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Sophie Piot (Julhiet Sterwen) : « La directive sur la transparence salariale est un vrai sujet d'attractivité pour l'entreprise »

La directive sur la transparence salariale, adoptée par l'Union européenne, impose à partir de juin 2026 de nouvelles obligations aux entreprises en matière d'égalité salariale qui vise à combler les écarts salariaux et garantir une transparence accrue dans la rémunération des employés. Comment peut-elle devenir un levier de performance économique et sociale pour l'entreprise ? Eclairages dans cet entretien avec Sophie Piot, experte en stratégie RH et transformation organisationnelle au sein du Cabinet Julhiet Sterwen.

Publié par Christina Diego le - mis à jour à
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Sophie Piot (Julhiet Sterwen) : « La directive sur la transparence salariale est un vrai sujet d'attractivité pour l'entreprise »
© Jules Despretz

Quelles seront les obligations des entreprises à partir de 2026 ?

Sophie PIot : Les obligations sont de plusieurs niveaux. Le premier concerne le recrutement, et l'obligation de transparence sur la fourchette salariale du poste. Il sera par exemple interdit de demander des informations sur le salaire antérieur. La rémunération sera basée sur les compétences et le poste à pourvoir, et non sur une ancienneté ou un parcours professionnel.

Deuxième changement, l'obligation pour les entreprises de plus de 250 salariés de publier un index des salaires avec une fourchette haute et basse, et de s'assurer qu'il n'y ait pas d'écart, notamment sur les rémunérations entre les hommes et les femmes, et de pouvoir justifier ces écarts quand ils sont de l'ordre de plus de 5 %.

Dernier changement, les collaborateurs auront le droit de faire un recours individuellement s'ils jugent que leur salaire ne reflète pas l'index. Ils pourront demander une justification avec des critères objectifs. Quand il y a des recours pour des écarts de plus de 5 %, les partenaires sociaux seront intégrés dans la boucle.

Comment cela va-t-il se mettre en place ?

S. P. : En France, il y aura un décret d'application pour définir les modalités à partir de juin 2026, les entreprises auront six mois pour la mise en oeuvre.

La complexité réside dans le fait, pour certaines entreprises, de regarder quels sont les métiers qui posent problème, notamment ceux qui sont considérés comme « fourre-tout », et que l'index publié soit cohérent.

Autre point d'attention, l'accompagnement de ce déploiement en interne. A partir du moment où les collaborateurs auront la visibilité sur les fourchettes de salaire, il y aura des questions, des tensions voire des frustrations. Les managers devront répondre à ces frustrations, et ils n'auront pas forcément l'habitude, car parler des salaires reste un sujet tabou dans certaines entreprises. Il y a un vrai travail de sensibilisation des managers, des RH, et des partenaires sociaux sur ce sujet, qui est peut vite devenir explosif. A mon avis, il ne faut pas minimiser l'impact sur la mobilisation et le ciment du collectif.

Comment cette directive peut-elle transformer la culture d'entreprise et garantir une meilleure performance économique ?

S. P. : En termes de productivité, au moment du recrutement, un futur collaborateur connaît la fourchette de salaire à laquelle il peut prétendre, ce qui fait gagner beaucoup de temps aux RH en évitant de multiples rendez-vous. Autre effet, il y a de la concurrence sur le marché du recrutement, c'est un vrai sujet pour l'attractivité de l'entreprise. Si le « package » au niveau salarial est plus clair, cela pourra poser plus de problème aux entreprises dans lesquelles le pacte social est fort avec des avantages sociaux assez importants, mais un salaire beaucoup moins intéressant.

Autre impact sur la productivité des collaborateurs. S'ils se jugent bien traités par l'entreprise et qu'ils ont une vision juste et équitable entre l'ensemble des collaborateurs, ils seront plus performants. Le contrat social sera donc beaucoup plus clair, tout en développant la mobilisation et l'appartenance à l'entreprise.

Quels sont les coûts induits pour mettre en oeuvre ces mesures ?

S. P. : Tout dépend de l'existant dans l'entreprise. Il y aura des coûts si effectivement il y a des écarts, si on doit revoir toute une nomenclature et réaligner certains salaires de collaborateurs qui seraient un peu à l'écart par rapport à une grille.

Débuter ce travail trop tard peut comporter de mauvaises surprises pour les financiers. Il peut y avoir des coûts cachés comme le fait d'aligner les salaires, revoir la nomenclature, les critères de rémunération. Et puis des impacts induits, ce qu'on doit communiquer et mobiliser pour appliquer la loi.

Comment cette contrainte règlementaire peut-elle être une opportunité de croissance, de confiance et de compétitivité sur le marché européen ?

S. P : Cela peut engendrer une meilleure performance effectivement, car on est dans le « S »-social- de la RSE, à savoir comment on traite les collaborateurs de façon plus juste, plus équitable, plus équilibrée et harmonisée. Et puis, on est aussi dans les différences de genre. D'ailleurs, c'était l'ambition des législateurs européens que l'ensemble du territoire européen soit dans une dynamique de progrès par rapport à l'égalité et l'inclusion.

Je pense que cette loi ne va pas fondamentalement changer les choses d'un point de vue de la compétitivité sur les marchés, mais plutôt donner des grilles de lecture qui vont être plus claires. J'ai déjà travaillé avec des entités en Europe qui n'avaient pas les mêmes pratiques salariales que nous, ils étaient dans un rapport beaucoup plus décomplexé vis-à-vis du salaire. Ils « achètent » une compétence à la valeur du marché et ils vont la « chouchouter » sinon ils vont la perdre. C'est un vrai progrès de ce point de vue, pour sortir de l'entre-soi qui existe en France où les rémunérations correspondent plus à un ressenti qu'à la valeur délivrée.

Pour les nouvelles générations qui arrivent dans des entreprises qui ont adopté ces nouvelles lois, cela va encore challenger un peu plus fort les managers et les RH à de vrais changements dans la gestion de l'entreprise.

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