Déconfinement : quel impact et quelle organisation dans les entreprises ?
Mardi 28 avril 2020, le Premier ministre a présenté le " plan de déconfinement ", destiné à permettre la reprise de l'activité sans relancer la propagation du virus. Si les entreprises l'attendaient avec impatience, elles redoutaient aussi la réorganisation qui en découlerait...
Les récentes annonces gouvernementales ne laissent pas de place au doute. Un nouveau challenge se profile désormais pour toutes les entreprises : il va falloir préparer la reprise d'activité dans le respect des règles juridiques applicables en la matière. Voici quelques préconisations pour une reprise d'activité réussie.
L'obligation de sécurité, notion clé de la reprise d'activité
Pour toutes les entreprises, reprise d'activité va rimer avec obligation de sécurité.
L'obligation de sécurité, qui figure dans le Code du travail, oblige les employeurs à prendre toutes les " mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs "(1). De nombreux employeurs craignent déjà de voir leur responsabilité (civile voire pénale) engagée si un salarié venait à être contaminé par le Covid-19.
Il convient toutefois de rappeler que l'obligation de sécurité est une obligation de moyens renforcée(2) et non une obligation de résultat. D'ailleurs, et d'après la ministre du Travail(3), si l'employeur met en oeuvre toutes les mesures prévues dans les guides et les fiches métiers publiés sur le site du ministère, l'obligation devrait être considérée comme respectée et la responsabilité de l'employeur ne devrait pouvoir être retenue.
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Quelles sont les mesures préconisées par le gouvernement ?
La première étape dans la préparation du déconfinement va consister à identifier les risques inhérents à l'épidémie de Covid-19 et à mettre à jour le Duer(4) en les y intégrant. Ces risques varient selon l'activité de l'entreprise et seront évidemment plus importants si celle-ci accueille du public.
Il est à noter que la mise à jour du Document Unique passe nécessairement par la consultation et le dialogue avec les représentants du personnel, présents dans l'entreprise, comme le confirment les récentes décisions de justice rendues en la matière(5). D'ailleurs, le 24 avril dernier, dans la droite ligne de l'arrêt Amazon, le Tribunal Judiciaire de Lille a reproché à la société Carrefour de n'avoir pas associé les représentants du personnel à la mise à jour de son Duer.
La deuxième étape consistera à identifier les salariés qui peuvent être maintenus en télétravail et ceux qui ne le peuvent pas. En effet, le Premier ministre a été très clair dans son allocution : le télétravail reste la règle " durant les trois prochaines semaines, partout où c'est possible ".
Sur ce point, il est recommandé à l'employeur de détailler l'organisation du télétravail, les modalités de suivi de la charge de travail et de rappeler au salarié son droit à la déconnexion. En effet, lors du confinement, le télétravail a souvent été mis en place en urgence, entrainant pour certains salariés, une situation de souffrance au travail(6).
A défaut, et si le télétravail n'est pas possible, les entreprises peuvent mettre en place des horaires décalés par rapport aux heures de pointe, mais aussi des horaires décalés entre les différentes équipes de travail, sous forme de roulement par exemple. Le roulement des équipes est à préconiser notamment pour les salariés travaillant en open-space afin d'éviter la concentration d'un trop grand nombre de collaborateurs en un même lieu.
De même, et en application de ces règles, les réunions de travail comme les regroupements de salariés dans un espace réduit doivent être limités au strict nécessaire.
A défaut de pouvoir faire respecter ces règles, le Premier ministre a indiqué que le port du masque devrait être préconisé. Il est même allé plus loin puisqu'il a précisé que les commerces et, plus généralement, les entreprises accueillant du public, pourraient unilatéralement imposer le port du masque au public souhaitant accéder aux locaux.
Ensuite, les gestes "barrière" et les mesures de distanciation sociales doivent évidemment faire l'objet d'un affichage. L'affichage du rappel de ces gestes et mesures, partout dans l'entreprise, est indispensable.
Concrètement, quelles mesures peut/doit prendre l'employeur ? Et jusqu'où peut-il aller ?
Les mesures gouvernementales sont finalement des mesures peu coûteuses à mettre en oeuvre au sein de l'entreprise.
