibles, précise la proposition de loi.
Taxonomie verte : simplification
Les obligations de déclaration liées à la taxonomie de l'UE seront allégées et limitées aux plus grandes entreprises relevant de la CS3D, tandis que les autres pourront déclarer volontairement. Une flexibilité est introduite pour permettre aux entreprises de rendre compte des activités partiellement alignées avec la taxonomie, facilitant ainsi une transition progressive vers la durabilité. De plus, un seuil de matérialité financière sera mis en place et la charge de reporting sera réduite d'environ 70 %, allégeant ainsi les exigences administratives.
Prochaines étapes
Les propositions législatives doivent à présent être examinées, débattues et approuvées par le Parlement européen et le Conseil, dans les six prochains mois. Une fois un accord trouvé, les modifications seront officiellement adoptées et publiées au Journal officiel de l'Union européenne, marquant ainsi leur entrée en vigueur. A savoir que feront chaque Etat membre ? La France sera à nouveau devant un choix : poursuivre les exigences de transition durable conformément à l'Accord de Paris ou risquer de perdre sa crédibilité dans un contexte géopolitique mouvant en se concentrant uniquement sur sa « compétitivité » ?
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