Secret des affaires : conseils pour les Daf en attendant une Loi
Le secret des affaires -son absence en droit français- est dans l'air du temps depuis 10 ans. Dernière tentative en date avec un amendement, rejeté, à la loi Macron. Le salut pourrait venir de l'Europe mais des vents contraires se lèvent. Le point avec Maitre Barzun, fervent défenseur de ce secret.
Maître Barzun, vous avez été auditionné par l'Assemblée nationale dans le cadre de la discussion autour de la proposition de directive européenne portant sur le secret des affaires ; quel regard portez-vous sur ce texte ?
Un regard très positif. Cette proposition de directive intitulée "sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites" tient compte des risques que recèlent pour les agents économiques l'intensité de la concurrence et l'ouverture internationale. Ainsi, en France les droits de l'entreprise vis-à-vis de ses oeuvres (brevets, modèles...) relèvent de la propriété intellectuelle. Or celle-ci a un champ d'application restreint et comporte des droits essentiellement limités à l'exploitation. Elle ne couvre donc pas les informations dites de valeurs telles que les projets de cession ou d'acquisition d'activité, les études marketing, les listings clients, les structures de coûts, les taux de marge ou bien encore des informations de valeur négative, par exemple l'impasse sur laquelle débouche une voie de R&D. Or la connaissance d'une telle impasse par les concurrents de l'agent économique qui l'a testé, constitue un vrai avantage.
Bon à savoir
Selon l'État français, 1000 actes d'ingérence à l'encontre des agents économiques sont perpétrés par an.
Selon une étude de la Commission européenne, fondée sur des éléments déclaratifs (ce qui laisse supposer que le chiffre est supérieur), 20% des agents économiques ont déjà eu à subir ce type d'ingérences.
Pages suivantes: le contenu de la proposition de directive et des conseils aux Daf en attendant...
Que prévoit le projet de directive ?
Une définition des secrets d'affaires ! C'est un point important, qui manque beaucoup dans notre droit national. Le texte européen reprend la définition contenue dans l'accord sur les propriétés intellectuelles signé, par la France notamment, à Marrakech en 1994 mais jamais appliqué. Cette définition comporte trois critères : l'information doit avoir une valeur, elle doit être tenue secrète vis-à-vis du secteur d'activité concerné et le détenteur du secret doit avoir pris des mesures pour conserver sa valeur. Ce qui effraie (cf. la pétition lancée par la journaliste Elise Lucet ) c'est que le texte ne se prononce pas sur les domaines d'application de cette définition, ce qui implique que tout est susceptible de relever du secret des affaires.
Cette méfiance vis-à-vis du projet de directive peut aussi s'expliquer parce que le comportement du détenteur du secret, semble suffire à créer ledit secret. Cette méfiance vous semble-t-elle justifiée ?
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Oui si l'on s'en tient à une lecture stricte du texte mais si l'on connait la vie des entreprises, il est évident que les dirigeants d'entreprises ne peuvent pas se permettre de tomber dans une paranoïa telle que toute démarche, tout fichier, tout projet donne lieu à des mesures protectrices. Une telle démarche systématique signifie des coûts exorbitants et un risque de paralysie de l'activité de l'agent économique.
Au regard du droit existant, quels conseils pouvez-vous donner aux Daf pour les aider à garantir la confidentialité des affaires de leur entreprise ?
Je le répète : en droit français, il n'y a pas de définition légale du secret des affaires ni une réglementation d'ensemble. Ce qui conduit souvent les tribunaux à refuser de reconnaitre le secret allégué. De plus la jurisprudence estime que si aucune mesure n'a été prise par l'agent économique, alors la captation illicite d'affaires est en partie de la faute de ce dernier d'où une moindre réparation. Tel fut le cas pour Valeo ou Sarenza confrontées à des captations illicites du fait de stagiaires ou de consultants. Dès lors, le Daf doit déployer un process qui lui est familier : d'abord identifier les données, distinguer les confidentielles de celles qui ne le sont pas et pour celles qui sont confidentielles les classer selon leur importance. Puis cartographier les comportements et zones à risque : déplacements, accueil de personnel temporaire, départ d'un salarié, visite d'un prestataire, traitement des archives... Troisième temps celui du diagnostic de vulnérabilité. Quatrième temps : la prise de mesures de sûreté physique et informatique puis de mesures organisationnelles afin d'instaurer une culture de la vigilance. Ultime étape : les mesures juridiques : insertion de clause de non concurrence, de non débauchage, clause de juridiction...dans les contrats.
C'est une démarche assez lourde que vous proposez. Est-il possible de définir les entreprises qui doivent se saisir du problème en toute immédiateté ?
La première réponse qui vient à l'esprit ce sont bien évidemment les entreprises innovantes mais selon moi, cela concerne tous les agents économiques qui détiennent des savoir-faire, donc tout le monde !
Avocat au Barreau de Paris, Maitre Jérome Barzun a exercé dans des cabinets américains (Latham & Watkins et Paul Hastings) et français (Ayache Salama) en qualité d'associé.
Spécialisé en contentieux internes et internationaux en matière de droit des affaires, notamment dans le cadre de mise en jeu de responsabilité contractuelle ou délictuelle, les contentieux post-acquisition, les litiges entre associés.
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