Mais, depuis plusieurs jours, des articles de presse se sont fait l'écho de préconisations sanitaires d'envergure adoptées par certains grands groupes français. Véolia prévoit ainsi de dépister tous ses collaborateurs, à leur retour sur site, et envisage une rotation des équipes. Engie indique que le port du masque sera obligatoire, que du gel hydroalcoolique sera mis à disposition et qu'une prise de température aura lieu pour "ceux qui le souhaitent", à l'entrée du bâtiment ou sur le lieu de travail. Chez Accor, le nombre de personnes accédant aux ascenseurs sera drastiquement réduit.
En pratique, chaque employeur adaptera les mesures sanitaires en fonction de son activité et des moyens dont il dispose.
Des mesures internes devront être adoptées pour prévenir les risques de contamination et assurer la santé des salariés. Cela pourra prendre différentes formes avec une même finalité : permettre l'information effective de l'ensemble des salariés par la mise en oeuvre de notes internes de recommandations, par la mise en place de commission d'accompagnement des salariés, ou par l'instauration d'une collaboration étroite avec la médecine du travail...
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A titre d'exemples concrets, certaines entreprises demandent aux salariés de protéger les claviers et souris avec du film étirable, lorsqu'un même ordinateur ou outil de travail est utilisé par plusieurs personnes. Il peut être envisagé de maintenir les portes des locaux en position ouverte pour éviter d'avoir à les manipuler, par exemple.
Il faudra également prévoir un nettoyage régulier des espaces de travail et l'organisation spécifique des pauses déjeuner dont les modalités devront être redéfinies. Il n'est plus envisageable de se réunir massivement à la cantine ou en salle de pause, par exemple.
Évidemment, pour les entreprises qui le peuvent, il est recommandé de mettre à disposition des masques ou d'inciter les salariés à s'en procurer. Il peut également être opportun, pour certaines activités, de s'équiper de blouses ou de vêtements de protection et de prévoir un système de nettoyage des tenues de travail, le cas échéant.
Il est certain que les entreprises devront faire preuve d'" inventivité " dans le respect des dispositions légales. Car l'enjeu est de taille, il s'agit de s'assurer la confiance des collaborateurs afin que ceux-ci puissent être totalement dédiés à l'exécution de leurs missions.
Quant au recours au dépistage ou à la prise de température à l'entrée des entreprises, il suscite toujours des interrogations.
Car si la CNIL s'y est opposée dans une communication du 6 mars 2020, intimant aux employeurs de " s'abstenir de collecter de manière systématique et généralisée, [...] des informations relatives à la recherche d'éventuels symptômes présentés par un employé/agent et ses proches ", le gouvernement, quant à lui, ne semble pas l'interdire. Il rappelle toutefois que ces mesures doivent respecter des impératifs stricts tels que la modification du règlement intérieur, la consultation du CSE, l'information des salariés et ne doivent pas porter une atteinte démesurée aux droits des salariés.
Finalement, l'obligation de sécurité pèse évidemment sur l'employeur mais également sur les salariés(7): une responsabilisation de ces derniers, par exemple en leur demandant de prendre leur température à leur domicile et de ne pas se présenter sur le lieu de travail en cas de symptômes, pourrait être une solution alternative et moins attentatoire à leurs droits fondamentaux.
Dans tous les cas, il est indispensable de favoriser le dialogue social, que ce soit avec les représentants des salariés ou avec les salariés eux-mêmes, pour organiser la reprise dans les conditions les plus sereines possibles.
Pour en savoir plus
Marylaure Meolans, associée du cabinet Victoire Avocats, est avocate en droit du travail et de la sécurité sociale au Barreau de Paris depuis 2008. Elle conseille les entreprises dans tous les aspects du droit social, tant sur le plan individuel que collectif, et les assiste devant les juridictions compétentes.
Marion Locuratolo est avocate et collaboratrice du Cabinet Victoire Avocats.
Elle assiste Marylaure Meolans dans la gestion des dossiers conseil comme contentieux en droit du travail.
(1)Article L. 4121-1 du Code du travail
(2)Soc. 25 nov. 2015, n°14-24.444
(3)Lors de son audition le 22 avril 2020, par les députés de la mission d'information sur la gestion et les impacts du Covid-19
(4)DUER = Document Unique d'Evaluation des Risques
(5)Cour d'appel de Versailles, 24 avril 2020, n° 20-01993 et TJ Lille, ord. Référé, 24 avr. 2020, n°20/00395
(6)D'après une enquête Opininon Way, 44 % des salariés français interrogés se sentent en situation de "détresse psychologique"
(7)Article L. 4122-1 : il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.
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