Transparence salariale : quels enjeux pour les directions financières d'entreprise ?
D'ici au 7 juin 2026, la France devra transposer dans son droit national la directive européenne sur la transparence des rémunérations. Pour un directeur financier, la transparence salariale n'est pas seulement un enjeu de conformité, c'est une exigence structurante qui oblige à repenser les modèles de pilotage RH, les allocations budgétaires, mais aussi le positionnement stratégique de l'entreprise vis-à-vis de ses collaborateurs et du marché. Détails.

La directive européenne introduit plusieurs obligations majeures pour les entreprises. Pour les candidats à l'emploi, les offres devront mentionner une fourchette de salaire, communiquée au plus tard lors du premier entretien. Il sera interdit d'interroger les candidats sur leurs salaires passés. Pour les salariés en poste, ils auront l'accès aux niveaux de rémunération moyens ventilés par genre, un droit de consulter les grilles salariales des emplois comparables, et l'accès à une totale transparence sur les critères d'évolution de carrière et d'augmentation.
Reporting obligatoire : un rythme adapté à la taille des entreprises
Les employeurs devront transmettre des rapports détaillés sur les écarts de rémunération à une autorité nationale référente. Ceux-ci incluront l'ensemble du package de rémunération : salaire fixe, variable, avantages. Ils devront être publiés tous les ans pour les entreprises de plus de 250 salariés, tous les trois ans pour celles comptant entre 100 et 250 salariés. Les entreprises de moins de 100 salariés sont exemptées. En cas d'écart de plus de 5 % non justifié par des critères objectifs (expérience, performance, etc.), un plan d'action correctif devra être mis en place.
La directive renverse donc l'équilibre juridique, car en cas de litige pour inégalité salariale, c'est désormais à l'employeur de prouver qu'il respecte la loi. En cas de manquement avéré, le ou la salarié(e) pourra obtenir une réparation intégrale : arriérés de salaire, bonus, primes et avantages en nature liés.
Quels enjeux pour les DAF ?
Dans ce contexte réglementaire, les DAF doivent anticiper la publication régulière d'analyses des écarts de rémunération (annuelle pour les +250 salariés, tous les 3 ans pour les -250, sauf <100 salariés). L'intégration de la transparence salariale dans les processus de contrôle interne.
Le risque de contentieux accru, notamment en cas de discrimination salariale non justifiée, ce qui implique de structurer des reportings salariaux genrés fiables, audités et traçables.
Autres impacts, l'attractivité et la rétention des talents. En travaillant de concert avec les DRH, le DAF contribue à aligner les rémunérations sur les pratiques du marché (benchmarking), mieux gérer les tensions salariales entre collaborateurs, et réduire le turnover lié à un sentiment d'iniquité ou à des attentes non alignées. Au final, l'effet sur la marque employeur et la performance économique devient mesurable.
Transparence de rémunération, un critère de recrutement
D'après les données recueillies par une étude Indeed et PageGroup, plus de la moitié des annonces d'emploi publiées en France intègrent désormais une fourchette de rémunération - une nette progression comparée aux 20 % d'annonces concernées il y a encore quelques années. Cette tendance s'est considérablement accélérée sous l'effet des attentes croissantes des candidats. « 80 % des utilisateurs d'Indeed renoncent à postuler lorsqu'une offre ne précise pas le salaire », souligne Éric Gras, expert du marché de l'emploi chez Indeed. Cette transparence favorise des processus de recrutement à la fois plus fluides et plus performants. Une approche que les PME semblent avoir adoptée plus rapidement, en particulier dans un contexte de tension sur le marché du travail. « Contrairement aux grandes entreprises, elles jouent davantage la carte de la clarté dès les premiers échanges », observe l'expert.
En effet, 89 % des recruteurs estiment que l'annonce dès le départ du salaire est un facteur de succès. 68 % le précisent dans leurs offres d'emploi. Mais 40 % préfèrent le garder pour l'entretien, afin de négocier ou pour raisons stratégiques.
Des secteurs encore très opaques
En France, les écarts de rémunération hommes-femmes demeurent significatifs, en particulier chez les cadres et avec l'âge. Le manque de transparence est particulièrement prononcé dans les secteurs les mieux rémunérés (juridique, IT, gestion de projet), tandis qu'il est plus courant dans les métiers du nettoyage (84 % des offres avec salaires indiqués), de l'éducation (68 %) ou de la restauration (66 %).
Cette disparité alimente une perception d'injustice : 44 % des actifs estiment être payés différemment de leurs collègues pour des postes similaires. Parmi eux, 32 % se considèrent sous-payés. Les jeunes (-35 ans) sont les plus sensibles à ces écarts (59 % envisagent une démission), notamment ceux gagnant moins de 2 000 €/mois (65 %).
Augmentations salariales : des attentes non comblées
Lors d'un changement d'emploi, ils espèrent une augmentation moyenne de 16,9 %, un chiffre qui grimpe à 18,1 % pour les femmes et 19,1 % pour les bas salaires.
La directive trouve un écho favorable chez les salariés comme chez les recruteurs, pour 69 % des salariés et 71 % des recruteurs qui soutiennent la publication des salaires médians. Néanmoins, 31 % des chercheurs d'emploi et 29 % des recruteurs craignent les tensions internes. Les jeunes recruteurs (80 % des -35 ans) se montrent les plus enthousiastes.
Un sujet qui s'ouvre en entreprise
Le sujet du salaire n'est plus tabou, notamment dans la sphère privée où il est librement abordé avec les proches. Au sein des entreprises, les échanges sur les rémunérations existent également, bien que légèrement plus retenus. Le dialogue s'installe principalement entre collaborateurs de même niveau ou avec le manager (respectivement 70 % et 79 %), mais demeure moins fréquent entre recruteurs et leurs subordonnés (64 %).
Cette dynamique contribue à une meilleure connaissance des grilles de salaires en interne : 83 % des candidats déclarent savoir où ils se situent par rapport à leurs pairs occupant des postes équivalents. En somme, même en l'absence d'une politique de transparence salariale formalisée, les échanges informels entre collègues permettent une certaine circulation de l'information. Haut du formulaireBas du formulaire
Un sujet plus libre pour la Gen Z
Les jeunes générations se montrent nettement plus enclines à évoquer leur rémunération au sein de l'entreprise. Ainsi, 76 % des recruteurs de moins de 35 ans discutent de leur salaire avec leurs collègues proches, contre seulement 69 % chez leurs homologues de plus de 50 ans. Du côté des chercheurs d'emploi, 80 % des moins de 35 ans abordent librement la question avec leurs collègues les plus proches, contre 69 % des plus âgés.
Cette transparence croissante divise toutefois les avis : 56 % des recruteurs estiment que les jeunes parlent peut-être avec trop de liberté de leur salaire, une opinion partagée par la moitié des chercheurs d'emploi. Il apparaît néanmoins que ce phénomène dépasse la simple fracture générationnelle : pour 74 % des recruteurs et 64 % des chercheurs d'emploi, il est plus aisé de discuter de rémunération en début de carrière, suggérant que l'expérience professionnelle joue un rôle déterminant dans la facilité à aborder ce sujet.
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