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Sophie Kurinckx-Leclerc : « Un directeur financier doit être au service du business »

CFO de FL Entertainment, Sophie Kurinckx-Leclerc mise sur une organisation décentralisée de la fonction finance pour accompagner de manière agile la forte croissance externe et organique du groupe de divertissement porté par l'entrepreneur Stéphane Courbit.

Publié par Hugues Robert le - mis à jour à
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Sophie Kurinckx-Leclerc : « Un directeur financier doit être au service du business »

Quel est votre parcours professionnel ?

Après une école de commerce, j'ai débuté chez KPMG en audit dans différents secteurs d'activité pendant 5 ans. J'ai ensuite intégré JCDecaux en tant qu'adjointe de la respon­sable de consolidation et des normes. Puis, je suis arrivée chez Banijay, en novembre 2010, comme responsable du contrôle financier.

C'était le commencement du groupe, puisque Banijay a été créé en 2008. Nous avons réalisé les premières acquisitions et la structuration de la fonction finance. Puis en 2012, je suis devenue directrice financière de Banijay. Le groupe a ensuite énormément évolué à travers plusieurs acquisitions et j'ai accompagné cette croissance externe dans chaque pays d'implantation. Deux rapprochements ont été particulièrement structurants : Zodiac, en 2016, qui a doublé la taille du groupe, passant à un milliard de chiffre d'affaires, puis Endemol, en 2020, opération par laquelle nous avons triplé de taille. Dans ce cadre, j'ai continué à développer et organiser le département finance. J'ai participé aux opérations de croissance externe et à la structuration du groupe. En juillet 2022, FL Entertainment, fruit du rapprochement entre Banijay et Betclic, a été introduit en Bourse. Et c'est à cette occasion que j'ai été nommée directrice financière de FL Entertainment.

Pouvez-vous nous présenter le groupe FL Entertainment ?

Fondé par Stéphane Courbit, FL Entertainment est le leader du divertissement en France et en Europe. En 2022, notre chiffre d'affaires était de 4 milliards d'euros avec un EBITDA ajusté de 670 millions.

Banijay - qui produit et distribue des contenus audiovisuels : Big Brother, Survivor, Fort Boyard, mais aussi de la fiction comme les séries Peaky Blinders ou Black Mirror - représente environ 75 à 80 % du CA. Betclic intervient de son côté sur les paris sportifs en ligne, mais aussi sur le casino et le poker en ligne. Nous sommes présents dans 21 pays chez Banijay et 3 pays chez Betclic.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rapprochement entre Banijay et Betclic ? Pourquoi et comment cette opération a-t-elle eu lieu ?

L'idée était de coter le groupe pour avoir accès à d'autres ressources financières et poursuivre le développement de l'entreprise. Nous avons créé une holding. Dans chaque activité, des actionnaires minoritaires étaient présents depuis longtemps : la SBM - Société des bains de mer de Monaco - pour Betclic, Vivendi et la famille Agostini pour Banijay... Nous avons alors remonté ces actionnaires au niveau de FL Entertainment. Ils sont dans notre capital et FL Entertainment détient ainsi en direct la quasi-totalité des deux activités, les minoritaires restants étant des managers très impliqués dans la gestion du groupe. Puis, nous avons été approchés par un SPAC, Pegasus qui était coté à Amsterdam, et nous avons réalisé une opération de-SPACing. Nous en sommes d'ailleurs très fiers, car il s'agit d'une des rares opérations de ce type ayant été ­couronnées de succès.

À l'époque de ce rapprochement, vous étiez directrice financière de Banijay et, à ce titre, vous avez directement participé à l'opération. Quels ont été vos principaux défis ?

La remontée des actionnaires minoritaires a été davantage le fait des équipes du groupe LOV (Ndlr : LOV est la holding détenue par l'entrepreneur Stéphane Courbit qui rassemble, à un échelon supérieur, FL Entertainment, mais aussi d'autres structures dans le domaine de la pâtisserie ou encore de l'hôtellerie de luxe).

