[Tribune] Il est temps de discipliner les délais de paiement
On appelle cela la dette d'exploitation ou le crédit fournisseurs ou encore, le crédit interentreprises. Il s'agit des délais de paiement que s'accordent les entreprises entre elles lors de leurs activités commerciales.
Dans le bilan, cela se retrouve au niveau des créances clients à l'actif (l'entreprise a accordé un délai de paiement à son client) et au niveau du crédit fournisseurs au passif (l'entreprise se voit accorder un délai de paiement par son fournisseur).
Selon une récente étude publiée par trois analystes de la Banque de France, ces crédits fournisseurs ont représenté 660 milliards d'euros en 2019 pour les entreprises non financières, soit sept fois plus que l'encours de leur crédit bancaire à court terme. Le même phénomène s'observe aux États-Unis, en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni ou en Chine. Autant dire que cette flexibilité de crédit est une composante clé des économies d'aujourd'hui et que cela peut fonctionner durablement à condition que les délais de paiement ne s'allongent pas indéfiniment (2 mois maximum en France et en Europe). Au-delà, le risque de crédit devient trop important et la situation risque de pénaliser l'économie. En effet, les PME, véritables forces vives de la nation, sont en première ligne. Selon l'INSEE, la France en compte 159 000 ; elles emploient 4,9 millions de salariés et représentent près du quart de la valeur ajoutée des entreprises françaises.
Or, avec un crédit fournisseurs mal contrôlé, elles sont exposées à un double risque : celui de ne pas être réglées par leurs clients et celui de ne pas pouvoir payer leurs fournisseurs. Ce risque augmente à la faveur d'un ralentissement de l'économie, voire d'une hausse des taux d'intérêt. Lorsque le crédit bancaire devient plus rare, le crédit fournisseurs le remplace, mais de manière forcée, sinon non consentie.
Alors que l'État français, autrefois mauvais payeur, a mis en oeuvre une politique active pour régler à temps ses fournisseurs, un pan entier de l'économie française est toujours dépendant des grandes entreprises, de celles qui ont les moyens de payer à temps, mais qui, souvent, s'en gardent bien. D'où des problèmes de trésorerie conséquents pour les PME. Selon la dernière étude du Lab de BPI France, tous les soldes d'opinion sur la situation de trésorerie des PME et TPE se sont dégradés fin 2023. Les délais de paiement des clients sont jugés plus élevés que jamais et 22 % des chefs d'entreprise rencontrent des difficultés d'accès au crédit de trésorerie.
Aujourd'hui, nous voyons de plus en plus de grandes entreprises utiliser leur taille pour fausser la dynamique des relations entre les PME et elles-mêmes, en instituant de longs cycles de paiement. Cette pratique perturbe la vitalité opérationnelle des PME et nuit invariablement à l'économie à long terme. Le flux de trésorerie, élément vital des PME, est gravement affecté lorsque les paiements sont retardés. Cela peut entraîner un effet domino, affectant la capacité des PME à payer leurs propres fournisseurs, leurs employés et leurs dépenses opérationnelles. Au-delà des répercussions financières, la pratique des retards de paiement crée un terrain de jeu inégal où les géants économiques ont le dessus, dictant des conditions qui peuvent être préjudiciables à la survie des petites entreprises.
Payer les PME à temps n'est pas seulement une question d'importance financière, c'est un impératif éthique. Lorsque les grandes entreprises paient à temps, elles contribuent à un environnement commercial juste et équitable. Les pratiques commerciales éthiques instaurent la confiance, favorisant ainsi la croissance économique.
S'attaquer au problème des retards de paiement est également stratégique d'un point de vue économique. L'amélioration de la trésorerie des PME permettra à son tour d'éliminer les obstacles à la croissance de ces entreprises. Un secteur des PME prospère renforce la résilience économique, en diversifiant le paysage des entreprises et en réduisant la dépendance à l'égard de quelques acteurs majeurs.
Il est donc temps que les grandes entreprises redoublent d'efforts pour soutenir les PME. Au vrai, le gouvernement s'est déjà attaqué à ce problème d'un point de vue politique. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) publie régulièrement le nom des mauvais payeurs et l'amende ad hoc qu'ils doivent honorer. Cependant, un effort de collaboration dans le monde de l'entreprise est maintenant nécessaire. Cela commence par l'adoption par les grandes entreprises de pratiques de paiement transparentes et la publication de données sur les performances de paiement, créant ainsi une culture de la responsabilité et permettant de demander des comptes aux plus mauvais élèves. En abordant les problèmes causés par les retards de paiement, en adoptant des pratiques commerciales éthiques et en mettant en oeuvre des mesures concrètes, nous pouvons créer un environnement dans lequel les PME et les grandes entreprises prospèrent, contribuant ainsi à rendre l'économie française plus résiliente et plus dynamique.
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