Politique "cadeaux" & procédure RH : quels bons réflexes adopter ?
La Cour d'appel d'Angers a illustré, le 29 mai 2020, la nécessité pour les employeurs de coupler la politique sur les cadeaux et invitations à des procédures RH visant à en assurer le contrôle. L'occasion de faire le point sur les bonnes pratiques à adopter dans toutes les entreprises.
Trois années après son entrée en vigueur, la loi Sapin II peine à durablement modifier les pratiques des entreprises.
Le 21 septembre 2020, l'Agence française anticorruption (AFA) a publié son "Diagnostic national sur les dispositifs de corruption" : si au cours des 5 dernières années, 22% des entreprises françaises ont été confrontées à des cas de corruption, seules 51% d'entre elles ont engagé une procédure disciplinaire pour sanctionner ces faits.
Les sanctions sont pourtant sévères, les juridictions conférant donc aux règles éthiques un caractère très contraignant.
La Cour d'appel d'Angers a ainsi jugé que le licenciement pour faute grave d'une salariée qui demandait à recevoir, à plusieurs reprises, à son domicile personnel, des cadeaux de la part d'un fournisseur était justifié, car il s'agissait d'une violation du Code de conduite du groupe. La faute grave était caractérisée sans qu'il ne soit nécessaire de démontrer que la réception de ce cadeau procédait d'une infraction pénale.
Cet arrêt s'inscrit dans l'esprit des obligations de Sapin II et le souhait de l'AFA de généraliser la lutte contre la corruption à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.
Pourquoi mettre en place une politique "cadeaux" ?
Si les cadeaux et invitations participent de la vie normale des affaires, la frontière entre le cadeau " promotion commerciale " et celui d'"avantage offert pour obtenir une contrepartie" (souvent caractéristique de corruption) est mince. Les politiques cadeaux sont là pour déterminer la ligne à ne pas franchir.
En pratique, seules les grandes entreprises ont l'obligation de mettre en place des outils préventifs de corruption (+ de 500 salariés / 100 millions de CA consolidés). En revanche, toutes sont exposées à la corruption, peuvent être évaluées par un partenaire commercial, ou encore être "redressées" si les cadeaux reçus, correspondant à des avantages en nature, ne sont pas inclus dans l'assiette des cotisations et contributions de sécurité sociale.
Or, selon l'AFA, les PME/ETI ont initié 3 fois moins de sanctions disciplinaires que les grandes entreprises, mettant ainsi l'accent sur le retard pris à déployer de véritables programmes de prévention. L'incitation de l'AFA est claire : toutes les entreprises sont invitées à disposer de tels programmes et à sanctionner les violations qu'elles identifieraient.
L'heure n'est plus à la conformité poussiéreuse. Une prévention efficace peut être un bras armé de la compétitivité et de la maîtrise des risques des entreprises.
Comment mettre en place une politique "cadeaux / invitations" ?
La politique choisie doit correspondre à la culture de l'entreprise, ses risques et ses usages (ex. il n'est pas réaliste de demander à des équipes de renoncer à toute invitation à des événements...). Deux piliers semblent indispensables pour trouver un équilibre :
Construire et actualiser une cartographie des risques
L'identification des fonctions exercées au sein de l'organisation (achats, R&D, ventes, IT..) et de la typologie des risques (corruption, entente...) sont clés. Cette analyse permet de prendre conscience des pratiques existantes (des équipes entières sont-elles plus à risques que certains salariés isolés ? Quelle traçabilité ?) et d'impliquer les équipes dans la mise en place de nouvelles règles ;
Définir concrètement les autorisations et interdictions, en demeurant flexible
Beaucoup d'entreprises, par souci de simplicité, fixent des montants plafonds au-delà desquels les cadeaux doivent être refusés. Certes, ce type de règle a le mérite d'être facilement compréhensible. Toutefois, cette pratique est difficilement applicable uniformément à tous les niveaux hiérarchiques, à toutes les fonctions ou dans tous les pays. En revanche, optimiser la traçabilité des cadeaux et invitations, l'obligation de les déclarer (par exemple, à l'aide d'un registre) ou encore de solliciter un accord hiérarchique sont des pistes intéressantes. L'objectif est de mettre en place les outils qui permettent de créer une attention collective sur ces pratiques, responsabiliser les acteurs et s'interroger sur toute potentielle contrepartie qui serait sollicitée ou attendue.
Quels réflexes RH adopter ?
Premier réflexe (et écueil classique), articuler la politique " cadeaux " avec toutes les procédures mises en place au sein de l'entreprise, notamment le code de conduite dont elle fait souvent partie intégrante. Idéalement, il faut disposer d'un socle unique de règles exhaustives, régulièrement mises à jour, et éviter la dispersion souvent constatée (accumulation de notes de services, usages variés et propres à chaque BU, filiale, etc.).
Second réflexe, informer et informer encore les salariés concernés par cette politique (et surtout, automatisme précontentieux, conserver la trace de cette information) : référence dans le contrat de travail, dans le guide d'accueil, régulières mises à jour par emails, remise en main propre contresignée pour les collaborateurs les plus exposés, formations, etc. La communication interne est la clé : les sanctions disciplinaires ne peuvent être appliquées que si les règles qui les prévoient ont été portées à la connaissance des salariés(1).
Troisième réflexe, contrôler le respect de la politique "cadeaux". Attendre une violation manifeste des règles pour prononcer une sanction lourde n'a qu'un intérêt ponctuel. Un suivi régulier des pratiques, qui suscitera des questionnements et pourra entrainer des rappels (voire des avertissements), sera une mesure plus efficace pour diffuser les règles en vigueur.
Paradoxe ou efficacité du système, et point de vigilance nécessaire, les entreprises qui mettent en oeuvre des procédures " cadeaux " mais qui ne s'assurent pas de leur respect s'exposent à ce que les salariés victimes ou exposés à ces pratiques prennent acte de la rupture de leur contrat aux torts exclusifs de la société(2). Cadeau ?
Pour en savoir plus
Marion Seranne est avocate au Barreau de Paris. Avocate Of Counsel du cabinet EBL Lexington Avocats, elle exerce au sein de l'équipe contentieux & conformité au côté d'Olivier D'Abo.
Paul-Adrien Cortet est avocat au Barreau de Paris. Collaborateur du cabinet EBL Lexington Avocats, il exerce au sein de l'équipe Relations Sociales au côté de Karine Clolus-Dupont.
(1)(Cass., Soc., 01.07.2020, n°18-24.556)
(2)(Cass., Soc., 27.11.2013, n°12-22.626)
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