Faire accepter aux salariés le transfert d'entreprise
L'acceptation d'un déménagement par le personnel est un élément essentiel à son bon déroulement. À ce titre, une communication intelligente et une approche participative sont indispensables. Tour d'horizon des consignes à respecter pour éviter le fiasco.
Tout projet de transfert d'entreprise ou d'un site contient en germe l'épineuse question: reste-t-on dans le même secteur géographique et l'accord de chaque salarié sera-t-il requis? Mais il est une autre dimension à cette acceptation, qui relève plus du management, car "en entreprise, le déménagement est le deuxième facteur de stress, juste après le licenciement", assène Kévin Manchon, dg de la société de déménagement Démépool (92). De fait, les spécialistes sont unanimes: changer de lieu de travail génère de l'appréhension. Cet événement d'ordre stratégique, souvent orchestré par la direction financière et les ressources humaines, est traumatisant en ce qu'il touche à la structure même de l'entreprise. "Les gens projettent beaucoup d'eux-mêmes sur un espace de travail, analyse Frédéric Miquel, dg d'Amsycom (92), groupe spécialisé dans la gestion de projets immobiliers. Pour eux, un déménagement est la remise en cause de tout un ensemble de représentations symboliques." Voici quelques conseils qui faciliteront l'acceptation d'un déménagement par les salariés.
Communiquez dès le départ
La règle numéro un, c'est de "com-mu-ni-quer". Selon Alexandre Duparc, gérant de la société de conseil Adici (59), "il est important d'organiser des réunions dès le démarrage du projet afin de s'assurer que tout le monde parle bien du même sujet et de la même manière." Traduction : n'attendez pas d'avoir tous les éléments en main pour avertir les salariés... et gardez, ainsi, la main sur ce qui se dit en interne. "L'information doit absolument être maîtrisée, l'enjeu est de toujours précéder la rumeur", note Frédéric Miquel. Le plan de communication interne devra employer différents médias afin de toucher toutes les cibles: intranet pour les infos flash (vie quotidienne du projet) et newsletter pour les messages plus sophistiqués (schémas, fiches techniques...).
En outre, un déménagement s'inscrit dans la durée. Il importe qu'il en soit de même pour le plan de communication. Pour une entreprise comptant de 50 à 200 salariés, l'information des salariés devra débuter au moins trois mois avant la date du déménagement. Ce délai sera de six mois à un an pour une entreprise de plus de 250 salariés. Si l'entreprise choisit de faire construire son futur site, la communication débutera, en moyenne, deux ans avant l'emménagement. "En deçà de ces délais, avertit Kévin Manchon, on prend le risque, dans la dernière ligne droite, d'avoir des conflits, voire des arrêts maladie, le jour J."
Cinq erreurs à ne pas commettre
1) Sous-estimer l'ampleur de la tâche: Pour une entreprise d'une centaine de salariés, le temps nécessaire à la gestion d'un déménagement mobilisera le chef de projet à hauteur d'une trentaine de jours pleins.
2) Présenter un dossier déjà ficelé: Pour Alexandre Duparc, "annoncer aux salariés un déménagement une fois que le projet est bouclé est irrécupérable, car ils le vivront de A à Z comme quelque chose de subi. C'est avilissant, pour les équipes, qui se retrouvent dans un rôle de suiveuses et non de forces de proposition."
3) Rechercher uniquement l'économie de mètres carrés: "Si vous donnez le sentiment que tous les gains du déménagement sont pour l'entreprise, vous risquez de générer de l'amertume chez vos collaborateurs", avertit Frédéric Miquel.
4) Faire des salariés des déménageurs: Les salariés doivent absolument être impliqués, mais pas n'importe comment. "Leur demander de tout faire (cartons, gestion du matériel informatique...) est une erreur, assure Frédéric Roy. Le salarié ne devrait avoir à gérer que ses affaires personnelles et ce, pour une question de productivité."
5) Opter pour un open space: Le passage à un open space, bien qu'intéressant sur le plan financier, est rarement apprécié des salariés. "Nombre d'entreprises regrettent, aujourd'hui, d'avoir opté pour l'open space, car même au bureau, les gens ont besoin d'un minimum d'intimité", observe Frédéric Roy.
Impliquez les salariés
Ne vous contentez pas d'une information descendante (top-down) mais impliquez tous les niveaux de la pyramide. "Il y a un grand intérêt à associer les futurs utilisateurs au projet, notamment sous la forme d'ateliers de discussion", conseille Frédéric Miquel. Ces ateliers aborderont collectivement des questions telles que la logistique de l'opération, le fonctionnement du futur espace de travail, le maintien des services pendant le déménagement, etc.
Pour porter la voix des salariés dans ces réunions, il convient d'identifier des acteurs-clés au sein de l'organisation et d'intégrer au comité de pilotage un référent issu de chaque service de l'entreprise. Naturellement, les instances représentatives du personnel (CE, CHSCT) devront être de la partie. "L'idéal est une approche participative, aussi bien sur l'achat du mobilier que sur le choix du site d'implantation ou les mesures d'accompagnement", énumère Frédéric Roy, directeur de Demeco transfert (45) et vice-président de l'Agence française du déménagement d'entreprises (AFDE). Cela peut se traduire, concrètement, par la mise en place d'un bureau-type, ou encore l'organisation de visites de chantier.
