[Actifs incorporels] Vers la fin de l'amortissement des écarts d'acquisition pour les entreprises françaises
Les règlements de l'Autorité des normes comptables parus en novembre 2015 sonnent-ils le glas de l'amortissement des écarts d'acquisition? Si l'amortissement est encore possible, il doit s'appuyer sur une durée de vie limitée fiable. Découvrez l'analyse des experts du réseau Crowe Horwath.
Dans le cadre de la transposition de la directive européenne comptable du 26 juin 2013 (2013/34/UE), l'Autorité des normes comptables (ANC), par les règlements 2015-06 et 2015 07 du 23 novembre 2015, a modifié les dispositions applicables en matière d'évaluation et de suivi des actifs incorporels tant dans les comptes individuels que dans les comptes consolidés, ces derniers constituant l'essentiel des propos ci-après.
Les principales modifications portent sur les modalités d'amortissement et de dépréciation des actifs incorporels, et en particulier pour les fonds commerciaux (voir l'encadré en ), et les écarts d'acquisition. Ces nouvelles règles mettent désormais en lumière toute l'importance que revêt, dans le cadre d'opérations de regroupement d'entreprises et de fusion, l'affectation de l'écart d'acquisition dans les comptes consolidés, mais aussi celle du mali technique (voir l'encadré ci-dessous) dans les comptes individuels.
Les principes issus du règlement 2015-07 de l'ANC (comptes consolidés)
Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, les écarts d'acquisition ne seront plus systématiquement amortis en normes de consolidation françaises. Dans certaines circonstances, et contrairement aux normes IFRS, les entreprises pourront néanmoins continuer à amortir leurs écarts d'acquisition. Celles qui opteront pour l'amortissement devront documenter les durées de vie retenues au cas par cas. Ainsi, au sein d'un même groupe, certains écarts d'acquisition pourraient être amortis et d'autres non.
En pratique - Dans la mesure où l'ANC n'autorise plus la reconnaissance des parts de marché, qui ne sont pas un actif identifiable, celles-ci seront reclassées, à leur valeur nette comptable, en écart d'acquisition. Dans leur exercice d'allocation du prix d'acquisition, les sociétés devraient davantage reconnaître des relations contractuelles clients qui sont par définition des actifs incorporels amortissables sur des durées généralement plus courtes que les durées historiques d'amortissement des écarts d'acquisition.
Les écarts d'acquisition non amortissables seront soumis obligatoirement à des tests de dépréciation annuels. Les dépréciations ne pourront plus être reprises.
Affectation du mali technique dans les comptes individuels
Dans le cadre d'opérations de fusion et assimilées, lorsque l'entité absorbante a acquis des titres de l'entité absorbée antérieurement à la date de l'opération de fusion, un boni ou un mali peut apparaître lors de l'annulation de ces titres auxquels se substituent les actifs et les passifs de l'entité absorbée.
Le mali de fusion représente l'écart négatif entre l'actif net, positif ou négatif, reçu par l'entité absorbante à hauteur de sa participation dans l'entité absorbée et la valeur comptable de cette participation. Le mali de fusion proprement dit correspond aux plus-values latentes. Cette composante est généralement constatée pour les fusions ou les opérations de transmission universelle de patrimoine évaluées à la valeur comptable.
Jusqu'en 2015, le mali technique était comptabilisé sur une seule ligne en fonds commercial et n'était pas amorti. Désormais, il sera affecté, sur la base de leur valeur réelle si celle-ci peut être déterminée de manière fiable, aux actifs apportés (immobilisations corporelles, incorporelles, financières, etc.), et le reliquat au fonds commercial.
Les plus-values latentes retenues pour l'affectation du mali sont considérées, le cas échéant, nettes d'impôt si la cession des actifs est envisagée à brève échéance.
Le mali technique est amorti ou rapporté au résultat selon les mêmes règles et dans les mêmes conditions que les actifs sous-jacents auquel il est affecté.
Cette affectation du mali technique par catégorie d'actif conduira les entreprises à procéder à un travail d'évaluation détaillé actif par actif.
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Amortir... ou pas?
Quelle option sera retenue in fine par les entreprises françaises: cesser d'amortir leurs écarts d'acquisition et se livrer aux tests de dépréciation systématiques ou continuer à les amortir et ainsi échapper à ces tests fastidieux? L'échappatoire est théorique: les entreprises qui opteront pour l'amortissement devront également s'y soumettre en cas d'existence d'indice de perte de valeur.
