[Dossier] Les plus d'une entreprise à mission pour les Daf
Devenir une entreprise à mission exige des directions financières d'évoluer : prendre en compte de nouveaux indicateurs environnementaux et sociaux pour suivre les objectifs de la mission, se soumettre à un audit de la mission réalisé par un organisme tiers indépendant (OTI), échanger avec le comité de mission sur la réalisation de la mission, etc. Autant de nouvelles tâches qui peuvent rendre difficile le passage à cette nouvelle qualité. Pourtant, une entreprise à mission confère aux Daf un nouveau rôle, encore plus stratégique, puisqu'il est obligé de s'intéresser à la performance globale de l'entreprise et non plus uniquement à la dimension financière ; son spectre s'élargit, son statut au sein de l'entreprise aussi. Par ailleurs, la mission offre des avantages inattendus, que ce soit vis-à-vis des collaborateurs ou des investisseurs.
La qualité d'entreprise à mission ne doit en effet pas être seulement vue comme une contrainte par les Daf, même si une charge de travail supplémentaire peut apparaître. Pour Errol Cohen, avocat, l'entreprise à mission est un formidable outil au service des entreprises. « Il offre une double gouvernance avec le comité de mission, une feuille de route à travers la mission, mais aussi une prise en compte des risques. Par ailleurs, il pointe les nouvelles activités à développer. Il permet de faire gagner plus et mieux d'argent aux entreprises » énumère-t-il, regrettant qu'il ne soit pas davantage utilisé. Les chefs d'entreprise qui se lancent dans cette aventure recherchent en effet souvent un cadre qui leur permette d'avancer dans la bonne direction. Au quotidien, cela se vérifie concrètement. C'est en tout cas ce que rapporte Romain Broutier, Daf de RAISE : pour lui, l'entreprise à mission est une boussole qui permet de donner une direction, de prendre les décisions.
Des entreprises plus performantes
Des décisions qui englobent des paramètres plus larges que les dimensions purement financières et qui, par conséquent, offrent au Daf l'occasion de discuter avec toutes les directions de l'entreprise, d'étendre son périmètre et surtout d'être plus innovant, puisque ces nouveaux éléments peuvent lui ouvrir de nouveaux horizons. De plus, en étant en lien avec le comité de mission, il s'ouvre à des points de vue enrichissants. Et, comme le souligne Errol Cohen plus haut, le pilotage qu'exigent les entreprises à mission permet de mieux prendre en compte les risques. De nouveaux sujets tombent dans son escarcelle et le Daf devient plus important au sein de l'entreprise.
Autre avantage d'une entreprise à mission pour les directions financières : la motivation des équipes. « C'est un vecteur pour garder les talents et recruter, car ça donne du sens » estime Romain Broutier. Vincent Wisner, directeur général de Prophil, relève lui aussi qu'accompagner une mission peut permettre aux directions financières de se réinventer en intégrant d'autres enjeux et donc de se rendre plus attractives aux yeux des candidats. « Il y a une attente forte en interne et en externe sur les enjeux sociaux et environnementaux. À travers une mission, la direction financière peut y contribuer » estime-t-il.
Romain Broutier parle également d'une meilleure performance financière des entreprises à mission. Ce qui n'est pas pour déplaire aux Daf ! Le Daf de RAISE est en effet persuadé que la croissance annuelle de 30 % de son entreprise est fortement portée par ses engagements de mission et notamment celui instituant la diversité et la parité. « Chez RAISE, il y a autant d'hommes que de femmes à tous les niveaux hiérarchiques, et ce, depuis la création. Cela permet de cultiver les différences, pas uniquement de genres, mais aussi de profils, et de prendre de meilleures décisions » avance-t-il. L'entreprise est finalement plus performante financièrement parce qu'elle est plus performante de manière générale.
Même conviction du côté de Luc Delage, directeur général adjoint responsable de la direction du pilotage économique et financier du groupe MAIF : pour lui, le statut d'entreprise à mission permet de prendre des décisions qui seraient impossibles à prendre dans des structures plus traditionnelles, des décisions qui s'avèrent rentables à long terme. « Nous avons fait le choix d'un business model qui ne repose pas sur la conquête de nouveaux assurés, mais plutôt sur la satisfaction de notre portefeuille de sociétaires. Cela a un coût, puisque les garanties et le service sont de meilleure qualité, l'indemnisation repose sur la confiance... Pour autant, cela permet aussi d'être rentable à plus long terme, car la satisfaction crée de la fidélisation et nous n'avons pas à assumer le coût de recrutement de nouveaux assurés » décrit-il.
Autrement dit, la qualité d'entreprise à mission offre la possibilité de piloter les entreprises d'une autre manière qui permet d'être plus performant sur le long terme, car elle séduirait collaborateurs et clients. « Les éléments financiers ne suffisent pas à attirer les clients et les talents. Ils veulent qu'on leur offre plus. C'est ce que permet une entreprise à mission. C'est un levier d'embauche et de gain de marchés » résume Errol Cohen. Et ce, d'autant plus que la qualité d'entreprise à mission confère du sérieux à la démarche sociale et environnementale de la société, à l'heure où le greenwashing est légion et que les consommateurs se montrent de plus en plus exigeants. En effet, entre le comité de mission et les audits réalisés par un organisme tiers indépendant (OTI), il est impossible pour une entreprise à mission de ne pas pleinement s'investir dans ses objectifs de mission. Et cela, les consommateurs comme les collaborateurs le remarquent.
