Financements désintermédiés : convaincre ses dirigeants
Face à l'émergence de nouvelles sources de financement et à la sophistication des instruments actuels, voici quelques conseils pour choisir la solution de financement désintermédié la plus pertinente et convaincre les décideurs internes.
Structurer un financement, c'est couvrir les besoins financiers à moyen terme de l'entreprise et la doter des ressources et des partenaires adaptés à la stratégie voulue par le management et les actionnaires. Et si les PME et ETI françaises sont encore loin de se passer des banques, bien qu'on note un essoufflement de la croissance des encours, elles disposent désormais d'instruments qui complètent habilement ou se substituent partiellement au financement bancaire tels que placements privés, fonds de prêt à l'économie, dette mezzanine ou unitranche, marché obligataire (IBO), etc.
Quel que soit l'instrument choisi, c'est aux Daf qu'il revient de définir quand et comment recourir à ce type de produits... et d'emporter l'adhésion.
Dette bancaire v. désintermédiation
Les financements désintermédiés peuvent revêtir diverses formes, principalement obligataires, qui ont en commun un certain nombre de caractéristiques telles que :-un profil d'amortissement in fine (pas de remboursement en principal avant l'échéance), de nature à alléger le service annuel de la dette, et à assouplir le respect de l'éventuel covenant de DSCR (debt service coverage ratio mesuré par le ratio entre le cash-flow avant service de la dette et le service de la dette) ;
- une maturité plus longue que la dette bancaire - souvent au-delà de cinq ans - mais au même rang de remboursement et de partage des éventuelles sûretés que les banques, à l'exception de la dette mezzanine, qui elle, est subordonnée à la dette bancaire, à la fois en remboursement mais aussi en sûretés ;
- un accès à un niveau de quantum de dette (mesuré par le ratio de dette nette rapportée à l'EBITDA) plus élevé que celui consenti par les seules banques ;
- un produit de dette non dilutif (sans accès au capital), à l'exception de la dette mezzanine, laquelle inclut une composante dilutive sous la forme de bons de souscription d'actions (BSA).
Le point sur l'accès aux financements désintermédiés
Le législateur a démocratisé l'accès aux instruments de financement désintermédié par un décret d'août 2013 prévoyant la création des fonds de prêts à l'économie (FPE) autorisant les assureurs à financer directement les entreprises non cotées et non notées. D'autres initiatives ont été prises par des acteurs tels que NYSE Euronext avec l'initial bond offering (lire notre dossier IPO versus IBO), Micado avec l'émission de prêts groupés, sans oublier le GIAC ou la dette mezzanine, qui font figure de précurseurs dans ce domaine.
Bon nombre de FPE se sont constitués, ces dernières années, dont "Novo", le plus médiatisé, lancé à l'été 2013 et doté de 1 Md€. La tendance est aussi à des souscriptions croissantes d'assureurs dans le cadre d'émissions Euro PP (private placement). Certes, les objectifs de rendement attendu par ces fonds (coupon compris entre 4 et 6 %) les rendent plus chers que la dette bancaire. Le ticket minimum est de 5 à 10 M€ et l'approche sensiblement comparable à celle des banques, notamment en termes d'analyse de risque et de structuration. Un placement privé ne nécessitera pas toujours de notation par une agence de rating. À noter, aussi, que l'information pourra rester privée, les investisseurs ayant une stratégie de buy & hold et non d'arbitrage.
Reprofiler la dette pour générer un "autofinancement"
Un financement désintermédié favorise l'anticipation du refinancement partiel d'une dette bancaire in fine arrivant à maturité. Une solution mixte dette bancaire/financement désintermédié octroie un profil d'amortissement adapté (in fine pour la partie désintermédiée), tout en pondérant le coût des deux instruments.
L'économie de remboursement annuel d'une telle structure par rapport à une structure 100 % bancaire dégage des marges de manoeuvre allouables au financement du développement, ce qui facilite également le respect d'éventuels covenants. Même si le montant global de dette n'a pas été modifié, l'entreprise peut, ce faisant, desserrer la pression du remboursement annuel et dégager un "autofinancement" qui la rend moins tributaire des demandes annuelles d'enveloppe de financements d'investissement auprès des banques.
Croissance externe ou relution des actionnaires
Dans certains cas, les banques peuvent ne pas souhaiter couvrir l'intégralité du besoin de financement d'une acquisition jugée transformante pour l'entreprise, ou qui induirait un niveau de dette considéré comme déraisonnable. Certains fonds de dette spécialisés en dette "corporate" interviennent conjointement avec les banques sur la base d'un quantum de dette plus élevé.
