L'intégration de la cible, élément clé d'un build-up
Destruction de la culture et des savoir-faire spécifiques de la cible, management arbitraire, méthodes de travail dupliquées sans discernement... autant d'éléments qui peuvent mener à des défaillances et à une perte de valeur de l'entreprise acquise.
« Malheureusement, dans de trop nombreuses stratégies de build-up, un + un = moins de deux. L'acquéreur sort de cette addition avec un peu plus que un et la société reprise avec beaucoup moins que un. C'est très dommageable puisque finalement il y a bien une perte de valeur globale », analyse Michel Rességuier, président de Prospheres dirigeants, spécialisé dans le management d'entreprises confrontées à des transformations importantes. C'est d'autant plus dommageable dans un contexte de Covid où les build-up se multiplient, encouragés par la profusion actuelle de liquidités.
L'expert en transformation d'entreprise pointe « l'attention souvent excessive portée par l'entreprise acquéreuse à sa seule vision au détriment des spécificités propres aux entreprises reprises ». C'est un peu, explique-t-il, comme si l'acquéreur s'idolâtrait lui-même en croyant que : « ce qui a fonctionné pour son entreprise doit forcément réussir pour la cible. Trop d'acquéreurs arrivent dans une posture de champion du monde. » Les conséquences peuvent être désastreuses. Aussi bien pour la cible que pour l'acheteur.
À quoi tient une intégration
Une perte d'expertise technique et des défaillances dans les process sont les conséquences d'une intégration ratée. Pourquoi ? Car une mauvaise intégration peut générer des défaillances dans les process, qu'ils soient techniques ou commerciaux. « Une nouvelle politique commerciale appliquée sans concertation peut mener à la perte de clients. De la même manière pour les process techniques : un process réalisé dans une société A n'est pas forcément adaptable à l'identique dans une entreprise B », poursuit Michel Rességuier.
Et les dégâts peuvent se révéler encore plus importants sur les richesses humaines de l'entreprise. L'expert de Prospheres dirigeants cite ainsi l'exemple de cette papeterie qui en avait racheté une autre et qui avait remonté brutalement l'intégralité des fonctions supports dans la maison mère. Transformant du même coup la cible en simple lieu de production, créatrice de valeur simplement par les économies d'échelle qu'elle permettait. « Il s'est produit une nette dégradation de la performance. Les salariés de l'entreprise achetée se sont sentis humiliés, dépossédés, et inévitablement une perte de motivation, et donc de performance, s'en est suivie. »
Cette baisse de motivation peut même aller jusqu'à la perte pure et simple de compétences avec des départs de salariés. « Dans les entreprises où le patrimoine humain prévaut, dans la tech par exemple ou dans les services, le risque d'évasion des compétences est important », acquiesce Lionel Gouget, ex-directeur financier, désormais directeur associé chez Valtus, leader du management de transition. « Mais ces intégrations ratées sont loin d'être une fatalité, beaucoup sont parfaitement menées et créent une vraie richesse supplémentaire pour les deux parties. »
Les clés d'une intégration réussie
Pas de mode d'emploi, prévient néanmoins le directeur associé de Valtus. Mais des points essentiels à ne pas négliger. En premier lieu : la préparation de cette intégration. « Il faut savoir se donner un peu de temps pour bien analyser les besoins de centralisation, de mutualisation et d'adaptation des pratiques, mais sans trop attendre non plus. Et il faut savoir où s'arrêter dans l'intégration. Il y a une part d'humain extrêmement importante. » L'expert préconise ainsi de ne pas briser d'emblée les rituels propres à la cible (le petit-déjeuner du vendredi par exemple) tout en « ne laissant pas non plus perdurer trop longtemps des non-sens économiques ». Objectif : atteindre le délicat équilibre pour que les deux parties se développent de concert. « Il faut réussir à créer une méta culture d'entreprise commune qui ne se crée pas au détriment de la cible. Une méta fierté d'appartenir au même groupe. »
Cette part d'humain, de plus en plus d'acquéreurs en sont conscients, observe Guillaume Briant, avocat associé au sein du cabinet Stephenson Harwood. « Il y a quelques années, on pouvait acheter une société sans trop se préoccuper du process d'intégration. Désormais, c'est devenu un point majeur. » Dans ce process, la prise en compte de la future implication du vendeur et de son management est essentielle. « Au-delà de la compatibilité humaine, plusieurs techniques peuvent être utilisées. Par exemple, l'intéressement des vendeurs aux performances futures de l'entreprise. Les vendeurs auront ainsi intérêt à faciliter une bonne intégration. Un achat échelonné peut aussi être envisagé. » Pour les salariés, il peut s'agir d'intéressement ou d'actions gratuites.
Michel Rességuier conseille de son côté la mise en place d'un manager externe, nommé précisément et temporairement pour cette mission d'intégration, et qui devra veiller à bien préserver les intérêts de la cible, sans jeu d'ambition puisqu'il sera amené à quitter le groupe. Celui-ci devra coconstruire l'intégration. Dans tous les cas, quel que soit le scénario choisi, pour Clotilde Billat, avocate associée au sein du cabinet Stephenson Harwood, « le sujet de la gouvernance future et de son rôle dans l'intégration doit être évoqué très en amont dans le processus de négociation. »
Le rôle du Daf dans cette difficile équation
Dans cette délicate équation, quelle part peut prendre le directeur financier ? « Il doit endosser son rôle de business partner et ne pas se contenter de son tableur Excel, répond Lionel Gouget. Il a une mission très importante car il porte une partie de l'intégration : les finances, l'IT, etc. Il doit avoir conscience de son rôle d'ambassadeur. » Et de préconiser : « lorsque la phase opérationnelle d'intégration est activée, sur l'ERP, la paie, la comptabilité par exemple, il doit savoir faire preuve d'empathie, ne pas arriver en renversant la table. Néanmoins, il doit aller au bout de sa mission pour que l'acquisition porte pleinement ses fruits. C'est un équilibre fragile, il faut donc choisir ses batailles. » Par exemple, ne pas braquer d'emblée les équipes sur des sujets de notes de frais qui ne feraient économiser que quelques sous.
3 Questions à Justin Bignon, codirigeant de Batibig
Après 14 acquisitions en 18 mois, Batibig pèse 75 M€ de chiffre d'affaires et s'appuie sur 465 collaborateurs.
Comment bien intégrer toutes ces entreprises proches de votre métier historique ?
La holding met en commun les systèmes d'information, les bonnes pratiques en matière de cybersécurité par exemple, les prestataires tels que les avocats ou les experts-comptables, la politique RSE, les réponses mutualisées aux grands appels d'offre, etc. C'est non négociable. En revanche, les marques sont maintenues car nous croyons en leur pertinence. Leurs valeurs et leurs cultures sont importantes.
Concrètement, quelle est votre recette ?
Il est hors de question que Batibig plaque un modèle préétabli. Le chemin vertueux des build-up existe. Nous apprenons les uns des autres et nous n'arrivons pas en cassant toutes les traditions. Si une entreprise a l'habitude de donner les ponts du mois de mai par exemple, elle continuera.
Quelle est votre politique concernant le nouveau management de la cible ?
Il peut s'agir d'un manager extérieur, d'un manager du groupe, ou de binôme/trinôme avec "incubation " de futurs directeurs. à chaque fois, nous menons une importante réflexion sur le sujet afin de trouver le bon équilibre. Et nous associons ces managers au capital.
Sur le même thème
Voir tous les articles Gouvernance & Stratégie