Si certaines entreprises souhaitent continuer d'amortir leurs écarts d'acquisition, s'ouvre la question de la documentation relative à la durée de vie limitée retenue à intégrer aux annexes de leurs états financiers. Une analyse circonstanciée devra être conduite, sur la base des éléments constitutifs de l'écart d'acquisition. L'ANC précise que l'entreprise consolidante peut se fonder sur les critères définis pour les actifs incorporels, mais également sur des critères complémentaires comme l'effet des synergies attendues et le contexte juridique spécifique. Lorsque sa durée d'utilisation ne peut pas être déterminée de façon fiable, l'actif sera amorti sur une période de dix ans.
Une durée de vie limitée... de façon fiable
Déterminer une durée de vie limitée de façon fiable ne sera pas tâche aisée. Le normalisateur prend comme exemple qu'une durée limitée peut être expliquée par des critères de protection juridique, notamment la durée d'un contrat de concession. Mais, au cas d'espèce, l'actif incorporel est précisément le contrat à reconnaître, et non un écart d'acquisition. Si en évaluant le contrat, élément de protection juridique, par l'actualisation des surprofits sur sa durée légale, il reste un écart non affecté par rapport au prix payé, ne s'agit-il pas précisément d'un élément de survaleur qui correspond à la capacité qu'aura l'entreprise à renouveler ce contrat et donc en assurer sa pérennité, et par conséquent précisément d'un élément d'actif non amortissable?
Dans les cas où les écarts d'acquisition sont composés principalement de fonds commerciaux non amortis dans les comptes individuels, il s'imposera, à notre avis, aux entreprises d'opter pour le non-amortissement pour une question de cohérence. Le même raisonnement devra s'appliquer face à des parts de marché, désormais reclassées en écart d'acquisition.
En pratique - En tout état de cause, dès la comptabilisation de l'acquisition, l'entreprise consolidante devra retenir les bonnes options qui seront structurantes pour l'avenir: ne plus amortir les écarts d'acquisition conduira les entreprises à mettre en place des tests de dépréciation systématiques. Or, l'application des IFRS 3 et IAS 36 avait soulevé de nombreuses critiques quant à la difficulté de ces tests de dépréciation et à la "frilosité" des entreprises à constater une dépréciation, définitive, de leur goodwill. Ces questions se poseront désormais pour les plus petites structures.
Les fonds commerciaux, désormais présumés non amortissables
Dans le cadre de la transposition de la directive européenne comptable, l'ANC prévoit qu'un actif immobilisé dont la durée d'utilisation est limitée fait l'objet d'un amortissement et que lorsqu'il n'y a pas de limite prévisible, la durée d'utilisation de cet actif est non limitée et l'actif concerné n'est pas amorti. L'ANC précise par ailleurs que le fonds commercial, en ce compris la partie du mali technique lui étant affecté, est présumé avoir une durée de vie non limitée.
Le caractère limité de la durée d'utilisation d'un actif s'apprécie au regard de critères généralement physiques, techniques, juridiques et économiques. Pour les petites entreprises et lorsque la durée de vie ne peut être déterminée de façon fiable, le fonds commercial sera amorti sur dix ans. Les actifs incorporels non amortissables seront soumis à un test de dépréciation annuel. Les dépréciations constatées seront désormais irréversibles.
L'ANC et la directive - La position de l'ANC, convergente avec les normes internationales, est-elle contradictoire avec la disposition de la directive européenne? Selon celle-ci, les immobilisations incorporelles sont amorties sur leur durée d'utilisation. Dans des cas exceptionnels, lorsque la durée d'utilisation des fonds de commerce ne peut être estimée de manière fiable, ces actifs sont amortis sur une période maximale fixée par l'État membre. Cette période maximale ne peut être inférieure à cinq ans et ne peut dépasser dix ans. L'interprétation de la directive européenne peut en effet surprendre. Même si l'amortissement obligatoire des immobilisations incorporelles reste l'interprétation majoritaire des pays membres (Belgique, Pays-Bas, Angleterre, Allemagne,...), la France n'a pas choisi cette voie-là. Le normalisateur français a établi une présomption, néanmoins réfutable, de durée de vie non limitée du fonds commercial.
Conseil - Une analyse au cas par cas devra être effectuée par les entreprises concernées pour mesurer, en fonction des pratiques existantes, l'incidence de ce changement normatif sur leurs comptes individuels.