En début d'opération, mon rôle a consisté à écrire, verbaliser l'histoire de Banijay pour bien faire comprendre en quoi il s'agissait d'un succès. Un exercice de communication financière. Établir les bons KPI pour refléter l'histoire de la construction et la réussite du groupe. Surtout, j'ai dû ­m'assurer que l'information était exhaustive et exacte de ce point de vue.

Puis, en cours d'opération, mon rôle a changé, puisque je devais devenir directrice financière de FL Entertainment. Mon premier défi alors a été de comprendre l'activité de pari en ligne, une activité que je ne connaissais pas. J'ai également dû m'assurer que nous répondions bien à toutes les obligations d'une société cotée avant l'introduction en Bourse. Puis il a fallu chercher des investisseurs. L'objectif alors était de faire comprendre parfaitement notre histoire à nos interlocuteurs. Cela a constitué un véritable challenge, car il n'y a pas de comparables « purs » de notre groupe. Par exemple, pour Banijay, on peut penser à certains producteurs américains, mais en réalité ce n'est pas du tout le même business model que le nôtre. Il a donc fallu faire cette éducation, expliquer nos spécificités, nos forces, et les vendre à des investisseurs potentiels. Puis s'assurer que la relation et la confiance s'installent. Car c'est cela qui est la clé dans la réussite d'une telle opération.

En juillet 2022, FL Entertainment est introduit en Bourse. Pourquoi cette décision ? Essentiellement pour chercher de nouveaux financements et poursuivre le développement du groupe. Mais aussi pour se faire connaître, ce qui permet, là encore, d'avoir accès à d'autres ressources.

Quel a été votre rôle et plus généralement celui de la fonction finance dans cette opération d'IPO ?

M'assurer que nous répondions bien à toutes les obligations d'une société cotée, faire comprendre notre business model, instaurer une relation de confiance avec toutes les parties prenantes d'un groupe coté, que ce soit l'AFM, qui est le régulateur hollandais, que ce soit les auditeurs, les actionnaires, les analystes, toutes les personnes amenées à travailler avec nous. Cette confiance est véritablement la clé.

Il a aussi fallu mettre en place très rapidement des systèmes d'information permettant de fournir une donnée dans les temps, exhaustive et exacte.

Quelles sont selon vous les clés de réussite d'une introduction en Bourse ?

Tout d'abord, ce qui a été appréciable et aidant, c'est que chez Banijay, nous sommes allés à partir de 2017 sur les marchés financiers de dettes. Nous avons fait des term loan B et des bonds, et cela nous a éduqués sur la communication financière. Bien entendu, ceux qui ont de la dette n'ont pas les mêmes attentes que ceux qui ont de l'equity. Mais cela permet tout de même de construire le discours. Je trouve que si l'opportunité se présente, c'est une bonne première étape avant de rentrer en IPO.

Ensuite, sur l'introduction en Bourse, il est très important d'avoir une equity story limpide. Donc bien expliquer la trajectoire du groupe et ses objectifs, qui doivent être clairs et atteignables. Surtout, montrer dès la première année que l'on est capable de délivrer. C'est ainsi que s'installe la confiance, la bonne relation avec les investisseurs. Il ne faut pas survendre. Délivrer ce qui a été promis rend les choses tellement plus faciles lorsque vous avez une autre opération à réaliser, de refinancement ou de repricing.

Il importe aussi de développer un échange ouvert. Par exemple, tous les trimestres, je propose aux actionnaires qui le souhaitent un rendez-vous téléphonique en cercle restreint s'ils ont des questions à poser. Rester très disponible donc. Tout est question d'information, de communication, de transparence.

Aujourd'hui, quel bilan dressez-vous de cette IPO ?

