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CSRD : comment choisir ses batailles ?

Le Pacte Vert européen et la CSRD vont enfin réconcilier l'extra-financier et le financier au sein des entreprises. Mais pour y parvenir, celles-ci doivent opérer une mue culturelle et organisationnelle et repenser leurs modèles d'affaires. Par quoi commencer ? Et quel rôle le daf doit-il jouer ?

Publié par Marie-Amélie Fenoll le | Mis à jour le
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CSRD : comment choisir ses batailles ?
© ra2 studio - Fotolia

« Le Pacte Vert va enfin réconcilier les éléments financiers de l'entreprise. Car demain les statistiques financières qui n'intègrent pas la sustainability n'auront pas les investissements liés. C'est un enjeu majeur », explique Pascal Canfin, député européen et président de la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire en préambule d'une master class Green Deal organisée par le Collège des directeurs du développement durable (C3D) le 6 mars 2024.

La France, un temps d'avance

« La France a une vraie longueur d'avance via le Grenelle de l'environnement car au final, cette nouvelle réglementation ne fait que reprendre des attentes qui existaient déjà. Là, ce qui est intéressant, c'est de construire un langage commun en comparaison avec les autres pays européens », souligne Catherine Saire, associée sustainability de Deloitte France. Côté chiffres, le Green Deal doit impacter 50 000 entreprises de l'UE (environ 6 000 en France). Pour Éric Duvaud, directeur des normes de durabilité (Autorité des normes comptables), « la CSRD doit être vue comme un morceau du puzzle du Pacte Vert qui permet d'orienter les financements et de financer la transition ». Le second objectif est de piloter la transition énergétique « à votre échelle », ajoute-t-il, car toutes les entreprises ne sont pas dans l'obligation de révolutionner leur modèle d'affaires.

Transformer son modèle d'affaires

La nouvelle réglementation va inciter certaines entreprises à transformer voire révolutionner leur modèle d'affaires tout en conservant leur croissance et leurs dividendes. En résumé, comment créer de la valeur économique sans sacrifier la valeur écologique ? « C'est un enjeu culturel. Il faut réfléchir à ce qu'est un modèle d'affaires régénératif et contributif et redéfinir la notion de PIB. Il faut passer d'une économie de la possession à une économie d'usage », avance Fabrice Bonnifet, directeur développement durable et QSE du groupe Bouygues.

Gouvernance et formation du top management

Dans cette transformation, la question de la gouvernance ne doit pas être portée par la direction financière ou la direction RSE « mais par l'ensemble des métiers », précise Catherine Saire. De son côté, « le Chief sustainability officer (CSO) doit avoir le rôle du sachet de thé qui infuse pour intégrer la notion de durabilité dans les autres sujets (financier...) », ajoute Lénaïc Pineau, directrice du développement durable et de la qualité chez JCDecaux. Cependant, le sujet doit être porté par la direction générale. Pour Sophie Pierson, directrice RSE et conformité groupe au sein de Rubis, opérateur français indépendant spécialisé dans l'énergie, « il faut que le top management (DG, Comex, Codir...) se mouille et valide l'arbitrage de la double matérialité ». La formation des instances de gouvernance est également un enjeu prioritaire. « Comme on balaye les escaliers en commençant par le haut, chez Bouygues, fin 2024, le top 500 de l'entreprise sera formé sur le sujet, explique Fabrice Bonnifet, directeur du développement durable et QSE du groupe Bouygues et président du C3D. Ensuite, les 1 600 BU vont également être formées. Des sujets seront traités en mode sprint avec des clients pour donner envie aux autres. »

RH et nouvelles compétences : une véritable transition sociale

Pour mener à bien ce chantier, il faudra faire appel à de nouvelles compétences et « investir dans les hommes et les femmes de demain. Après les digital natives, on assistera peut-être à l'arrivée d'une génération d'ESG natives ? », s'interroge Lénaïc Pineau. On peut parler d'une « véritable transition sociale », selon les termes d'Éric Duvaud. Car cette réglementation entraînera un « besoin de transformation des compétences, ce qui est très lourd et implique des licenciements autant que des embauches ». Un avis partagé par Patrick de Cambourg, président de l'EFRAG, pour qui la CSRD ne doit pas être perçue comme « un exercice de conformité mais d'abord comme un exercice de management ».

Prioriser les chantiers

Une fois le sujet posé, l'organisation de l'entreprise repensée et la formation enclenchée, par quoi commence-t-on ?

« Il faut hiérarchiser les sujets, car il faut choisir ses batailles. Pour cela, il faut construire une roadmap progressive avec les sujets les plus impactant pour la société et pour la santé financière de l'entreprise, fédérer et communiquer (vulgariser, savoir raconter une histoire et démontrer les bénéfices pour chaque métier). Il faut donner du sens à l'action », prévient Lénaïc Pineau de JCDecaux. Pour Catherine Saire, il est impossible de tout couvrir, il faut donc s'appuyer sur la matrice de matérialité qui permet de renforcer le dialogue avec les parties externes. « Il faut travailler avec la daf et la direction des risques et s'assurer qu'il y a bien une composante de durabilité dans la cartographie des risques (comme les enjeux des droits humains, de santé...). »

Pour Sophie Pierson du groupe Rubis, les trois premières actions à mettre en place sont la mobilisation des instances dirigeantes, une organisation en mode projet (dans toutes les fonctions de l'entreprise), « tout en veillant à nommer ces groupes de projets avec des termes comme transformation plutôt que CSRD, ce qui est moins engageant » et enfin l'établissement d'un plan de progrès pluriannuel (pour pouvoir par exemple reporter des sujets moins prioritaires que d'autres en fonction des arbitrages). « Il s'agit d'établir un calendrier pour les équipes en interne car le temps des reportings avec des critères de durabilité n'est pas le même que celui que prend un rapport de gestion. »

Des arbitrages

Il y aura donc des arbitrages à réaliser avec une définition des axes à transitionner. La clé est la question de l'allocation des ressources aux priorités. « Il faut réconcilier le temps long et le temps court avec un montant Capex investi sur chaque enjeu », souligne Catherine Saire. Chez JCDecaux, cela passe par des premiers investissements pour se doter d'outils IT adéquats et de nouvelles compétences. Mais aussi, par un alignement du processus budgétaire et financier avec l'ESG. « Aujourd'hui, les daf ont aussi des objectifs ESG (parité...) avec les marges allouées afin d'avoir une vision budgétaire finale », souligne la directrice du développement durable et qualité. Chez Bouygues, cela passe par une fusion des SI financier et extra-financier.

Cela relève également de la responsabilité des commissaires aux comptes qui vont auditer les entreprises. « Leur rôle sera de faire émerger la sincérité dans les démarches. Après les profit warnings, il faudrait instaurer des environnementaux warnings », imagine Fabrice Bonnifet de Bouygues. Un point soulevé par Lénaïc Pineau de JCDecaux pour qui il n'existe pas de discrimination positive ou négative de la part des investisseurs sur les critères ESG. « J'aimerais que les investisseurs valorisent mieux l'ESG », conclut-elle.

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