Entretien de recrutement : une mauvaise pratique ?
Il y a déjà près de vingt ans, dans son best-seller mondial De la performance à l'excellence, Jim Collins écrivait : "Les dirigeants qui ont impulsé les transformations du bien vers le grand n'ont pas d'abord réfléchi où conduire le bus puis cherché à faire monter des gens à l'intérieur. Non, ils ont d'abord fait monter les bonnes personnes dans le bus (et sorti les mauvaises) puis trouvé où le conduire... Si nous avons les bonnes personnes dans le bus, les bonnes personnes dans les bons sièges, et les mauvaises en dehors, alors nous trouverons comment l'emmener dans un endroit remarquable."
Oui, avant de faire coopérer les talents, encore faut-il savoir les recruter. Si des talents sans esprit de coopération produiront sans doute de mauvaises performances liées à une rivalité interne, l'absence de talents mettra la coopération en incapacité d'atteindre les objectifs recherchés. Et les sciences comportementales ont beaucoup à dire sur la manière d'éviter les nombreux biais qui impactent négativement cette compétence indispensable à une grande entreprise.
Un process structuré
Dans la grande majorité des entreprises, le mode d'entretien de recrutement le plus communément pratiqué et apprécié est le plus simple : pas de structuration spécifique, mais un questionnement libre pour tenter de cerner la personnalité et le parcours du candidat.
Ce que montrent les études, c'est qu'il s'agit de la plus mauvaise méthode envisageable. Dans une méta-analyse cherchant à évaluer la pertinence comparée de dix-neuf techniques de recrutement différentes en intégrant les résultats de quatre-vingt-cinq années de recherche et publications sur le sujet, les chercheurs Frank Schmidt et John Hunter ont montré une très faible capacité des entretiens non structurés à prédire la performance future du candidat recruté.
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C'est à peine moins mauvais que la graphologie ou le nombre d'années de travail. L'économiste comportementale et professeure à la Harvard Business School Iris Bohnet écrit : "Alors que les entretiens non structurés reçoivent de manière permanente le plus haut niveau de score sur l'efficacité perçue de la part des managers, des dizaines d'études ont démontré qu'ils étaient parmi les pires prédicteurs de la performance au travail, beaucoup moins fiables que les tests de capacité mentale générale, les tests d'aptitude ou les tests de personnalité."
Là encore, les biais sont à l'oeuvre. Si la majorité des personnes en charge de mener des entretiens utilisent cette méthode dont la faible efficacité est démontrée, c'est qu'ils sont eux-mêmes sous l'influence négative de différents biais :
- le biais de surconfiance - en l'occurrence dans leur expertise et leur capacité de jugement (rappelez-vous que plus on est expert et plus on est victime de ce biais) - qui les conduit à apprécier ce qu'ils font et à rejeter d'autres méthodes qui réduiraient leur autonomie;
- le biais des coûts cachés : l'échec éventuel qui en résulte lors d'un mauvais recrutement peut soit être expliqué - là encore rappelez-vous que notre système 1 est une machine à trouver des causalités qui renforcent notre confiance en nous -, soit non perçu : comme nous ne savons pas nécessairement que nous avions un meilleur candidat que nous n'avons pas su identifier, nous ne sommes pas conscients de l'erreur effectuée;
- le biais de conformité qui renvoie au fait que les recruteurs ont tendance à privilégier les candidats qui leur ressemblent, notamment en termes de loisirs communs, de façon de se présenter et d'expériences;
- le biais de confirmation - dans le cours de l'entretien - est également à l'oeuvre : les recruteurs ont tendance à se faire une opinion dans les premières minutes de l'entretien puis cherchent, selon que l'opinion faite est positive ou négative, les éléments qui vont confirmer cette opinion initiale dans la suite de la discussion.
Pour aller plus loin
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