Une résilience qui séduit les investisseurs
Cette nouvelle façon, innovante, de piloter les entreprises qu'adoptent les entreprises à mission ne séduit pas que les candidats et les clients. Elle attire aussi les investisseurs. « Les sociétés à mission peuvent intéresser les investisseurs, car elles savent se montrer plus résilientes. Leur investissement est donc plus sûr » observe Vincent Wisner. Pour lui, les fonds à impact sont les premiers à être plus particulièrement intéressés par ces entreprises à mission, puisqu'ils sont à la recherche de sociétés sérieusement engagées dans un projet environnemental et social.
Une préoccupation qui pourrait s'étendre à l'ensemble des fonds, selon Tristan Dollé, Daf de l'entreprise à mission Sublime Énergie : « Un cadre légal est en train de se mettre en place en Europe pour flécher les investissements vers des entreprises qualifiées de responsables, ce qui oblige les fonds à évoluer. Si la mission prévoit des progrès en matière environnementale et économique, cela peut représenter un plus vis-à-vis des investisseurs » abonde-t-il. Ainsi, son entreprise spécialisée dans le biogaz a réussi à financer un projet très spécifique de liquéfaction de biogaz, qui n'aurait pas été évident à financer sans cet appui de l'entreprise à mission. On revient sur la dimension de sérieux qu'octroie la qualité d'entreprise à mission.
« Le Daf doit comprendre que l'entreprise à mission apporte une véritable puissance aux indicateurs et correspond à ce que les financeurs recherchent » rapporte Errol Cohen. Selon lui, les investisseurs, afin de flécher leurs investissements, vont demander davantage de transparence et de critères. Critères auxquels pourront répondre les sociétés à mission, puisqu'elles doivent intégrer des indicateurs pour suivre leurs objectifs de mission. L'avocat constate également que les assureurs sont sensibles à ces indicateurs. Il est rejoint sur ce point par Vincent Wisner : « Le monde de l'assurance s'intéresse au côté résilient des entreprises à mission et se pose la question de leur octroyer un bonus » rapporte-t-il. D'après Errol Cohen, certaines entreprises ont réussi à se faire assurer parce qu'elles étaient des sociétés à mission.
Si Martin Richer pense, lui aussi, que le statut d'entreprise à mission peut aider à convaincre les investisseurs verts, il pointe un autre avantage : acquérir des sociétés dans de meilleures conditions dans le cas de croissance externe. Des études montreraient en effet que la qualité de la politique RSE de l'entreprise acheteuse jouerait sur les conditions d'achat dans les situations de M&A.
Collaborateurs, clients, investisseurs, assureurs... Ce sont finalement toutes les parties prenantes de l'entreprise qui sont séduites par ce statut d'entreprise à mission. C'est en tout cas le constat que fait Sophie Scantamburlo-Contreras, cofondatrice et Daf de SCOP3, société à mission qui a développé une plateforme pour donner une seconde vie aux équipements professionnels. « La mention d'entreprise à mission est fortement appréciée par nos clients, fournisseurs et investisseurs. Ils voient que nous sommes véritablement engagés dans une démarche RSE » note-t-elle. Une démarche qui est également importante pour la dirigeante qui est heureuse de travailler dans une entreprise qui a un impact, du sens. C'est aussi sur ce point de l'engagement, du sens de la mission que les entreprises à mission peuvent apporter aux Daf : elles leur donnent en effet la satisfaction de travailler pour une cause qui en vaut vraiment la peine. Et cela n'a pas de prix.
BON À SAVOIR
Comment devenir une société à mission ?
Toutes les entreprises peuvent devenir société à mission, quelle que soit leur forme juridique. Et devenir entreprise à mission n'exige d'ailleurs pas d'adopter un nouveau statut de société ou une nouvelle catégorie juridique. En revanche, les sociétés à mission doivent inclure dans leurs statuts la notion de raison d'être de l'entreprise, les objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre et les modalités du suivi de l'exécution des missions. L'entreprise doit ensuite déclarer sa qualité de société à mission sur le site du guichet unique des formalités des entreprises pour publication au registre national des entreprises (RNE) et au registre du commerce et des sociétés (RCS) ; il y aura ainsi une mention de cette qualité sur l'extrait K ou le K-Bis et au répertoire Sirene. Par ailleurs, les entreprises de plus de 50 salariés doivent mettre en place un comité de mission chargé de contrôler l'adéquation de la raison d'être de l'entreprise et les pratiques. Et toutes les entreprises doivent faire vérifier la réalisation des objectifs par un organisme tiers indépendant (OTI) tous les deux ans. En cas de non-atteinte des objectifs, le retrait de la qualité de société à mission peut être ordonné par le président du tribunal de commerce compétent. La mention « société à mission » sera alors supprimée de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de l'entreprise.
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