La dette mezzanine - certes plus chère - se prête particulièrement bien à ce cas de figure, car elle donne accès à des quantums plus élevés mais au prix d'un partage de la création de valeur via des bons de souscription d'actions. La réalisation d'une acquisition sera également l'occasion de retravailler le profil de la dette actuelle avec ses prêteurs pour se donner le maximum de confort.
Gestion dynamique de l'exposition des partenaires financiers
La diversification de sa base de partenaires est également de mise dans la construction des relations financières. Les divers partenaires subissent des évolutions réglementaires, opèrent des changements de stratégie, adaptent leur politique de gestion des risques, influant sur leur capacité à intervenir. L'un des moyens de s'en affranchir est de ne pas "mettre ses oeufs dans le même panier" et de diversifier son accès à la liquidité en explorant les alternatives à la seule dette bancaire, y compris les financements sur actifs. L'approche peut même être suggérée par les banques elles-mêmes, celles-ci souhaitant, parfois, maîtriser leur exposition sur une contrepartie et obtenir un mandat non consommateur de fonds propres. L'intervention d'un nouvel acteur aura la vertu de conforter et rassurer les banques. Elles seront donc plus enclines à favoriser d'éventuels aménagements et assouplissements. L'emprunteur/émetteur disposera, alors, d'un accès à d'autres sources de liquidités avec lesquelles il se familiarisera pour de prochaines opérations stratégiques.
Faire adhérer les dirigeants
Faire adhérer ses dirigeants au bien-fondé d'une adaptation de la structure de financements, c'est non seulement les convaincre de l'intérêt d'une telle opération, mais aussi tuer quelques idées reçues.
Une liste impressionnante mais qui ne suffira pas au Daf pour faire adhérer les dirigeants. Il devra aussi composer avec quelques craintes.
1) Ainsi en est-il du coût du financement. Certes plus élevé que la dette bancaire, il est à mettre en regard de la maturité moyenne plus longue des financements : l'emprunteur disposera des fonds pendant toute la durée du financement jusqu'à l'échéance, aucun amortissement n'étant dû d'ici là. Affecter l'instrument obligataire au refinancement partiel d'une dette bancaire en réduira le coût de portage. Le dirigeant sera sensible au caractère non dilutif des instruments (à l'exception des BSA sur la dette mezzanine).
2) La concentration du risque de refinancement sur une échéance à maturité peut aussi faire naître une inquiétude sur la capacité à refinancer le "muret" à échéance. Les conditions du refinancement seront, certes, fonction de l'histoire du crédit de la société mais les investisseurs à la recherche de rendements longs s'inscriront dans le refinancement. Celui-ci pourra être anticipé au terme de la période de non call, laissant au minimum trois ans.
3) Autre préoccupation de bon nombre de dirigeants : la préservation de l'information dans la sphère privée. Or, la mise en oeuvre d'un placement privé en format privé limite la diffusion d'informations à quelques acteurs, dont la granularité pourra être adaptée en fonction des marques d'intérêt reçues par les investisseurs. Aucune information publique ne sera requise, les demandes des investisseurs en dette étant proches de celles des banquiers.
Le bon moment
Peut-être plus paradoxal du point de vue du dirigeant, le bon moment pour sonder le marché de la désintermédiation est celui où le besoin de financement n'est pas le plus prégnant pour la société. Il s'agit avant tout de préparer l'avenir et de prévenir tout risque. Mais aussi de prendre l'initiative sur des fondamentaux attractifs pour susciter l'intérêt d'investisseurs et, ainsi, figer des conditions optimales... pour ne pas subir un calendrier sous pression de tiers en cas de retournement.
Les demandes de financement des PME-ETI sont pour le moment satisfaites par les banques, mais dans un contexte de faible demande de financements. Pourront-elles être satisfaites lorsque la croissance sera de retour, et à quelles conditions ? La structure de financement préserve-t-elle l'indépendance financière de la société et assure-t-elle la stratégie ? Autant de sujets sur lesquels le Daf attire régulièrement l'attention du dirigeant et de la direction générale et pour lesquels les financements désintermédiés peuvent apporter un élément de réponse, aux côtés des partenaires historiques.
EY est un des leaders mondiaux de l'audit, du conseil, de la fiscalité et du droit, des transactions. Partout dans le monde, EY contribue à créer les conditions de la confiance dans l'économie et les marchés financiers. EY désigne l'organisation mondiale et peut faire référence à l'un ou plusieurs des membres d'Ernst & Young Global Limited, dont chacun est une entité juridique distincte.
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