Je dirais que c'est une réussite. C'est une des rares opérations de-SPACing qui a été un succès. La prochaine étape consiste à travailler sur la liquidité du titre. Actuellement, environ 9 % de notre capital est flottant, ce qui est peu. De nombreuses options sont sur la table pour élargir cette liquidité. C'est notre priorité afin que le groupe devienne une véritable société cotée vivante.

Plus récemment, FL Entertainment a réalisé des opérations de M&A - acquisition de Balich Wonder Studio et ­investissement dans The Independents - qui ont conduit à la création de Banijay Events. Là encore, quels ont été les principaux défis de la fonction finance ?

Effectivement, nous avons diversifié notre activité vers l'événementiel. Balich Wonder Studio organise des cérémonies, notamment l'ouverture de la Coupe du monde de football au Qatar. Et The Independents est une fédération d'entrepreneurs qui met en place des événements autour du luxe, notamment des défilés de mode.

Il y a eu deux phases : pré-acquisition et post-acquisition. Sur le premier aspect, il a fallu tout d'abord comprendre la nouvelle activité, l'événementiel. Puis effectuer les due diligences, se plonger dans les chiffres, challenger les hypothèses financières qui étaient retenues. Ensuite, nous avons travaillé avec les fiscalistes et le juridique sur la mise en place d'une structure d'acquisition cohérente. Enfin, dernier point : s'assurer du financement adéquat. Puis, en post-acquisition, le défi a été celui de l'intégration et de la mise en oeuvre de synergies : comment construire des synergies entre ces deux business que sont la production de contenus et l'événementiel.

Comment la direction financière groupe de FL Entertainment est-elle structurée ?

J'en profite déjà pour dire que mes équipes financières sont formidables, agiles et réactives ! Tout d'abord, notre business model est très décentralisé. Que ce soit pour Banijay ou Betclic, les équipes sont indépendantes. Et même au sein des activités, surtout pour Banijay, chaque pays est autonome. Chaque activité a sa propre équipe finance, produit ses comptes. Puis le tout remonte au niveau de FL Entertainment. Sur ce dernier plan, nous avons plusieurs domaines d'expertise qui sont gérés, en fait, par une toute petite équipe. Sous ma responsabilité, j'ai six CDI et deux stagiaires, et c'est tout. C'est l'organisation décentralisée qui permet cela, ce qui favorise véritablement l'échange, l'agilité et la flexibilité. Les décisions sont prises très rapidement.

Un reporting est effectué tous les trimestres. Je dispose d'une liste de KPI que je suis de très près. Des réunions mensuelles sont organisées avec les Daf de Banijay et de Betclic, mais en réalité, on se parle tous les jours. Il y a un véritable échange. Je ne considère pas mon rôle comme celui d'un censeur. Nous travaillons en partenariat et je suis là pour les aider. Ma mission consiste à fournir la feuille de route, fixer la stratégie financière, puis accompagner les équipes dans la mise en oeuvre de celle-ci.

Justement, en parlant de la stratégie financière, quelle est-elle ? FL Entertainment a publié de bons résultats cette année...

Ces très bons résultats, dans le contexte économique actuel, témoignent de la pertinence de notre stratégie, qu'elle soit business ou financière. Nous avons toujours une politique financière assez stricte. Certes nous réalisons beaucoup d'acqui­sitions bolt-on ou d'acquisitions transformantes. Mais nous restons très vigilants sur le prix et nous avons pu passer notre tour sur des opérations d'envergure, qui faisaient sens du point de vue du business, parce que le montant était trop élevé. Avec un ADN d'entrepreneurs, nous sommes très attentifs aux opportunités qui peuvent se présenter.

Betclic présente de son côté une forte croissance organique sur ses marchés, qui sont des marchés régulés. Fin 2022, nous avons ouvert la Côte d'Ivoire et nous envisageons l'ouver­ture d'autres pays qui nécessitent assez peu d'investissements et dans lesquels la croissance peut être rapide.