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Tests de dépréciation et problématique fiscale
Pour les écarts d'acquisition non amortis, et les fonds commerciaux présumés donc à durée de vie non limitée (voir l'encadré en ), les tests de dépréciation deviennent obligatoires, même en l'absence d'indice de perte de valeur. Ces tests ont pour objet de comparer la valeur comptable et la valeur actuelle de l'actif. La valeur actuelle est la valeur la plus élevée entre la valeur vénale et la valeur d'usage.
L'ANC a apporté un certain nombre de précisions concernant la mise en oeuvre de ces tests, dispositions calquées sur IAS 36, telles que les flux de trésorerie à retenir pour le calcul de la valeur d'usage et estimés à partir des éléments prévisionnels pluriannuels, sur une période n'excédant pas cinq ans et déterminés sur la base de l'actif dans son état actuel. Pour le calcul de la valeur vénale, les références ont été hiérarchisées. Ainsi, si une transaction est en cours, et qu'il existe un accord de vente irrévocable, c'est en principe le prix de l'opération qu'il faut retenir. Cela peut être délicat dans le cadre de transactions en cours non encore finalisées.
En pratique - Les règles fiscales découlant de la jurisprudence admettent la possibilité d'amortir les éléments incorporels individualisables du fonds de commerce lorsqu'il est normalement prévisible que leurs effets bénéfiques sur l'exploitation prendront fin à une date déterminée. Une dépréciation calculée par rapport à la valeur d'usage n'est en principe pas déductible; elle le sera s'il existe une valeur vénale.
N'y aura-t-il pas donc lieu de s'assurer de la déductibilité fiscale des dépréciations afin de les comptabiliser de façon irréversible? Même si l'Administration ne s'est pas encore prononcée sur le sujet, les nouvelles règles comptables ne semblent pas de nature à modifier les règles de la déductibilité fiscale des amortissements et dépréciations. D'autant que le montant des fonds commerciaux est estimé représenter quelque 200 milliards d'euros...
Après l'amortissement systématique, des tests systématiques
La transposition de la directive comptable européenne en France devrait permettre aux entreprises de maintenir, dans une certaine limite, leurs anciennes pratiques. Néanmoins, le nouveau contexte réglementaire devrait conduire un grand nombre de sociétés à ne plus amortir leurs écarts d'acquisition, surtout s'ils correspondent à des fonds commerciaux non amortis dans leurs comptes individuels, afin d'en assurer la cohérence. Les entreprises devraient donc mettre en place des tests de dépréciation systématiques pour leurs actifs incorporels non amortissables. Les dépréciations seront désormais définitives même si les dotations pourraient continuer à ne pas être déductibles fiscalement si elles sont calculées à partir de la valeur d'usage.
Une application stricte des nouveaux textes conduira, à notre avis, les sociétés à harmoniser davantage les positions entre les comptes individuels et les comptes consolidés en matière d'évaluation des actifs incorporels.
Exemple: non-amortissement d'un écart d'acquisition
Une entreprise fait l'acquisition de 100% des titres d'une cible pour un prix de 3 M€. Son actif net est de 1,9 M€ soit un écart d'acquisition préliminaire de 1,2 M€ à allouer.
Les anciens textes lui permettaient de reconnaître des parts de marché non amortissables alors que suite à la nouvelle réglementation, des relations clients amortissables (par hypothèse sur dix ans) sont reconnues. Les réévaluations génèrent des impôts différés passifs. La société décide de ne plus amortir l'écart d'acquisition. Les tableaux ci-après montrent les impacts sur le bilan et le compte de résultats de ces changements.
Les auteurs
Martine Glineur, Partner Cabinet Dauge et Associés, Crowe Horwath, et Simon Paoli, Partner Exenco, Crowe Horwath
Acteur reconnu du commissariat aux comptes, membre indépendant du réseau Crowe Horwath, le cabinet Dauge et associés est également un spécialiste des audits d'acquisition, du risk consulting, de l'établissement et du contrôle des comptes consolidés, de l'évaluation et de la RSE (il est l'un des tout premiers cabinets habilité par le Cofrac). Le cabinet, qui rassemble 30 professionnels dont 9 associés, est membre de l'association technique ATH. En 2014, il s'est rapproché des cabinets Fideliance et Exenco en 2014. Ensemble, ils rassemblent 200 professionnels dont 20 associés.
>> Pour aller plus loin: "Le Daf et la valorisation de l'acquisition d'une start-up innovante ? Suivez l'exemple du capital risque!"
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