Le projet de refonte de la fiscalité internationale succombera-t-il au Covid-19 ?
Loin de freiner une réforme de la fiscalité internationale qui ne se limiterait pas à l'économie numérique, l'OCDE affirme que la crise du COVID-19 devrait lui donner un nouvel élan. Les dernières déclarations du G7 et du G20 sont beaucoup plus nuancées...
L'OCDE a publié le 31 janvier 2020 une déclaration apportant des précisions sur son projet pour répondre aux défis fiscaux accompagnant l'ère du numérique. À l'heure du confinement dans de nombreux pays, le numérique est plus que jamais au coeur de l'activité. Dans un communiqué du 15 avril, l'OCDE estime que cette place accrue du numérique pourrait " imprimer une nouvelle dynamique à la recherche d'un consensus international " sur ce projet qui irait toutefois bien au-delà de l'économie numérique et laisse planer de nombreuses interrogations.
Or, il sera difficile de résoudre toutes les difficultés créées par ce projet à l'aune des conséquences de la crise sanitaire. De surcroît, le G7 ne semble pas faire de la taxation du numérique un sujet prioritaire : dans son communiqué officiel du 16 mars, la priorité est donnée à la remise en marche de l'économie. Les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 sont moins tranchés. Ils ont mentionné le 15 avril l'importance du défi fiscal mais en n'y faisant qu'une brève allusion dans un contexte plus large de relance de l'économie.
Le Covid-19 aura-t-il raison d'un projet initialement pensé pour imposer plus équitablement une économie numérique qui devrait être moins durement affectée par les effets de la récession ?
Deux piliers pour résoudre les problèmes de taxation du numérique
L'OCDE adosse son plan pour la taxation de l'économie numérique à deux " piliers ".
Le " Pilier 1 "
Porte sur la répartition des droits d'imposition entre juridictions et propose de nouvelles règles de répartition des bénéfices entre les états. Il tend vers une plus juste répartition de la base imposable entre les pays. Il attribue ainsi à la juridiction de marché, où les produits ou services sont consommés, le droit d'imposer trois catégories de bénéfice :
- Une rémunération fixe au titre des fonctions de commercialisation et de distribution de référence exercées dans la juridiction du marché ;
- Le cas échéant, des bénéfices supplémentaires attribués à la juridiction du marché dès lors que les fonctions exercées dans la juridiction vont au-delà des activités de référence précédemment énoncées.
- Une fraction du bénéfice résiduel consolidé présumé du groupe, attribué à la juridiction du marché.
Le " Pilier 2 "
Aussi appelé " GloBE " (Global Anti-Base Erosion), a pour objectif de rendre impossible le transfert de bénéfices vers des pays à très faible fiscalité. Concrètement, il vise à créer un système où une juridiction donnée - la France, par exemple - aurait le droit de taxer un revenu transféré dans une autre juridiction dès lors que cette juridiction n'exerce pas (ou peu) son droit d'imposer le revenu en question.
Un champ d'application du Pilier 1 beaucoup plus vaste
Dans ses précédents rapports, l'OCDE n'avait pas délimité avec précision le champ des entreprises qui seraient potentiellement visées par les nouveaux dispositifs dont on pensait au départ qu'ils se limiteraient à l'économie numérique.
Le nouveau rapport apporte à cet égard un éclairage sur les entreprises concernées, de par leur activité et leur taille. Seraient ainsi directement visées toutes les activités de prestation de services en ligne, comme par exemple les moteurs de recherche, les plateformes de réseaux sociaux, les plateformes d'intermédiation en ligne, les plateformes de diffusion de médias, les jeux vidéo en ligne ou la publicité en ligne.
Le rapport va toutefois bien plus loin puisqu'il propose que soient également concernées " les entreprises en relation étroite avec les consommateurs ", c'est-à-dire toutes les entreprises qui commercialisent des biens ou services consommés par des personnes physiques, par opposition à des biens ou services utilisés par d'autres entreprises dans le cadre de leurs activités. Les secteurs suivants sont cités à titre d'exemple : produits d'informatique personnelle, vêtements, cosmétiques, produits de luxe, agro-alimentaire, automobile ou encore les franchises, par exemple dans le secteur de la restauration et l'hôtellerie.
L'OCDE précise bien à cet égard que les entreprises seraient visées, qu'elles commercialisent le bien ou service au consommateur final elles-mêmes ou par le biais de distributeurs tiers. Ainsi, un producteur de confiseries qui vend ses bonbons à des chaînes de supermarchés mais pas directement à des tiers serait concerné par la réforme de la fiscalité de l'économie numérique.
S'agissant des activités visées, l'OCDE précise que les industries extractives et de négoce de matières premières seraient exclues du champ. L'OCDE envisage également de ne pas inclure les secteurs financier, bancaire et de l'assurance bien que ces derniers puissent offrir biens et services à des consommateurs finaux.
Enfin, L'OCDE tempère sa proposition d'élargissement en proposant un second critère, non pas d'activité mais de seuil de CA. Un groupe qui entrerait dans le champ de par son activité pourrait s'en retrouver exclu si son chiffre d'affaires consolidé est inférieur à un certain montant. Un seuil de 750 millions d'euros, comme pour la déclaration pays-par-pays (ou CbCR), est évoqué.
De nombreuses questions ne sont pas résolues
Un système aussi radicalement nouveau, s'il était mis en place en l'état, ne manquerait pas d'entraîner de nombreuses difficultés, à commencer par des cas de double imposition lorsque les différents pays concernés n'appliqueront pas les mêmes règles d'imposition ou en feront une interprétation différente. Ceci est d'autant plus vrai qu'en janvier l'OCDE affichait une volonté ferme d'avancer rapidement sur ce sujet, or, tous les états n'auront pas la capacité à suivre ce rythme pour la mise en oeuvre de la réforme.
Une autre série de difficulté réside dans la définition même du bénéfice à répartir puisque les normes comptables peuvent différer ou que des analyses segmentées pourraient être nécessaires si une partie seulement de l'activité du groupe devait rentrer dans le champ de ce nouveau calcul de la base imposable. Ces difficultés sont déjà bien connues des entreprises et des praticiens quand il s'agit d'établir le CbCR.
Ces mesures sont-elles pertinentes dans le contexte du Covid-19 ?
A l'heure où tous les états dépensent sans compter pour limiter les conséquences de la crise du Covid-19, une telle réforme pourrait ne pas produire les effets escomptés. Conçue en réponse à la faible imposition des GAFA, cette réforme pourrait en effet induire une perte de base taxable dans les principales économies comme la France car, comme le rappelle la Cour des comptes dans un référé : " La France, traditionnellement ''État de siège'', compte tenu du nombre de sièges sociaux d'entreprises exportatrices présents sur son territoire, ne bénéficierait pas nécessairement d'une nouvelle définition générale, s'appliquant à tous les secteurs, qui déplacerait le pouvoir d'imposer vers les ''États de source'', c'est-à-dire ceux dans lesquels est réalisé le chiffre d'affaires "1.
A ceci s'ajoute, pour les Etats qui bénéficieront de cette réforme, la difficulté pour eux de contrôler sa bonne mise en oeuvre eu égard à sa complexité et aux données qui seront nécessaires à la vérification.
Autre effet indésirable, des économistes ont pointé la difficulté de mise en oeuvre d'un tel système qui mobilisera pour les entreprises de nombreuses ressources.
Dès lors, on peut s'interroger sur les bénéfices d'une telle réforme au regard de son coût global pour certains Etats et les entreprises dans l'environnement économique actuel.
Valentin Lescroart, avocat associé, cabinet Fidal
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