Des actions ont été mises en oeuvre pour restructurer la dette de l'entreprise. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Effectivement, nous avons levé environ 2,4 milliards d'euros en 2020, lors de l'acquisition d'Endemol. Ce qui a permis de financer cette opération, mais également de refinancer une partie de Banijay. Cette dette avait une maturité à mars 2025 avec aussi une petite portion à mars 2026.

Tout ce qui avait une maturité à mars 2025 a été refinancé en 2023. Nous avons anticipé. Nous n'avons pas attendu le dernier moment, parce qu'il y avait alors une fenêtre, parce qu'on ne sait pas ce que seront les marchés demain et enfin pour pouvoir passer avant tout le monde, sans embouteillage. Aujourd'hui, cette partie arrivera à échéance en mars 2028. Nous avons refinancé à peu près 85 % de la dette de Banijay. Et fin janvier, nous avons « re-pricé » avec succès une partie de notre dette, ce qui nous a permis d'en réduire le coût significativement et de réaliser une économie annuelle de 7 millions d'euros.

FL Entertainment souhaite par ailleurs avancer sur le terrain de l'ESG. Quel est le rôle de la direction financière à cet égard ?

Chez FL Entertainment, c'est moi qui supervise les travaux liés à l'ESG. Cela fait partie des priorités du groupe. Trois sujets sont essentiels à nos activités. Le jeu responsable et la lutte contre le blanchiment sur Betclic. Ainsi que la diversité et l'inclusion sur Banijay, que ce soit à l'écran ou derrière les caméras. Notre rôle consiste à faire comprendre qu'il est essentiel de suivre l'ESG, que ce n'est pas encore un KPI de plus ou une obligation liée à la cotation de l'entreprise. Car, en réalité, c'est d'abord le business qui amène cette exigence.

Comment appréhendez-vous le sujet de la directive CSRD ?

Nous sommes éligibles dès cet exercice. Je compare souvent la CSRD aux normes comptables. Ce sont des normes ESG au même titre que les normes comptables. Le but est de ­définir une information qui sera comparable par rapport à nos concurrents. Mais ce n'est pas cela qui motive la mise en place de l'ESG dans la société. Comme je le disais, c'est avant tout le business qui le demande et nos salariés. C'est un élément pour retenir les jeunes générations. Ou encore, par exemple, Amazon exige que l'on remplisse les critères ESG lorsque l'on produit des émissions pour sa plateforme. La CSRD sert uniquement à définir des KPI et fixer une manière de reporter ce que l'on fait déjà. C'est ainsi que je l'envisage.

Quels sont les autres projets qui mobilisent actuellement la direction financière de FL Entertainment ?

Bien entendu, Pillar 2. Cette réforme fiscale dictée par l'OCDE instaure un taux d'imposition minimum de 15 % dans les pays où nous sommes présents. Il y a aussi le volet financement de nos activités, s'assurer du bon ­reporting, etc. Mais le gros sujet reste pour 2024 celui de la liquidité de notre titre.

Pour finir, quel serait votre principal conseil à un jeune Daf qui débute ?

Tout d'abord, un directeur financier doit être au service du business. Il est apporteur de solutions. Son rôle est de fournir aux dirigeants les moyens d'exercer sereinement leur métier. Il doit donc les dispenser de toutes les turpitudes fiscales, réglementaires et autres. Il faut aussi accepter de commettre des erreurs. Il faut les reconnaître pour ainsi ne pas les reproduire. L'erreur peut être faite une fois. Puis, on l'analyse. Mais si on la reproduit, cela devient une faute. Enfin, je voudrais dire qu'il ne faut pas se faire une montagne de cette fonction. Au fond, il suffit juste d'avoir du bon sens !

FL ENTERTAINMENT

Activité : Divertissement

Forme juridique : Société commerciale de droit étranger

Siège social : Paris

Chairman : Stéphane Courbit

CEO : François Riahi

CA 2022 : 4 milliards d'euros

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