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Listez les besoins précis de chacun
Dès les premières réunions avec les représentants du personnel, recueillez les besoins détaillés de chacun: emplacement du bureau, mobilier, équipement, connexions, etc. "Commencez par faire le tour des personnes identifiées comme légitimes dans chaque service puis restituez l'information sous forme d'une check-list, d'un plan d'implantation et d'un planning, détaille Alexandre Duparc. À chaque étape du processus, il faut recueillir l'aval de l'ensemble des acteurs de l'entreprise."
Accordez des contreparties
Locaux plus modernes, salle de pause agréable, ascenseurs, tickets restaurant, service de conciergerie, prise en charge du transport, parking deux-roues... Afin d'accompagner le changement de lieu de travail, il convient d'accorder aux salariés des contreparties.
Le plus : livret d'accueil et sav
Autre élément préconisé par l'ensemble des spécialistes, le livret d'accueil facilite l'intégration des salariés dans un nouvel environnement de travail. Clair et le plus complet possible, on y trouvera toutes les réponses pratiques relatives au nouveau site et à ce qui l'entoure : fonctionnement des nouveaux téléphones, localisation du restaurant interentreprises, moyens de transport à disposition, accès au parking, lieux de loisirs à proximité (salles de sport, cinémas, centres commerciaux...), etc. "Cela peut paraître anodin, mais c'est vraiment très important", assure Frédéric Roy. Un déménagement ne s'arrête pas une fois que chacun a retrouvé son poste. "Après un emménagement, on subit un ressac pendant plusieurs semaines (problèmes techniques, cartons à déballer, badges qui ne fonctionnent pas...), observe Frédéric Miquel. Je conseille de prévoir une cellule de SAV, qui est souvent le chef de projet du déménagement, et de réaliser une enquête de satisfaction quelques mois après. On se rend compte qu'il y a toujours des réglages à opérer. Là aussi, faire appel à l'intelligence collective est souvent intéressant."
Désignez le bon chef de projet
Quelqu'un à la personnalité trop rigide risque de braquer les salariés, qui auront le sentiment de ne pas être entendus, ce qui, au regard de l'objectif, n'aurait pas de sens. "Il faut que cette personne ne soit pas déjà surchargée par son activité quotidienne", précise Alexandre Duparc. Sur le papier, le DRH ou le Daf peuvent paraître pertinents, mais...
Dans certains cas, l'assouplissement des horaires sera très apprécié. "Lorsque le transfert se fait sur une longue distance, on proposera une aide à la relocation (prise en charge de l'état des lieux, abonnements eau et électricité, crèches à proximité, etc.), souligne Frédéric Roy. Cet investissement facilite une bonne approche psychologique du déménagement." Dans tous les cas, "l'attribution de contreparties doit se faire sur la base des besoins exprimés par les salariés, faute de quoi ce sera un coup d'épée dans l'eau", prévient Alexandre Duparc.
Cas pratique : " Notre déménagement a nécessité une année de préparation et un chef de projet à temps plein "
Store electronic systems est une entreprise française devenue leader mondial sur le créneau de niche des étiquettes électroniques de gondole pour la grande distribution. Entre décembre 2014 et janvier?2015, l'entreprise, alors basée à Argenteuil (95), a déménagé ses bureaux à Nanterre (92) et son entrepôt logistique à Cergy-Saint-Christophe (95), soit respectivement 130 et un peu plus de 20 salariés concernés. L'opération a été bien perçue par le personnel, car les sites choisis sont neufs et très accessibles par les transports en commun. Mais aussi parce qu'un long travail de préparation a été mené. "Comme tout changement, un déménagement suscite beaucoup d'angoisse", souligne Marianne Noel, DRH de Store electronic systems. La communication auprès des salariés (CE, CHSCT, managers) a débuté très en amont, dès la recherche de nouveaux sites. Elle s'est poursuivie par des réunions de travail, des visites et des publications sur le réseau social interne de l'entreprise. "Un déménagement est une bonne occasion de mobiliser tous les salariés, estime Marianne Noel. Au final, nous avons réussi à bâtir un projet qui corresponde à tout le monde." Selon la DRH, "le plus gros danger, dans un déménagement, c'est le temps. Si vous n'avez pas les bons délais, il sera difficile de ne rien oublier." Au total, le déménagement de Store electronic systems aura nécessité une année de préparation avec le travail d'un chef de projet à temps plein. En collaboration avec la DRH, la Daf a participé activement au projet (simulations, plan de financement...).
Raison sociale: Store electronic systems
Activité: systèmes d'étiquetage électronique pour la grande distribution
Siège: Nanterre (92)
Forme juridique: SA
Directeur général: Thierry Gadou
Daf: Pascale Dubreuil
Effectif 2014: 220 salariés
CA 2014: 82 M€
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